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3878On ne va pas commenter cet événement ; alors on va citer nos classiques. Commençons par Tacite et l’incendie du Capitole :
« Ici l'on doute si ce furent les assiégeants ou les assiégés qui allumèrent l'incendie : l'opinion la plus commune est que les assiégés mirent le feu à ces édifices, pour repousser ceux qui montaient ou qui étaient en haut. La flamme gagna les portiques qui régnaient autour du temple : bientôt les aigles qui soutenaient le faite, et dont le bois était vieux, prirent feu et nourrirent l'embrasement. Ainsi brûla le Capitole, les portes fermées, et sans que personne ne le défendît ni ne le pillât. Ce fut la plus déplorable et la plus honteuse catastrophe que Rome eût éprouvée depuis sa fondation. »
A propos de Néron et des coupables du grand incendie de Rome, Tacite rappelle aussi :
« Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d’avoir ordonné l’incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d’autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d’hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non-seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d’infamies et d’horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d’abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d’autres, qui furent bien moins convaincus d’incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d’autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s’ouvraient à la compassion, en pensant que ce n’était pas au bien public, mais à la cruauté d’un seul, qu’ils étaient immolés. »
On arrive à nos romantiques épris tous d’incendies gothiques avant qu’Haussmann et Badinguet ne détruisent Paris. On commence par Hugo et Notre-Dame de Paris. C’est dans l’attaque des « truands » qui veulent libérer Esméralda et voler les trésors :
« La clameur fut déchirante. Ils s’enfuirent pêle-mêle, jetant le madrier sur les cadavres, les plus hardis comme les plus timides, et le Parvis fut vide une seconde fois.
Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure.
À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. »
On poursuit avec notre romantique mineur Aloysius Bertrand. C’est un texte admirable :
« Mais soudain gronda la foudre au haut de Saint-Jean. Les enchanteurs s'évanouirent frappés à mort, et je vis de loin leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher.
Cette effrayante lueur peignait des rouges flammes du purgatoire et de l'enfer les murailles de la gothique église, et prolongeait sur les maisons voisines l'ombre de la statue gigantesque de Saint-Jean.
Les girouettes se rouillèrent ; la lune fondit les nuées grises de perle ; la pluie ne tomba plus que goutte à goutte des bords du toit, et la brise, ouvrant ma fenêtre mal close, jeta sur mon oreiller les fleurs de mon jasmin secoué par l'orage. »
C’est dans Gaspard de la nuit bien sûr. Bertrand ajoute ailleurs dans le Maçon :
« Ce qu'il voit encore, ce sont des soudards qui, dans le parc empanaché de gigantesques ramées, sur de larges pelouses d'émeraude, criblent de coups d'arquebuse un oiseau de bois fiché à la pointe d’un mat.
Et le soir, quand la nef harmonique de la cathédrale s'endormit couchée les bras en croix, il aperçut de l'échelle, à l'horizon, un village incendié par des gens de guerre, qui flamboyait comme une comète dans l'azur. »
Car nos artistes romantiques et un tantinet néroniens aiment les grands incendies. On redécouvre alors Pétrus Borel :
« Content de ton œuvre hardie,
Savoure bien cet incendie
Va, rien ne manque à ton festin;
Entends les clameurs de la mère
Appelant, d'une voix amère,
Ces fils moissonnés par l'airain
Enfin finit la nuit, et l'aube va renaître;
Accourez tenu, varlets, pages, votre vieux maître
Veut prolonger encor sa volupté de sang…
Le peuple, après une telle journée,
Ignore encor sa destinée
Et le sort qui l'attend demain… »
Et on tape un peu avec Baudelaire (début des Fleurs du mal bien sûr) :
« Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie… »
On finit avec Céline dans un passage sublime du début du Voyage :
« Ça se remarque bien comment que ça brûle un village, même à vingt kilomètres. C’était gai. Un petit hameau de rien du tout qu’on n’apercevait même pas pendant la journée, au fond d’une moche petite campagne, eh bien, on n’a pas idée la nuit, quand il brûle, de l’effet qu’il peut faire ! On dirait Notre-Dame ! Ça dure bien toute une nuit à brûler un village, même un petit, à la fin on dirait une fleur énorme, puis, rien qu’un bouton, puis plus rien. Ça fume et alors c’est le matin (Céline, le Voyage). »
Voilà. Et comme je dis souvent à mes lecteurs, si vous ne supportez plus la sous-France actuelle déshonorée, redécouvrez sa littérature…
Baudelaire – Les Fleurs du mal
Tacite – Histoires, III
Hugo – Notre-Dame de Paris
Nicolas Bonnal – les maîtres carrés (téléchargeable gratuitement)
Céline – Le Voyage
Bertrand – Gaspard de la nuit
Borel – Rapsodies