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352224 novembre 2021 – Difficile à suivre, l’Ukraine, entre l’intoxication, le simulacre, les coups de téléphone, les provocations, le torrent tumultueux de la communication et l’éventuelle réalité des choses sur notre étrange planète des temps-devenus-fou.
...Note personnelle PhG : « Pour cette raison de la “difficulté de suivre”, je prends en charge depuis quelques temps l’essentiel de la surveillance de tel ou tel domaine (ici, l’Ukraine), sur ce site, pour mieux faire entendre qu’il s’agit d’une interprétation subjective, soumise aux aléas de la perception. Hors des USA, qui bénéficient d’une rubrique autonome (‘RapSit-USA202...’), d’autres domaines seront/sont traités de cette façon dans le ‘Journal-dde.crisis’). Ces choix renvoient à une réalité politique et métahistorique : la folle accélération qui semble sans fin des événements, et les flots de communication qui les accompagnent, où il est extrêmement difficile d’extraire des constats acceptables pouvant éventuellement dépasser le jour et l’heure où ils sont publiés. Cela autorise, voire nécessite des analyses subjectives, que j’espère être sous ‘vrai drapeau’ de l’intuition. Bien entendu, lorsqu’un événement du même domaine est fixé en une crise bien structurée avec une communication sérieuse et solide, le commentaire est pris/repris par les rubriques habituelles du site. »
... Cela dit pour bien fixer ce qui peut l’être, il faut reconnaître comme un fait indubitable l’exceptionnalité du coup de téléphone du 23 novembre entre les deux chefs militaires les plus élevés en fonction en Russie et aux USA, le général Gerasimov, chef d’état-major des forces armées russes, et le général Milley, président du comité des chefs d’état-major des forces armées US. Il faut rappeler ici que le singulier général Miley devient coutumier du fait (au contraire de Gerasimov), d’établir des contacts directs inhabituels avec des généraux de l’“autre camp” pour traiter de sujets certes militaires mais qui sont surtout des faits politiques de la plus haute importance. Il le fit avec le général commandant les forces armées chinoises Li Zuocheng à deux reprises, le 30 octobre 2020 et le 8 janvier 2021. (Les révélations de Bob Woodward sur ce fait [dans son livre ‘Peril’] n’ont pas été démenties et semblent devoir être prises comme du comptant.)
Milley et Gerasimov se sont déjà rencontrés ès qualité, et l’on trouve des photos des plus officielles, l’une les saisissant côte-à-côte, assez raides, d’une façon très formelle et sans enthousiasme apparent, l’autre se serrant la main avec des demi-sourires dont on ne sait s’ils s’adressaient à la pose devant cette rencontre, ou à la substance de cette rencontre. Il s’agissait d’événements officiels bien préparés. Pour ce coup de fil, ce n’est pas le cas ; il s’agit d’initiative d’urgence sur des événements crisiques. L’on déduira du peu d’échos et de commentaires de l’événement le signe de son importance : devant des choses avérées et supposées importantes, dans nos jours singuliers terrorisés par la censure de la bienpensance, la presseSystème préfère le silence de peur de souligner un événement qui s’avèrerait tels qu’il mettrait dans une mauvaise position le Système dont ils sont les protecteurs soumis et vigilants.
Pour exposer le cas de la conversation Gerasimov-Milley du 23 novembre 2021, on dispose de quelques textes succincts mais probants. D’abord, un communiqué tout à fait officiel du bureau du président du Comité des chefs d’état-major Milley, où l’appel est justifié par une antériorité de cette pratique dont on peine à trouver un exemple, à ce niveau, pour une telle situation, etc. :
« Le porte-parole de l'état-major interarmées, le colonel Dave Butler, a fourni les informations suivantes :
» Le président des chefs d'état-major interarmées, le général Mark A. Milley, s’est entretenu aujourd'hui par téléphone avec le chef d'état-major général russe, le général Valery Gerasimov. Les chefs militaires ont discuté de plusieurs sujets de préoccupation liés à la sécurité.
» Cet appel téléphonique s'inscrit dans le cadre de la poursuite de la communication entre les deux dirigeants afin d'assurer la réduction des risques et la déconfliction opérationnelle. Conformément aux pratiques antérieures, les deux parties ont convenu de ne pas divulguer les détails spécifiques de leur conversation. »
On cite ensuite une partie du texte de ‘ZeroHedge.com’ sur l’échange téléphonique, comprenant aussi bien le communiqué ci-dessus qu’un commentaire en rapport avec la crise ukrainienne dont il paraît évident qu’elle est le sujet de l’entretien, ainsi que le rappel de la situation ukrainienne (on laisse de côté cet aspect). Le terme de “déconfliction” employé entre USA et Russie pour les dernières années de la situation conflictuelle en Syrie, signifiant une négociation (entre chefs locaux sur des matières d’une importance limitée) pour une désescalade d’une possibilité conflituelle, est largement employé, comme il l’est dans le communiqué. Cela signifie que les deux parties examinent, dans une situation de conflit aux multiples acteurs, des processus techniques tendant à éviter un conflit direct entre eux deux.
« Le général le plus haut gradé de l'armée russe, Valery Gerasimov, a téléphoné au président des chefs d'état-major interarmées américains, Mark Milley. Les deux généraux ont évoqué les “questions urgentes de sécurité internationale”. Ces derniers jours, la rhétorique et les menaces se sont intensifiées entre Moscou et Washington en raison des tensions en Ukraine et au Belarus, notamment à la suite des récentes informations diffusées par les médias américains sur le renforcement des forces russes et le projet d’“invasion” de l’est de l'Ukraine, informations que le Kremlin a démenties avec véhémence.
» La version américaine de l’appel a reconnu qu'il s’agissait d’une procédure rapide et urgente de “déconfliction” entre les deux puissances, le jour même où CNN rapportait que l’administration Biden envisageait de fournir des armes et des formateurs militaires supplémentaires à l'Ukraine.
» Aucun détail supplémentaire ni aucune spécificité de l'appel entre militaires n'ont été révélés. Cependant, il était sans aucun doute lié au développement d’une nouvelle crise en Ukraine... »
Du côté russe, la conversation téléphonique a été présentée dans les mêmes termes que du côté officiel US, notamment par Tass, c’est-à-dire dans des termes où il n’est pas précisé qui a appelé qui. Le communiqué officiel russe reprend exactement le même texte que celui qui est diffusé par le cabinet du général Milley. La dépêche Tass ajoute des précisions concernant des communications téléphoniques de Milley avec le chef d’état-major des forces ukrainiennes, dans les jours précédant la conversation avec Gerasimov.
« Lundi, Milley a eu un entretien téléphonique avec le commandant des forces armées ukrainiennes Valery Zaluzhny, au cours duquel il a discuté de la situation sécuritaire en Europe de l’Est. Milley et Zaluzhny auraient “échangé des opinions et des évaluations de l'évolution de la situation en matière de sécurité en Europe de l’Est”. Le 19 novembre, ils ont également abordé ce sujet, ainsi que les actions de la Russie dans la région.
» Plus tôt, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Pechkov, a déclaré que les rapports des médias occidentaux concernant “les plans d'invasion de la Russie en Ukraine” constituaient une escalade “vide et sans fondement” des tensions. Il a souligné que la relocalisation des forces russes sur le territoire russe ne devrait inquiéter personne, car la Russie n’est une menace pour personne. »
Je le répète : ce contact est exceptionnel ; il l’est en soi, mais il l’est surtout en, fonction des événements, puisqu’il semble bien que les deux interlocuteurs jugent la situation très grave. D’une façon générale, lorsqu’on se trouve dans une situation de crise jugée extrême (risque de conflit avec possibilité d’une montée aux extrêmes [nucléaires]), s’il y a des contacts entre adversaires potentiels est le travail du pouvoir civil. Ici, ce sont les chefs militaires.
Le deuxième point à noter est bien entendu la précision apportée par Tass de contacts téléphoniques entre Milley et son vis-à-vis ukrainiens. Il est très probable que les Russes étaient au courant, et l’entretien Gerasimov-Milley devient encore plus logique. Reste à savoir, à cette lumière, qui de Gerasimov ou de Milley a appelé qui : question posée, sans réponse certaine. Dans tous les cas, l’entretien témoigne de la volonté des deux chefs de tenter d’éviter une aggravation vers un conflit. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de plus assuré ; aller au-delà constituerait une spéculation risquée et finalement assez inutile.
Par contre, l’événement autorise des remarques fondées sur ce que nous savons précisément.
• La première remarque porte sur le fait même, déjà effleurée plus haut : l’intervention des chefs militaires à ce niveau, à cette gravité des circonstances qui sont certes opérationnelles mais qui sont aussi et surtout politiques, est un fait complètement exceptionnel. L’absence du pouvoir civil dans cet événement (par exemple, au moins les ministres de la défense) est un événement significatif.
Connaissant les conditions du pouvoir en Russie et aux États-Unis, je pense qu’on peut sans aucun doute nous tourner vers les USA. Le pouvoir washingtonien est aujourd’hui complètement éclaté, au contraire du pouvoir russe. Dans cette situation, avec des précédents montrant une évolution constante de pressions grandissantes des militaires sur le pouvoir civil contre des engagements militaires, voire des insubordinations camouflées (voir la saga de l’US Navy contre l’intervention en Iran en 2007, notamment avec l’amiral Fallon), les chefs militaires ont pris de plus en plus d’autonomie jusqu’à intervenir, comme c’est le cas ici, à visage découvert, ès qualité et dans des circonstances extrêmes et sans une investiture officielle du pouvoir civil, pour l’initiative considérable où les deux chefs suprêmes des armées se parlent directement.
Les Russes suivent, c’est-à-dire autorisent le chef d’état-major à jouer le rôle qu’aurait dû jouer au moins le ministre Choïgou, et plus sûrement le président Poutine, – à condition que le ministre Austin, ou Biden, ait été impliqué. Les Russes s’alignent donc, d’une façon ordonnée et contrôlée, sur le complet désordre américaniste, parce qu’il faut tout faire pour éviter un conflit. La seule leçon assurée que l’on peut donc tirer ici est l’espèce d’officialisation, qui n’amène aucune réaction devant ce qu’on pourrait interpréter comme un “abus de pouvoir” accepté, de la désintégration du pouvoir US.
(On peut placer selon la même logique de situation, les liens affichés avec des rencontre régulières, entre la CIA et le FSB russe, sur des problèmes de situation générale relevant normalement de l’autorité civile.)
• La deuxième remarque est bien qu’il s’agit d’une crise très sérieuse en Ukraine, la deuxième crise la plus sérieuse depuis 2014, et peut-être plus grave qu’en 2014. Cette remarque n’est pas gratuite, parce qu’il y a eu un grand nombre d’alerte, de tension, de crises donc, de menaces d’invasion selon les Ukrainiens, voire de véritables mouvements de troupes russes du type “dissuasif”. Jamais on n’a atteint des circonstances aussi extrêmes, faisant craindre le pire d’une façon aussi affirmée.
Je tiens également comme un signe effectif de la gravité de cette crise l’activité inhabituelle sur cette question d’actualité immédiate de deux commentateurs russes indépendants, opérant en anglais, surtout pour un public US, souvent à partir des USA. Orlov et le Saker-US sont des patriotes russes inconditionnels, également bien informés, avec des liens avec la Russie. D’habitude, ils traitent des événements d’Ukraine après la crise de 2014 sans trop d’alarme, sans trop se préoccuper de la situation, sans trop prendre l’actualité comme des crises graves, en mettant continuellement en avant l’état catastrophique de ce pays, les clowneries de ses dirigeants. Cette fois, ils réagissent avec promptitude, posant essentiellement le problème des USA, de la division du pouvoir et de son incontrôlabilité, de ses illusions militaires, etc. (Voir par exemple le Saker-US le 21 novembre et le 23 novembre, Orlov [repris par le Saker-US] le 12 novembre.)
• De tout cela, on peut déduire que la phase crisique en Ukraine est extrêmement grave, que la direction américaniste est totalement désintégrée, que la Russie est obligée de suivre et de s’aligner face aux montagnes russes du pouvoir américaniste selon qui occupe momentanément une place de pression.
Ainsi vogue la galère tandis que la géopolitique se trouve dans un état de démence et d’ivresse, c’est selon...