Les horizons des BRICS

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Les horizons des BRICS

• Le “front des BRICS” constitue aujourd’hui le point d’intérêt majeur de l’évolution de la situation globale. • Il y a deux axes de rencontres et d’organisation, d’une part entre la Russie et l’Inde pour mettre en place des processus d’intégration et de régulation de ce groupement qui est l’objet de demandes d’adhésion de plus d’une dizaine de pays du “Grand Sud”.• D’autre part, des rumeurs insistantes autour d’une visite à Ryad du Chinois Xi, pour à la fois négocier un contrat de pétrole Chine-Arabie et préparer l’adhésion de l’Arabie en même temps que la mise en place d’une monnaie de réserve commune.

Le succès considérable des perspectives d’agrandissement de l’organisation des BRICS contribue non seulement à susciter des modifications économico-monétaires planétaires, mais à donner à ces perspectives une coloration et un poids politiques en constante augmentation. Il faut garder cela à l’esprit, car c’est la chose qui importe, bien au-dessus de nous, sans que nous n’y puissions rien sinon d’essayer de la réguler (tâche spécifique des Russes, de leur goût pour la structuration légale) : la politisation des BRICS &Cie du fait même du renforcement et de l’élargissement du groupement dans un contexte de changement radical des structures des relations internationales.

A l’occasion d’une rencontre à Moscou avec le ministre indien des affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, le ministre russe Lavrov a évoqué cette dynamique. Il en a justement profité pour insister sur la nécessité de son organisation tout en respectant le rythme et la puissance de cette dynamique, – et cette occasion montrant combien la Russie entend reconnaître à l’Inde un rôle important dans cet aspect de l’organisation et de la régulation du regroupement à la veille d’une mutation sans précédent, de portée ontologique... Et tout cela se faisant, finalement, comme si l’essentiel des modifications fondamentales en cours se jouait désormais moins sur le champ de bataille ukrainien que dans ces contacts.

« Lavrov a indiqué que l'adhésion au bloc des BRICS est très demandée... “L’intérêt pour cette association mondiale est très, très élevé et continue de croître”, a-t-il déclaré. Il a confirmé que “plus d'une douzaine” de pays sont désireux d'y adhérer, dont l'Algérie, l'Argentine et l'Iran.

Toutefois, a poursuivi M. Lavrov, avant d'accepter tout nouveau membre, les BRICS ont l'intention de parvenir à un accord sur les critères et les principes d'une éventuelle expansion future. “Étant donné que des candidatures sont déjà soumises officiellement, nous nous attendons, bien sûr, à ce que l'harmonisation des critères et des principes d'expansion des BRICS ne prenne pas trop de temps”, a-t-il déclaré. »

• Parmi la “plus d’une douzaine des pays intéressés”, et avec la candidature officielle de l’Algérie hier, on décompte notamment (candidature déposée et intention de candidature) : l'Algérie, l'Argentine, l'Iran, l’Arabie, la Turquie, l’Égypte, l’Afghanistan, le Mexique, le Venezuela, la Colombie... Tous ces pays se démarquent dans des mesures différentes de la politique américaniste-occidentaliste d’attaque de la Russie via l’Ukraine, en s’y opposant absolument.

• On mesure certes l’ampleur du mouvement et l’on relève également la présence parallèle et nécessairement pacifiée de pays en état de quasi-confrontation si on les considère dans les conditions de l’ordre mondial américaniste-occidentaliste, – l’Iran et l’Arabie étant le cas le plus évident. Là est la dimension politique évidente, et forcée par la dynamique de l’événement. Cette dynamique suit les lignes de la multipolarité, certes, mais surtout celle du concept de “Grand Sud” qui devient de plus en plus politique et n’est plus qu’accessoirement géographique (seulement conceptuellement si l’on considère la Russie et la Chine qui tiennent l’édifice avec l’Inde). Dans ce cadre, la force de l’événement est d’écarter les querelles régionales favorisées par les USA et l’UE, pour se retourner contre ces acteurs devenus néo-colonialistes à leurs yeux.

• Cette “politisation” des BRICS (il faudra trouver un autre acronyme, tâche délicate) va encore s’accentuer selon une perspective économico-monétaire précise. Les néo-NAM, autre pseudo acronyme plus acceptable rencontrant la thématique BRICS, ont une vocation dite anti-impérialiste, donc nullement géographique.

• Nous sommes au cœur du sujet... Il faut écouter Christoforou-Mercouris parler de la visite annoncée du Chinois Xi à Ryad, pour rencontrer le Saoudien MbS, pour mesurer l’ampleur et la force des événements qui nous emportent actuellement.

« C’est Xi qui se déplace... C’est une grande nouvelle, car XI se déplace fort peu, plus du tout durant la crise-Covid...Il vient à Ryad pour, à mon avis, sceller un accord pétrolier avec MbS... Mais surtout pour examiner l’intention de l’Arabie de rejoindre les BRICS et dire à MbS : “Nous soutenons votre candidature et vous invitons en tant qu’observateur au prochain sommet des BRICS [en 2023]... Ainsi les BRICS deviennent les BRICSS ! ... mais bon, ayez surtout à l’esprit que les BRICS travaillent actuellement à établir une monnaie de réserve commune... Alors, qu’adviendra-t-il lorsque cette monnaie sera lancée et que l’Arabie sera entrée dans le groupe ? Logiquement, elle dira à ses clients qui achètent son pétrole : “Ne nous payez plus en dollars mais avec cette nouvelle monnaie dont nous sommes partie prenante...” » (Mercouris)

• Perspective ? Fin du pétrodollar !... “Pas si vite” s’exclame le chaland, commentateur cynique-sceptique à qui on ne la fait pas : “une telle énorme nouvelle, ce canard derrière lequel on court depuis des décennies...” Quoi qu’il en soit et malgré tout, une fois encore il se pourrait bien que nous y soyons, toujours à cause de la puissance et de la vitesse fulgurante, hypersonique, de cet événement suprahumain qui, seul et sans notre participation ni même notre réalisation, tient en main et anime cette chose qu’on pourrait désigner ‘Ukrisis & conséquences’.

Note de PhG-Bis : « Comme toujours, PhG reste flou lorsqu’il évoque “cet événement suprahumain”. Sans doute la crainte de paraître naïf, ou peu sérieux, toutes ces sortes de chose... Mais je vous dis qu’il y croit, qu’il ne s’embarrasse en rien d’arguments d’une rhétorique spirituelle mais se contente du constat. Tout le reste, ses réflexions et ses commentaires, n’a qu’à suivre, comme l’intendance. »

Effectivement, il existe une sorte d’“alignement des horizons” suscité par la guerre en Ukraine, mettant en évidence les monstruosités des prétentions hégémoniques des USA/du bloc-BAO, l’activisme de l’impuissance de l’UE (toujours plus d’impuissance, donc de désordre), conduisant par effet contradictoire à la renaissance de l’intérêt pour les BRICS. Les Russes et les Chinois, les deux moteurs politiques originels, y ont intérêt, l’Inde est poussée à un engagement plus actif par les maladresses américanistes, le reste des pays et des dirigeants cités se situent par rapport à ce bouillonnement central qui met en évidence la chute de l’influence de l’américanisme soudain précipitée, et bien illustrée par la crise intérieure de ce même américanisme. Même Israël s’y met : le retour de Netanyahou est celui d’un homme brutal mais formidablement expérimenté, qui a appris à ne pas sacrifier certains des liens auxquels il tient (avec Poutine, par exemple) à son obligation de maintenir ses liens avec les USA

« Cela a toutes les chances d’être brutal », observe Mercouris, parlant des réactions des USA à l’évolution des BRICS englobant l’Arabie, et cela peut même conduire à une (autre) guerre lorsque les USA s’apercevront que leur intérêt est bien plus mis en danger par l’évolution de l’Arabie que par l’aventure ukrainienne. Mais il y a une sorte d’alignement des inimitiés qui peut se concrétiser dans ce bouleversement des BRICS contre l’ordre américaniste-occidentaliste...

« ... Cela a toutes les chances d’être brutal, certes ... Mais n’oubliez pas ce lien symbolique qui unit ces gens et finalement, si vous les mettez ensemble, dans la même pièce, –  Xi, MbS, Poutine, Erdogan, et même Netanyahou, [ce lien symbolique actant une certaine communauté de politique est qu’] aucun d’entre eux n’aime beaucoup Biden... »

C’est une image à l’emporte-pièce, bien entendu, qui ne dit rien des innombrables difficultés qui doivent être attendues mais dont on peut penser qu’elle peut rendre compte d’une sorte de symbole qui définirait une situation complètement nouvelle. Au reste, la partie est engagée au niveau de la communication, comme on le voit avec le bruit d’une attaque-surpise que préparerait l’Iran contre l’Arabie, qui a été aussitôt débusquée comme un canard anglo-saxon lancé pour tenter de bloquer les très concrètes manœuvres de rapprochement de MbS vers l’Iran, puisque demain, finalement, ces deux ennemis jurés se retrouveraient unis par une commune appartenance à un hyper-néo-BRICS... Peut-être même cette sortie conduirait-elle un Israël à nouveau “nétanyahousé” à envisager de ne plus envisager une guerre contre l’Iran si, par exemple, la Russie reprenait un de ses projets des dernières années d’offrir une garantie de protection nucléaire de la région interdisant la possibilité d’un tel usage par une des puissances régionales.

Comme se profile cette refonte majeure et révolutionnaire, plusieurs situations fondamentales sont sinon probables, dans tous les cas extrêmement possibles :

• La “brutale” révélation que certains des sempiternels conflits régionaux, qui subsistent notamment au Moyen-Orient à cause des manigances américanistes-occidentalistes, peuvent soudain démontrer leur obsolescence par complète absence de pertinence ;

• La possibilité tout aussi “brutale” d’un risque de conflit majeur déclenché par des USA, – qui, par exemple, ont des forces armées en Arabie, – découvrant leur intérêt bien plus menacé en Arabie qu’en Ukraine ;

• La déroute, tout aussi bien et inversement, des mêmes USA placés devant une situation de fait qu’ils n’auraient su prévoir, d’une “dédollarisation” brutale, alors qu’ils se trouveraient eux-mêmes dans une situation intérieure de chaos suivant des élections déjà marquées par des lenteurs et des accusations de fraude significatives, toute la machine de guerre et d’influence restant orientée vers l’Ukraine... ;

• La perspective évoquée, dépouillée de toutes les fanfreluches et gâteries sociétales du wokenisme américaniste-occidentaliste si violemment dénoncées par Poutine à Valdaï, donne une mesure de la distance culturelle séparant les groupes en formation des “règles” pourries et sans substance des structures de notre ordre américaniste-occidentaliste des adorateurs de la démocratie et de ses simulacres.

Réponse à Dostoïevski

On ne s’étonnera pas nécessairement de faire le constat que tous les pays convoqués pour cette perspective des horizons des BRICS sont à fortes traditions, peu amis de nos “valeurs” démocratiques et néolibérales ; souvent d’une religiosité intense sans être toujours amicale l’une pour l’autre – qu’importe, l’histoire en se faisant métahistoire me veut ainsi... Leur regroupement s’explique mieux de cette façon, selon nous, que selon un argumentaire idéologiquement moralisateur inspiré justement de la logique et de la moraline de nos “valeurs” par effets inversés, forçant ainsi à conserver ces “valeurs” comme références.

Nous dirions alors que ce n’est pas l’anticolonialisme qui les réunit contre nous mais le refus d’une “façon d’être” qui confisque l’être par l’hystérie du matérialisme hédoniste recommandé par les tentations néolibérales. Pour commenter son dernier livre « Les dépossédés », Christophe Guilluy explique ceci sur Europe1, le 2 novembre, en décrivant ainsi le fondement spirituel de la crise de notre monde-BAO, ce qui est justement la cause de notre mise en cause par le reste du monde ; et établissant une passerelle entre nos propres soubresauts de contestation de nous-mêmes par nous-mêmes, et la dynamique des horizons des BRICS :

« La contestation, aujourd’hui, elle n’est pas nourrie seulement, j’allais dire, par du matériel, mais aussi par de l’immatériel, c’est-à-dire un sentiment généralisé ou en tous cas majoritaire dans l’ensemble de [nos] pays, d’être dépossédés de ce que l’on avait mais aussi de ce que l’on est... »

Se référant au Dostoïevski aujourd’hui interdit, celui des « Possédés » auquel répond Guilluy, le président G.W. Bush précisait, dans un discours resté fameux paraît-il de janvier 2005, là où il saluait avec un enthousiasme presque émouvant d’infantilisation guerrière l’immense et lumineux effort de démocratisation américaniste-occidentaliste entrepris et réussi en Irak ! Et ainsi, G.W. Bush, précisant en vérité et pour les oreilles attentives, que l’incendie avait consumé l’être bien plus que le néant, comme nous continuerions à faire tout au long de ce grand’œuvre, jusqu’à nous, jusqu’à 2022 :

« Par nos efforts [de liberté et de démocratisation], nous avons allumé un incendie, un incendie dans l’esprit des hommes. »

 

Mis en ligne le 9 novembre 2022 à 17H40