Les farces & attrapes du 4 juillet 2006

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Les farces & attrapes du 4 juillet 2006


7 juillet 2006 — Il est assez intéressant d’observer et d’entendre les Américains nous expliquer que les missiles nord-coréens qui existent ne représentent pas grand’chose, qu’il importe de ne rien dramatiser, — et idem avec le nucléaire qui existe également (sept-huit bombes atomiques dans la poche de Kim junior) ; en souvenir, cela, du temps et de l’énergie qu’ils passèrent à tenter de nous convaincre que les terribles armes de destruction massive de Saddam menaçaient les tréfonds de la civilisation occidentale, — lesquelles ADM irakiennes, elles, n’existaient pas.

Donc, toujours autant de grotesque à côté de l’éventuel tragique. La crise des missiles nord-coréens du 4 juillet est pleine de contrastes. D'abord, il se passe un phénomène intéressant, auquel il faudra bien s’habituer. Le manque d’allant des Américains, passée une rapide colère de Bolton à l’ONU, ne signifie rien d’autre que leur incapacité à réagir. (Cela est résumé par ces remarques du journaliste Donald Kirk, sur atimes.com : « The maestro of North Korean strategy, Kim Jong-il, believes President George W Bush has no cards to play, as one South Korean analyst put it, and North Korea can do whatever it pleases to grab attention. While bogged down in Iraq, all the United States is doing for now is issuing statements while privately urging its South Korean ally to back down from its policy of reconciliation with North Korea.... »)

Par ailleurs, les appréciations critiques sur le principal missile (le terrible ICBM Taepo Dong 2) sont peu flatteuses pour son caractère opérationnel de “menace”. Elles ne font que rendre compte de la réalité de l’avancement du programme.

• L’expert américain Anthony H. Cordesman, du Center for Strategic and International Studies de Washington développe (pour UPI le 5 juillet) une analyse technique sur l’état du programme. Sa conclusion est irréfutable.

« Accordingly, until better data are available, the main risk seems to be that North Korean is beginning early testing of a missile that could throw the equivalent of a rock at Alaska. Even in the worst case, it would be able to launch a small fission nuclear weapon with great inaccuracy and unreliability at Alaska, and just possibly Hawaii or the upper northwest corner of the United States. Given its history of testing to date, it is probably around five years away from even this operational capability, although shorter times are all possible.

» This is not in the “so what?” category. However, it would be suicidally stupid to launch such a missile at low value targets in Alaska or area targets in a small part of the United States. U.S. retaliation at a devastating level would be both justified and nearly certain. North Korea would effectively cease to exist as an organized state. For a dictatorship whose only real ideology is the survival of the leader, this does not seem a credible option.

» This does not mean that North Korea is not working on ICBMs, does not have larger boosters in development, will not get much more advanced nuclear weapons in development, or cannot conceal a great deal. It does mean that the United States has good reason to try to halt North Korean efforts and no reason to overreact or panic, particularly since applying worst case wild guesses to two conspicuous design failures is not simply ridiculous, it is childish. »

• L’agence russe Novosti cite, dans une dépêche du 5 juin, l’expert Vladimir Dvorkine, du Centre de sécurité internationale de l'Institut d'économie mondiale et de relations internationales et du Centre d'études politiques de Russie : « Pour parler de la création d'un système de missiles fiable de type Taepodong 1 et Taepodong 2, il faut effectuer vingt à trente tirs. Sans cela, il est impossible de parler de l'existence de missiles, comme le confirme l'expérience des grandes puissances possédant des technologies de construction de missiles. En règle générale, plus de la moitié des dix premiers lancements de missiles de ce type sont un échec. » Pour Dvorkine, « le bluff de la Corée du Nord concernant les missiles ressemble au bluff des Etats-Unis concernant la défense antimissile ».

Pourtant, l’écho et les conséquences de l’essai sont considérables. L’événement a été instantanément perçu comme une crise majeure, au point où les Américains sont obligés (de concert avec les Sud-Coréens) de tenter de calmer le jeu en catastrophe. Ils n’ont ni les moyens ni le désir de se lancer dans une crise majeure avec la Corée du Nord. Bush affirme avec une alacrité qu’on lui connaît peu sur ce terrain que la diplomatie est la seule voie acceptable. Les Nord-Coréens, de leur côté ne cessent de jeter de l’huile sur le feu. Les Japonais continuent à suivre une politique très dure qu’ils justifient par leurs craintes mais qui fait l’objet de soupçons des pays de la zone. Le reste de la communauté internationale suit sa ligne vertueuse habituelle en condamnant avec force “la provocation” nord-coréenne.

La situation est plusieurs fois absurde et, ainsi, plusieurs fois conforme à son temps historique. En voici quelques éléments.

Quelques éléments épars du désordre

Peut-on considérer l’expérimentation d’un missile comme une “provocation”? Le jugement est lourdement chargé d’affirmations et de conditions unilatérales répondant aux tourments divers et à l’incohérence générale de la dialectique moralisante qui sous-tend la position de la soi-disant “communauté internationale”. Jusqu’ici, un essai de missiles n’a jamais constitué officiellement ni techniquement une provocation, même s’il peut être perçu comme tel d’un point de vue stratégique ou politique. Dans le cas de la Corée du Nord, il y a la rupture d’un engagement volontaire de ce pays d’observer un moratoire sur les essais de missiles.

Tout cela n’a rien de juridiquement formel. La notion de “provocation” n’est pas une notion juridique, c’est une appréciation politique. L’engagement de la Corée du Nord n’était pas un engagement contractuel formel, il s’est d’ailleurs placé dans le cadre d’un accord informel (arrangé par la médiation Carter en 2000) dont les divers termes ont été déchirés à belles dents ces dernières années par les diverses parties en présence. La riposte de la “communauté internationale”, avec la possibilité d’une motion de l’ONU incluant des sanctions ferait passer l’affaire à un niveau formel à partir d’un jugement de valeur unilatéral. Ce serait un peu plus de discrédit apporté à ce même “niveau formel”. A défaut d’autre chose, l’irresponsabilité règne en maîtresse. On retrouve l’habituelle attitude inspirée par les comportements occidentaux unilatéraux qui alimentent les tensions et les incompréhensions partout où elle se manifeste. Le tyran nord-coréen se frotte les mains.

Tout cela est fait alors qu’on comprend bien que les Occidentaux, — les Américains, — n’ont pas les moyens d’une telle politique qui implique à son extrême l’idée d’une contrainte par la force. Les Américains n’ont plus cette force et les autres (les Européens) ne songent pas une seconde à cette idée bien qu’ils en cautionnent la logique y conduisant. Brièvement dit : on suit une politique dont on déteste le terme et dont on n’a aucunement les moyens, et on offre à l’autre la possibilité de victoires diplomatiques à bon marché. Il a beau avoir la réputation d’être un bourrin tyrannique et primaire, Kim sait bien tout cela et il joue évidemment dans ce sens.

Ainsi continue-t-on à donner au tyran nord-coréen la possibilité d’exercer des pressions d’une façon efficace ; on dénonce l’autoritarisme pseudo-belliciste du tyran en donnant à ce tyran les moyens d’affirmer avec efficacité cet autoritarisme pseudo-belliciste. Ceux qui le dénoncent avec fureur se retrouvent finalement en position de devoir reculer devant les pressions du tyran, pour plaider l’apaisement de la diplomatie. (Cas des Américains.) C’est un bon rapport pour l’expérimentation d’un engin qui ne sera au point que dans 5 ans.

Encore n’a-t-on rien vu. Il faut rappeler d’où vient cette crise. Il faut parler du “climat”, chose si importante dans une époque où les faits sont devenus des choses informes trafiquées par d’innombrables interventions virtualistes.

Si cette crise est apparue si dramatique pendant deux-trois jours, — suffisamment pour permettre à Bush de capituler, — c’est qu’un théâtre avait été monté dans ce sens. Depuis plusieurs semaines, le Pentagone annonce ou fait annoncer qu’il est prêt à activer son système antimissile pour abattre un missile qui serait testé par les Nord-Coréens. Des experts de grand renom et de tendance “modérée” (voir Carter-Perry) suggèrent qu’on pourrait même attaquer préventivement la Corée du Nord pour empêcher ces expérimentations-“provocations”. Dans l’esprit du temps, le fameux “climat”, la “provocation” à venir est presque apparue comme un casus belli dans l’esprit des commentateurs imbibés de la rhétorique bureaucratique du Pentagone. Puis la “provocation” survient. Le “climat” est propice à donner à l’événement l’apparence d’une crise majeure, — au moins pendant deux ou trois jours, durée standard aujourd’hui des crises graves de cette sorte ; mais, répétons-le, suffisamment de temps pour que l’administration GW, prise de panique, retraite précipitamment.

Il est assuré que personne n’a dirigé la campagne du Pentagone en faveur de ses antimissiles. C’est l’affaire du Pentagone, qui fait de façon automatique et systématique la promo de ses chers engins. Le Pentagone a donc installé de sa propre initiative et en pensant à autre chose (aux crédits demandés au Congrès pour les antimissiles) le théâtre qui offre un paroxysme à une crise qui n’en demandait pas tant, et qui force l’exécutif à reculer devant le vilain tyran. La crise a été fabriquée, comme dans le cas irakien après tout, mais cette fois par réflexe dirait-on, et elle donne à Kim une occasion en or.

Tout le monde se réjouit parce que l’essai démontre l’absence de verdeur de la quincaillerie de Kim, même ceux qui avaient affirmé le contraire, comme Carter du couple Perry-Carter. «  “It's very in your face to do it on the Fourth of July,” said Ashton B. Carter, a Harvard professor who, with former defense secretary William J. Perry, had urged the Bush administration to destroy the Taepodong missile on the launching pad, advice the administration rejected. “Hooray if it failed,” Mr. Carter said. » Pour Carter, c’est une façon élégante de dire qu’il a co-écrit, avec Perry, à peu près n’importe quoi.

Qu’on se rassure : d’ici quelques semaines, peut-être même sera-ce l’affaire de quelques jours, on trouvera tous les Bolton et les Rumsfeld du monde pour nous avertir que non, finalement et malgré l’essai raté, la menace nord-coréenne reste terrible, qu’il faut s’armer contre elle, que c’est très important et urgent, et ainsi de suite.

A la prochaine.