Les foucades du New York Times

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Les foucades du New York Times

06 décembre 2017 – Ces trois derniers jours, deux interventions du New York Times (entre nous, nous dirons NYT) m’ont à la fois surpris et ravi, et également m’ont mis la puce à l’oreille pour une réflexion assez rapide qui devrait conduire, sans trop d’embarras et avec un peu d’audace, à des conclusions point inintéressantes. Ces interventions sont très inhabituelles si l’on tient compte du rôle de bateau-amiral de la communication proaméricaniste que tient le NYT depuis des décennies, sinon de bien plus d’un siècle.

D’une façon générale, on ne l’ignore pas, la Grey Lady (*) se couvre de gloires et de vertus à défendre avec une belle élégance et stricte rectitude de pensée, sous tous les cieux et pour toutes les âmes, les très-diverses et très-nombreuses initiatives de l’américanisme. Cela passe notamment, souvent en appuyant lourdement, par la promotion ou la défense becs et ongles des habitudes de projection de puissance du susdit américanisme, et l’admirative présentation des joujoux mortels qu’ils vendent, ou vendaient à tout le monde... “Ils” pour Lockheed Martin, Boeing, Northrop-Grumman & Cie, – et Raytheon, j’allais oublier.

Justement, Raytheon que je rajoute in extremis pour réussir une remarquable transition, qui est au cœur de l’une de mes deux remarques, comme on va le voir ; tant il est vrai que le bombastique et sensationnel missile de défense sol-air, notamment antimissiles, qui a nom Patriot est effectivement fabriqué depuis plus de trois décennies en des versions diverses et sans cesse en amélioration par Raytheon. Transition ainsi bien ménagée, je passe directement aux rappels des deux interventions dont je veux vous entretenir.

• La première concerne donc le Patriot de Raytheon (on en parle ici sur ce site) ... Le NYT n’est pas tendre, il est même quasiment du type dissident antiguerre qui attaquerait l’industrie de l’armement US et ses diverses monstruosités ; et plus encore, l’une des monstruosités les plus présentes à l’exportation, l’une des plus symboliques pour enchaîner l’acheteur au fournisseur US, l’une des plus suffisantes dans le sens stratégique en se posant comme protectrices (antimissiles) face aux monstres russe, iranien et tutti quanti. Le NYT va même chercher des références dans les réseaux pour nourrir l’enquête ainsi suscitée. Une telle démarche du journal-de-référence eût été concevable sans soupçon nécessaire, disons il y a 30-40 ans, lorsqu’il y avait encore une certaine autonomie du “Quatrième Pouvoir” ; mais aujourd’hui, alors que cette brillante constellation est devenue piteuse presseSystème au garde-à-vous, dont le NYT est le joyau brillant de mille feux faussaires et invertis ? Je m’interroge avec toute la candeur possible : mais quelle mouche a donc piqué la Grey Lady ?

• La seconde intervention en remontant le temps, trois jours plus tôt, concerne l’accord en cours de finalisation entre la Russie et l’Égypte, qui nous a beaucoup intéressés ces derniers jours. Le commentaire du même NYT est singulièrement crépusculaire, qui ne cherche en aucun cas à “sauver les meubles” selon une rhétorique-Système qui se réfèrerait à l’exceptionnalisme américaniste qui saura bien rétablir la situation. Dans ce cas, rien de pareil, au contraire le constat presque dédaigneux d’une défaite humiliante pour ... oui, justement, “pour l’administration Trump”, pas pour les USA : « Le New York Times écrit que l'accord sur les bases aériennes est un “affront voyant fait à l'administration Trump” ».

On devine l’hypothèse que j’ébauche, lorsque j’écris à dessein : “oui, justement, ‘pour l’administration Trump’, pas pour les USA” ; comme si “l’administration Trump” ce n’était pas les USA, et l’on comprend alors parfaitement le sens de cette remarque dans le climat actuel, cette haine absolument irréfragable et complètement irrationnelle qui opposent les deux camps, – les pro-Trump et les anti-Trump. Exactement, cette hypothèse qui se dessine est bien que le NYT se fait critique, et critique presque “dissident”, – presque antiSystème, comprenez-vous, – pour mettre à jour de véritables vérités-de-situation absolument dommageables, objectivement considérées, pour la puissance de l’américanisme ; et cela, pour la simple et hystérique raison qu’il s’agit d’événements qui portent la marque de Trump. (Dans le cas des Patriot : l’Arabie avec son nouveau jeune homme d’État MbS qui copine avec Trump, qui lui a personnellement commandé un nouveau lot de Patriot.)

Ainsi va donc mon hypothèse pour expliquer cette attitude si peu logique, à notre époque d’exacerbation de l’hybris, dans le cadre contraint habituel de la presseSystème, du déterminisme-narrativiste de l’aveuglement proaméricaniste. Justement, nous y sommes, la passion haineuse déferlante a pris le dessus et, par un étrange cheminement, elle conduit à mettre à jour et proclamer, comme par inadvertance, ces vérités-de-situation pour frapper l’adversaire (Trump en l’occurrence) par tous les moyens possibles. L’affrontement interne à “D.C.-la-folle” a pris un tel tour que tous les arguments sont utilisés, même ceux qui attaquent directement les marques et les intérêts de la puissance américaniste à l’étranger.

Regardez bien ceci, qui est absolument fascinant, qui est l’œuvre du démon lorsqu’il a mis ses créatures, ou les créatures qu’il infecte assez pour les faires siennes, dans cet état de transe paroxystique qu’est la haine pure ; cet emportement de l’esprit, cette marée des passions haineuses qui fait perdre toute mesure, toute intelligence du monde. C’est à ce paroxysme-là que j’attache mon hypothèse ; ce paroxysme qui est celui de l’effondrement et nullement de la décadence... Ils ne veulent plus de la décadence qui est une chose bien trop lente pour étancher cette soif d’autodestruction, cet aveuglement du drogué qui ne peut plus se passer de sa piqure, ce besoin absolument furieux de se dévorer soi-même et jusqu’à ses propres entrailles.

Observez le spectacle de ce monde aliéné qui subit les derniers spasmes du mal que le Malin a installé en lui. Jamais plus grande puissance terrestre n’a couru à sa propre perte, qu’elle veut machiner de ses propres mains, avec autant d’énergie qui est l’énergie de la passion déchaînée, de la haine accomplie comme l’on parlerait de l’extase du paradis artificiel et inverti.

 

(*) Le NYT a été fondé en 1851, ce pourquoi sans doute on le surnomme “The Grey Lady”, ce qui veut dire selon mon imagination bienveillante, – je n’ai pas trouvé de traduction officielle, – “la vieille demoiselle vertueuse, honorable et pleine de sagesse avec ses cheveux gris”.