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1er octobre 2003 — Une déclaration du général James Jones, du Corps des Marines, SACEUR (commandant en chef des forces de l’OTAN), est particulièrement intéressante à placer dans deux contextes :
• Le contexte du débat toujours en cours de la valeur des diverses forces nationales occidentales et, particulièrement, de la valeur des forces françaises qui sont les seules, en Europe occidentale, à ne pas dépendre du commandement intégré OTAN.
• Le contexte du débat toujours (plus que jamais, selon certains) en cours, concernant l’antagonisme entre Washington et Paris.
Il s’agit de deux réponses de Jones à une interview dans le numéro de Newsweek à paraître le 6 octobre. L’une concerne les forces armées françaises, l’autre les relations des USA avec la France. Cet aspect de l’interview est repris par l’hebdomadaire Defense News (lien non accessible directement).
(Un aspect important à avoir à l’esprit, en background, est que Jones, comme il le précise dans une de ses réponses, a passé sa jeunesse en France et se considère en bonne part d’une double appartenance culturelle, américaine et française. (Jones parle bien sûr couramment le français.) Il n’empêche qu’il s’agit bien entendu d’un Américain et d’un général des Marines. Ses avis professionnels ont un poids considérable, surtout lorsqu’ils sont si tranchés.)
• A la question de la qualité des forces françaises, d’ailleurs posée dans des termes assez brutaux (« Some Americans call the French “surrender monkeys.” »), Jones répond également dans des termes d’une netteté qui ne laisse pas le moindre doute.
« France has probably the most expeditionary army [i.e., ready to deploy to distant battlefields] in Europe. And writ large. They have impressive military capabilities across the whole spectrum of operations. They’re good at peacekeeping; their Air Force is modern, state of the art; their Navy is modern; their land Army I know about because I served with them in northern Iraq 11 years ago, and I know their generals—this is a very, very fine army. »
• A la question de la querelle entre la France et les USA, Jones répond de façon ferme et, également, avec une grande sensibilité du point de vue culturel (tout en mettant au clair un point essentiel : cette querelle n’affecte en rien les liens entre militaires français et US, comme Jones le prouve d’ailleurs par sa déclaration). Voilà donc une surprise de notre époque : un Marine sensible et en partie de culture française, — sans qu’on sache si ceci explique cela... La question concerne son sentiment sur le “rift” entre France et USA.
« It saddens me, to be honest with you. I grew up in both cultures. I identify with what France went through in the difficult times of Algeria, of Indochina, the postwar reconstruction, which I lived through starting in 1947. I remember the big green buses with the white stars driving all over Paris—only Americans could get on those buses. It was possible for American families to come and be stationed in France and never speak French, or never even have contact with French culture. I think that created perceptions and divisions that perhaps contributed to the state of affairs—I don’t know what it is. But I regret it, and I can tell you that at the military level it does not exist. »
Ces avis sont importants comme on le comprend à première vue (l’évidence). Ils sont aussi importants à cause de la personnalité de James Jones, parce que cet officier général marie en lui deux choses qu’on croirait inconciliables, ou, dans tous les cas, antagonistes (l’une devant disparaître devant l’autre) :
• sa “demi-culture” française, qui lui fait dire des choses bien profondes. (En remarquant que les Américains, après la Seconde Guerre mondiale et depuis, pouvaient et peuvent séjourner en France sans avoir à parler le français ni se mélanger aux Français, et en le déplorant, il fait indirectement le reproche à la plupart des Américains de refuser de connaître et de reconnaître les cultures non-US, et française dans ce cas. Cela expliquerait bien des embarras actuels, suggère le général Jones. Nous dirons qu’en quelques mots rapides, comme un rapport des Marines, c’est si bien vu que ce n’est pas loin de nous dire tout.)
• Sa “culture de Marine”, dans le service des forces armées US le moins “européen”, le moins proche de l’Europe. Force de projection par définition, donc ayant comme base-arrière les USA continentaux, s’étant quasi exclusivement battu hors d’Europe (sauf la glorieuse bataille du bois Belleau, en 1918), et notamment étant exclusivement intervenu dans le Pacifique au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Corps des Marines est certainement le corps qui fait le moins de cas des liens avec l’Europe (l’U.S. Army étant l’opposé). Il est par contre le plus “révolutionnaire” des services des forces armées. Dans tous les cas, qu’une telle base culturelle professionnelle sans parti-pris sentimental (pro-européen) aboutisse, chez Jones, à ce jugement sur l’armée française, en dit long sur la validité de ce jugement.
La déclaration de Jones vient bien à point pour remettre un peu d’ordre dans le débat militaire en Europe, sur les prétentions souvent affirmées par les “experts” anglo-saxons (pas par les militaires britanniques) que les forces armées britanniques sont les seules en Europe à avoir des dimensions de projection stratégique. (On peut même avancer que cette déclaration de Jones fera grincer quelques dentitions britanniques : « France has probably the most expeditionary army [i.e., ready to deploy to distant battlefields] in Europe ».)
La déclaration de Jones vient à point pour mettre quelque sel non-conformiste dans le débat qui fait rage à Paris aujourd’hui, et qui concerne — paradoxe si parisien au moment où la France s’affirme diplomatiquement et militairement (opération Artemis) — le déclin de la France. Ce débat, qui se poursuit depuis à peu près 300 ans (disons, depuis la mort de Louis XIV ?), concerne notamment les capacités militaires françaises que certains auteurs nous décrivent dans un état apocalyptique. On pourra désormais y ajouter le sentiment du général James L. Jones, du Corps des Marines des États-Unis. (Mais nous n’entretenons guère d’illusion : il y a longtemps que les intellectuels et autres “experts” parisiens préfèrent la prose pompeuse et fumeuse d’un Kagan aux avis précis et circonstanciés d’un général américain.)
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