Les guerres jamais gagnées

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Les guerres jamais gagnées

Quelle guerre auraient donc gagnée les USA depuis les deux bombes atomiques larguées sur un pays défait par une  formidable offensive soviétique menée depuis la Mongolie extérieure et les berges de l’Amour, alors qu’il se préparait à une reddition sans condition ?

Aucune.

Enquête de SIGAR

Celle menée en Afghanistan depuis 2001 est devenue le prototype des guerres ingagnables. Le  Wash Post a publié  des éléments d’interviews de militaires et de diplomates étasuniens (après 3 années de bataille juridique) qui révèlent que de hauts responsables ont délibérément dissimulé les preuves qu’elle ne pouvait être gagnée et qu’ils ont ainsi trompé l’opinion publique. Ces entretiens résultent d’une enquête menée par l’inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), office  créé en 2008 pour enquêter sur les fraudes de guerre. Un général trois étoiles qui avait effectué son service sous Bush et Obama déclare que nul ne savait ce qu’il faisait en Afghanistan, pays dont personne ne savait rien. Un autre témoin confie comment chaque sondage ou rapport était transformé pour ne présenter que les aspects compatibles avec les ‘succès’ des forces US sans aucun égard pour la réalité.

Avec une naïveté déconcertante, un gradé a confessé ne jamais avoir su donner des réponses à ses subordonnés sur l’identité de leur ennemi, les Talibans ou Al Qaïda ? ni sur le rôle du Pakistan, allié ou un adversaire ? La question du nombre ahurissant de djihadistes étrangers des chefs de guerre recevant une paie de la CIA restait également sans réponse.

La corruption massive du gouvernement appuyé par les Usa avait auparavant poussé les Afghans à rejoindre les Talibans qui assuraient un peu d’ordre là où ils administraient.

Le scandale du rapport de l’OIAC

En Syrie, dès 2011 les Usa et d’autres pays occidentaux, dont la France, ont offert des « armes non létales » aux opposants de Bashar al Asad avant de fournir ouvertement formation militaire, aide financière, renseignements et armements. La narration officielle fournie pour justifier l’implication directe des Usa par les frappes aériennes ou par l’encadrement des YPG kurdes puisait son argumentation sur la nécessité de lutter contre « l’Etat islamique » (abondamment équipé d’armement étasunien) et la défense d’une population civile contre les armes chimiques employées par le ’régime’. L’agression étasunienne de la base syrienne Shayrat par des missiles de croisière le 7 avril 2017 a été légitimée par la prétendue attaque chimique gouvernementale de Khan Shaykhoun, quelques jours plus tôt. Plus de 100 missiles furent alors lancés par les Usa, Le Royaume-Uni et la France grâce à ce prétexte. 

Il est maintenant établi que le rapport de l’OIAC qui incrimine le gouvernement syrien lors de l’attaque de Douma en avril 2018 a été falsifié volontairement par des responsables de cet organisme dépendant en principe de l’ONU. Une vingtaine d’experts qui avaient travaillé sur le dossier ont dénoncé l’amputation de leurs comptes rendus d’éléments, ce qui altère les conclusions rendues favorables aux résultats escomptés par les pays occidentaux.

Wikileaks a  édité le rapport original et celui qui a été transformé après les arrangements des hauts responsables de  l’OIAC. Rappelons ici que Julian Assange est actuellement emprisonné abusivement dans une prison de haute sécurité britannique ‘préventivement’. Il a largement purgé une peine pour avoir contrevenu aux conditions de sa liberté sous caution pour un viol qu’il n’a pas commis en Suède. Il est gardé pour être livré, s’il ne meurt pas avant sous les tortures et l’isolement qui lui sont infligés, aux Usa pour être puni d’avoir livré au monde des câbles diplomatiques, des témoignages sur les crimes de guerre étasuniens.

Un retrait précipité de l’armée étasunienne de zones entières au Nord-Est du pays en octobre 2019 a laissé le champ libre à l’armée turque pour se déployer. La présence américaine s’est concentrée autour des zones pétrolières au Sud-Est de Deir ez Zor ce qui indique sans ambiguïté que la lutte contre les Takfiristes n’est pas la raison de l’occupation de cette partie de la Syrie. Trump avec un cynisme bien assumé a en effet déclaré : « 45 millions par mois de pétrole, c’est bon à prendre. Gardons le pétrole, je vais envoyer Exxon Mobil pour exploiter correctement ces champs ».

Ce premier janvier 2020, l’armée de la République arabe syrienne est aux  prises au Sud d’Idlib avec Hayat Tahrir al Sham, l’une des organisations  terroristes issues de la mère de nombreuses autres formations paramilitaires, la  fameuse Al Qaïda pur produit de la CIA. Si la Turquie, soutien traditionnel d’Al Qaïda dans la région renonce à soutenir son allié, son  engagement en Libye  et  à Chypre, et quelques accords avec la Russie pourraient expliquer cet abandon, le gouvernement syrien pourrait prendre alors le contrôle entier de l’autoroute qui traverse le pays du Nord au Sud.

Bientôt 9 ans de guerre, 5 millions de réfugiés hors de la Syrie et 6 millions de déplacés à l’intérieur des frontières dans un pays de 20 millions d’habitants et cependant un pays encore debout malgré les destructions et les affrontements des puissances sur son territoire.

Syndrome de Saigon à Bagdad

L’Irak n’a pas eu cette chance relative. 15 ans d’occupation après 10 ans d’embargo, une première guerre du Golfe et une guerre Iran-Irak de huit ans dans un contexte de disparition de toute infrastructure étatique l’ont laissé exsangue. Comme en Afghanistan, le maître-mot est la corruption d’autant plus prononcée qu’ici il ne s’agit pas des milliards déversés depuis les hélicoptères du Pentagone ni des ressources provenant du trafic de l’héroïne mais de l’or noir présent en abondance. Les manifestations de protestation contre l’absence des services publics minimaux (eau potable et électricité) et la corruption débutées en octobre ont déjà fait plus de 470 morts. Les quelques aides au logement et les allocations chômage distribuées à des jeunes sans emploi ne suffisent pas à enrayer la colère. La démission du premier ministre le 30 novembre ne parvient pas à la calmer. Ce sont de très jeunes gens ayant moins de 25 ans, cette tranche d’âge représente 60% de la population et 40% d’entre elle est au chômage, qui portent le mouvement qui a commencé dans des zones chiites en rébellion contre leurs élites corrompues. Les régions sunnites du Nord ne le rejoignent que tardivement, en décembre, et de façon limitée, craignant une nouvelle flambée de guerre confessionnelle qui avait assuré le succès des Takfiristes de « l’Etat islamique ».

 Depuis plusieurs semaines, des roquettes ont été tirées sur des sites où sont basés des soldats et des diplomates étasuniens. Un sous-traitant étasunien est décédé le 27 décembre quand une salve de roquettes s’est abattue sur une base militaire près de Kirkouk touchant une réserve de munitions et faisant de nombreux blessés. L’armée étasunienne a répliqué le 28 décembre en lançant 5 attaques contre des bases de Hashd Al Chaabi (*) avec un bilan très lourd,  25 morts et 51 blessés.

Des milliers de combattants qui ont participé aux funérailles ont traversé sans encombres les check points qui protègent la Zone Verte, cette immense zone où siègent les institutions gouvernementales irakiennes et l’ambassade étasunienne. Des centaines de tentes ont été érigées autour de la zone, un sit-in a été organisé pour continuer de protester contre la présence de l’armée d’occupation étasunienne qui a réduit ses effectifs en 2011 mais est revenue en force en 2014 pour contrer l’édification de l’EI qu’elle avait contribué à mettre en place. Ayant fait démonstration de sa force, la Hashd al Chaabi a ordonné  l’évacuation  des abords de la chancellerie ce premier janvier. Ce retrait a été effectué pour permettre au Parlement de négocier avec les USA le principe du départ du pays des forces d’occupation à la demande de nombreux députés. Mais Téhéran a ainsi rappelé aux Usa que les militaires et les diplomates étasuniens en Irak sont ses otages potentiels. 

Trump a immédiatement accusé l’Iran d’être à l’origine de ces incidents et annonce l’envoi de 750 parachutistes pour protéger le symbole de l’occupation, l’immense ambassade-forteresse bientôt menacée du syndrome de Saïgon, tandis que l’ambassadeur et les principaux diplomates étaient exfiltrés.

Deux pas en arrière un pas en avant

Tout aussi rapidement, le Président US en exercice et candidat aux prochaines élections a  rétrogradé les menaces à l’égard de l’Iran. Interrogé le 31 décembre sur la possibilité d’attaquer l’Iran, il répond qu’il ne voit pas ‘cela se produire’. (**)

Les exercices militaires navals conduits conjointement par l’Iran avec la Russie et la Chine en mer d’Oman et dans l’Océan indien constituent un  argument dissuasif  de poids contre les velléités des Usa et de l’Arabie aux mains des Bédouins du Nedjd. L’Iran n’est pas isolé et a repris son programme nucléaire alors que les sanctions étasuniennes ne sont pas contrées par les pays de l’UE.

Les enquêteurs de l’ONU, invités par les Bédouins du Nedjd, ont établi un rapport qui ne  ‘peut confirmer’ l’implication de l’Iran  dans les attaques par missiles et drones des deux sites pétroliers d’Abqaïq et Khuraïs le 14 septembre 2019. Cette victoire diplomatique de la République islamique d’Iran se double d’un soufflet à l’égard de Ryad, atteinte par la Résistance d’un pays affamé et dévasté qu’elle agresse, et à l’intention des Usa incapables de protéger leur grand allié et fournisseur de dollars pour leur industrie militaire. Autre déconvenue de taille pour les Saoud, la souscription pour les actions d’ARAMCO début décembre n’a pas suscité l’enthousiasme  des investisseurs. Les 25 milliards levés suffiront à compenser à peine le déficit d’une année. Face à cette demande peu empressée, ARAMCO a décidé d’annuler pour le moment l’introduction sur une place boursière internationale.

Corruption à tous les étages

Comment gagner des guerres quand l’ennemi n’est pas identifié ?

Comment les éviter quand le Pentagone est une machine à corruption et que l’un des moyens d’alimenter le circuit des fraudes, vols, détournements, dépassements de budgets, postes de dépenses avec acronymes que personne ne comprend est de faire des guerres interminables et d’en entreprendre toujours de nouvelles ? A la fin de l’année 2018, le Département US de la Défense avait déboursé 900 millions US$ pour un audit qui a employé 1 200 auditeurs externes et 21 cabinets d’audit. La  conclusion  en avait été que la complexité de la jungle comptable était trop compliquée pour pouvoir être pénétrée.

Outre la dénonciation  d’agressions sexuelles  (viols et harcèlements) qui semblent être la norme, la qualité de l’enseignement académique commence à être mise en question  publiquement. On y apprend plus le conformisme, et ainsi on favorise la médiocrité et le cynisme. Le savoir académique devient secondaire par rapport aux performances footballistiques, et la compétition pour des postes bien rémunérés est la motivation principale des étudiants. Comment donc gagner des guerres avec des officiers préoccupés plus de leurs salaires et des perspectives de servir les industries de l’armement que de servir sinon leur patrie du moins l’État qui les a formés grâce à des deniers publics ?

Déclin à tous les niveaux

Le déclin de cette nation ne se mesure pas seulement à sa  perte de domination technologique  en matière d’armement.

Une société qui a investi à la faveur d’un terrorisme « islamique »  qu’elle a manipulé tant de ressources dans la surveillance de ses compatriotes et de nombreuses cibles étrangères se  montre incapable de dénouer rapidement et clairement la mascarade du  Russiagate. Tous les échanges téléphoniques et les courriers électroniques sont consultables par le FBI et disponibles dans les  Mega Data  stockées par la NSA. La collusion de Donald Trump avec une puissance étrangère n’est pas démontrable car elle est une invention de ses adversaires politiques encore plus corrompus que lui. L’occupation de l’opinion publique de la presse et du Parti qui a perdu les élections est  une activité parasitaire qui évoque les discussions sur le sexe des anges alors que l’empire byzantin assiégé était en train de vivre ses dernières heures.

L’activité désordonnée de l’exécutif étasunien, barricadé derrière son idéologie de nationalisme économique, a réussi à faire se  contracter les échanges commerciaux  mondiaux avec un ralentissement très net pour l’Amérique du Nord (4,3% de croissance en 2018 versus 1,5% en 2019). Pour l’Europe, les chiffres sont de 1,6% en 2018 et 0,6% en 2019, reflet d’un marasme antérieur qui s’aggrave cependant. Mais ce qui inquiète l’OMC, c’est la poursuite de la baisse des carnets de commande pour 2020. La guerre des taxes douanières entreprise par Trump ne concerne pas que la Chine. Les récentes annonces de sanction à l’égard d’Airbus et des entreprises européennes qui collaborent à la réalisation de Nord Stream-2 désignent la cible européenne.

L’OMC a autorisé les USA à mettre en place des droits de douane contre Airbus alors que les Européens avaient plaidé que Boeing a reçu des subventions interdites entre 1989 et 2006 de 19 milliards de dollars. Mais ces manœuvres restent sans effet, Airbus  enregistre un nombre de ventes record  pour 2019, 860 appareils contre 345 pour son rival américain très mal en point avec son Boeing 737 Max cloué au sol. Les Usa prétendent (sans rire) qu’empêcher l’achèvement du pipeline qui va relier la Russie à l’Europe en passant sous la mer Baltique réduirait la dépendance des États de l’UE vis-à-vis de Gazprom. La motivation impérialiste étasunienne  est de faire acheter aux Européens du gaz de schiste liquéfié étasunien plus onéreux et des hydrocarbures d’un marché du Proche Orient (d’où les puits irakiens et syriens voire israéliens et turcs) et de l’Afrique du Nord (Libye et peut-être Algérie) qu’ils auront réorganisé. L’Allemagne, la colonie étasunienne par excellence en Europe,  se rebiffe  par la voix de son ministre des Affaires étrangères.

La perte des emplois industriels est un véritable problème dans les pays qui ont exalté en son temps la globalisation de l’économie et les délocalisations. Un travail  épidémiologique récent a mis en évidence un lien entre la concentration forte des morts par  overdose  des opioïdes dans certaines régions et le taux de fermetures des usines de production de voitures et de leurs sous-traitants dans ces foyers d’endémie de surconsommation des opioïdes. Ces résultats triviaux (absence de revenus et mauvaise santé publique) ignorent  d’autres travaux  qui avaient établi que la prescription des opiacés synthétiques était proportionnelle à l’activité marketing de Purdue Pharma et à sa communication biaisée de son produit OxyContin®. Le cynisme de la famille Sackler à l’origine d’une catastrophe sanitaire d’une ampleur considérable (700 000 morts en 24 ans) n’a pas de limites. La filiale internationale de Purdue Pharma, Mundi Pharma, a obtenu l’autorisation de mise sur le marché de l’antidote de l’OxyContin®, la naloxone, molécule qui n’est plus protégée par un brevet, tombée dans le domaine public,  sous forme de spray nasal. La forme galénique de Mundi Pharma est trente (30) fois plus onéreuse que la forme injectable vendue à moins d’un dollar en Asie.

En France, une étude analogue menée par des chercheurs de l’INSERM et du CNRS avait montré que l’impact du chômage sur la santé conduit à 14 000 décès par an. Les adeptes du darwinisme social (notion complétement étrangère aux travaux de Darwin qui avait montré que l’évolution des espèces se faisait au travers de la coopération et de l’empathie entre les individus) pourront se réjouir de l’élimination ‘sociale’ des ‘inutiles’.

Un manifestant français a arboré un drapeau français où était écrit sur la bande blanche : « Un jour, nous plumerons avec amour les vautours ».

Notes

 (*) Coalition de forces paramilitaires majoritairement pro-iraniennes intégrées à l’armée irakiennes

(**) Ce matin, le Général Qassem Sulaïmani a été tué aux côtés d’un haut responsable du Haschd Al Chaabi lors d’une attaque contre l’aéroport de Bagdad.

La rencontre de Pompeo avec Netanyahu au cours de laquelle le responsable étasunien a très chaudement remercié son hôte juste avant cet assassinat ciblé laisse supposer qu’Israël n’est pas étranger à cette attaque revendiquée par le Pentagone.