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69318 novembre 2010 — …La “Grande Ombre”, c’est la majestueuse, la puissante et inaltérable présence du général de Gaulle, non comme un souvenir teinté de nostalgie mais comme une pression permanente de l’Histoire pour mettre en évidence les bassesses, la médiocrité, les manquements courants de la politique française actuelle. Chaque anniversaire (celui de sa mort, le 9 novembre) permet de renouveler l’éclairage révélateur et qui nous désole de la situation présente par rapport à ce qu’il était, – paradoxe d’une “Grande Ombre” qui dispense régulièrement une lumière révélatrice sur un paysage lui-même plongé dans l’ombre du néant.
C’était un constat de départ… Revenons à nos moutons électoraux, pour dire tout le désintérêt qu’ils nous inspirent.
En effet, laissons de côté, respectivement, les calculs politiciens de ce président de la république (pour sa réélection), les calculs d’équilibre des tendances politiques, les fluctuations entre droite et centre, entre personnalités politiques “normales” et “people” (type Kouchner ou Mitterrand, Frédéric)… Laissons basse-cour et volailles, pourtant pour nous intéresser à un événement qui n’est fait en principe que de basse-cour et volailles, mais qui pourrait permettre de s’en dégager pour un peu, pour un temps. On verra.
Une seule chose nous intéresse dans ce remaniement du gouvernement français qui a pris la forme d’un roman-feuilleton grotesque de quelques mois, le tournant “gaulliste” évidemment éhonté et honteux de Sarkozy, son remaniement allant dans le sens d’un rétrécissement sur la composante de lointaine origine gaulliste, les héritiers des héritiers des héritiers, avec toute l’essence de la chose perdue dans le parcours, – mais enfin, tout ce beau monde, conduit à se ranger approximativement sur la ligne gaulliste. Dans ce remaniement, deux nominations nous intéresseront : Alliot-Marie, dite MAM pour Michèle, aux affaires étrangères, Juppé à la défense.
Sur le second (Juppé) et faisant une comparaison fort critique, Maurice Szafran, de Marianne, fait un commentaire le 15 novembre 2010 (“l’un s’est couché, l’autre non”, l’un étant Juppé, l’autre Borloo). Nous passons sur le récit, par ailleurs intéressant pour le domaine, du refus de Borloo des habituelles tentations sarkozystes pour que sa liquidation (celle de Borloo) n’ait pas l’air de ce qu’elle fut, et ne lui attire pas trop de vindicte de ce côté. Raté, certes, mais là n’est pas le propos. Prenons le récit de Szafran à partir de Juppé…
Donc, Borloo a refusé le “fromage” qu’on lui offrait (tel ou tel “très grand ministère” en échange de la promesse trahie du poste de Premier ministre)… «Eh bien oui, dans un univers politique où l’absence de morale semble désormais aller de soi pour la plupart des acteurs et observateurs, il a… refusé. Avec éclat, en le faisant savoir par écrit. Refus d’intégrer un gouvernement, non pas UMP, mais strictement RPR ; refus d’intégrer un gouvernement où la part des centristes, ces démocrates-chrétiens, ces chrétiens-sociaux est sacrément niée ; refus d’intégrer un gouvernement serait-ce aux postes les plus prestigieux. Ce n’est pas banal, c’est bien le moins que l’on puisse considérer.
»Alors, bien sûr, certains s’interrogent ? Qu’est-il donc passé par l’esprit de Jean-Louis Borloo ? Comment a-t-il pu renoncer, sans apparemment tressaillir, à un aussi “beau fromage” ? Sans doute les réponses sont-elles simples : Borloo conserve, en dépit de tout, en dépit d’un chemin complexe où il se “couchât” à de nombreuses reprises, oui, Borloo conserve quelques principes. La politique façon Sarkozy-Chirac – et chiraquiens réduite à sa plus simple expression, – cette politique-là, non décidément, ne l’intéresse pas. Il ne serait pas inopportun d’ailleurs de comparer le départ de Jean-Louis Borloo au retour … d’Alain Juppé. Pourquoi le nouveau ministre de la Défense ne nous explique-t-il pas comment il peut servir de caution à un président de la République qui a choisi de réintégrer le commandement de l’OTAN ? Il semble nous souvenir qu’à l’époque, Alain Juppé avait fermement condamné ce choix, au nom du gaullisme et du chiraquisme … Mais il faut comprendre le maire de Bordeaux. A son âge, c’est sans doute la dernière fois qu’il peut prétendre aux ors de la république. Libre à nous de préférer l’attitude de Jean-Louis Borloo que nous n’avons jamais ménagé particulièrement, rappelons-le.»
@PAYANT Par conséquent, conclura-t-on, la messe est dite. Sarko a attiré Juppé (et MAM) dans les filets des privilèges de la haute fonction républicaine, et pas Borloo, etc… Est-ce là le fond du problème ? Est-ce là l’intérêt de l’événement (le remaniement), dont tout le monde dans l’opinion publique, assure le sarcastique et crépusculaire Eric Zemmour, se fout comme d’une guigne ?
Abordons la chose sous un autre aspect. Ce “repli sur le gaullisme” (le pseudo-gaullisme, cela va de soi) de Sazko, et sur la tendance RPR censée représenter l’héritage, est, quoi qu’on en observe justement du point de vue de la tactique, tout le contraire d’un “repli” du point de vue stratégique, et même au-dessus… “Repli” tactique selon la soupe politicienne et électoraliste, lot quotidien d’un Sarko, en même temps qu’un “kidnapping” éhonté du gaullisme par le même Sarko qui ne doute de rien (encore Marianne, le 14 novembre 2010), – mais sacré risque stratégique. Sarko, qui est aux abois, ne voit que l’aspect tactique et, effectivement, il se replie, d’autant que peu de gens (voir Borloo) lui font des cadeaux en ce moment. Notre intérêt ira à la dimension stratégique, et même au dessus si c’est le cas, et alors nous parlerons de Juppé et de MAM.
Il importe d’aborder le personnage (Sarkozy) tel qu’il l’est, plutôt que se lamenter en déplorant avec fureur l’absence de tout ce qu’il n’et pas. C’est un homo postmodernicus, nécessairement sans conviction profonde, ni conviction du tout, absolument, puisque tout entier soumis au système de la communication, au “premier degré” dirait-on, sans conscience que ce système peut être manipulé à son avantage lorsque l’avantage qu’on cherche est pour lutter contre la dictature du système, mais au contraire se reposant confortablement sur lui pour tout ce qui concerne le travail de la pensée. Son caractère de conviction est à mesure, conformément à ce qui est dit plus haut, un caractère de conviction qui est absence de conviction propre et attaché à des stéréotypes d'une parodie de conviction, ou d’apparences de conviction vide de toute substance. Son pro-américanisme qui semble aussi dépassé que les albums de bande dessinée de Buck Danny, voire son pro-libéralisme qui permet la parade pour la galerie, sont de pure pacotille, répondant à des stimuli extérieurs très puissants quantitativement mais d’essence qualitative quasiment nulle ; d’où cette absence de conviction, de principes, etc. S’il n’a rien à voir avec les hommes d’Etat du passé, il n’a, de même, rien à voir avec les actuels “croyants” de l’hyper-libéralisme ou de l’américanisme, qui sont, eux, des hommes de conviction, – mais de convictions négatives et perverses, vicieuses plus encore que fausses, convictions suscitées par l’effondrement et la chute, également convictions nées de la psychologie malade. Sarko n’est pas non plus cela, un “croyant” du système.
(Curieusement, Le Monde, pour le critiquer justement, parle de “sa force de conviction”, – que le chroniqueur du journal a trouvé absente lors de l’entretien du 16 novembre. Et Olivier Biffaud note, le 17 novembre 2010: «Sa force de conviction, qui est un paramètre dominant de sa personnalité, tournait au ralenti.» C’est, à notre sens, se tromper lourdement sur le sens des mots : énergie, affirmation, voire “volontarisme”, tout cela comme autant de mécanismes du comportement mais sans nulle vertu ni vice en soi, comme méthodes de communication, etc., mais nullement conviction, oh certes non, puisque sans aucune substance sérieuse derrière, puisque substance informe, et donc sans essence ... La conviction n’est pas quelque chose qui se manie selon l’exercice de la force oratoire, selon le “jeu” de l’orateur. C’est quelque chose qui ressort de soi-même, qui transcende l’orateur sans qu’il s’en aperçoive expressément, même s’il en a conscience, qui s’exprime sans qu’il la sollicite vraiment, qui le soulève et l’emporte, en lui donnant une force transcendantale, comme le ferait une force extérieure à lui mais qui l’habite et qui, à cette occasion, se manifeste. Rien à voir avec un agité énergique qui frappe du poing sur la table en clamant “Je veux !”, “Je décide !”, “Je réforme !”… Ne pas confondre torchons et serviettes, please.)
Par conséquent, il (Sarko, toujours) est malléable selon ce qu’il perçoit de ses intérêts, et il l’est presque par nature, sans embarras de scrupules ni la moindre conscience du fait de la contradiction, et de la trahison, aujourd’hui, de ce qu’il était hier. (Il ignore sans aucun doute le sens ontologique, sinon l’existence du mot “trahison”, puisque pour en connaître il faut des références qui se nomment “loyauté” et “honneur”, caractères qui ont disparu de l’écran radar de la postmodernité.) Son “tournant” vers le gaullisme est en soi une démarche grotesque et pitoyable, mais il est cela pour lui-même. Elle confirme sa petitesse d’esprit et sa pauvreté d’âme, c’est-à-dire sa faiblesse psychologique, pour lui aussi, devant les pressions d’un système représentant “la source de tous les maux”’. Cela n’empêche pas que l’événement représente objectivement un avantage, dans la mesure où l’événement pousse vers une politique identifiée, connue, dont on connaît les principes simples et les politiques qui en découlent. S’il s’engage, Sarko, dans cette voie qu’il pourrait juger électoralement comme celle de sa sauvegarde, il sera dans l’obligation d’accepter certaines politiques qui ont des vertus évidentes, sans qu’il soit nécessaire qu’il distingue ces vertus. Le personnage ne sera pas grandi (et il n’est même pas sûr que cela le serve électoralement tant il a démontré sa médiocrité et sa bassesse) mais la politique sera différente.
L’essentiel n’est pas le président de la république, puisqu’il s’agit d’un homo postmodernicus, cet être dont l’absence d’essence transcendantale est tellement avérée que cela en est cocasse. L’essentiel est la politique qu’il est conduit à ordonner, par le “job” qu’il assure plutôt que le fonction qu’il assume, selon ce qu’il croit de son intérêt. Dire que Sarko est devenu “gaulliste” est un sophisme de caniveau, dire que Sarko peut ordonner une politique avec des aspects gaullistes de base est une possibilité sérieuse. On comprend qu’à ce point, le sort de Sarkozy ne nous intéresse pas, au contraire de ce que peut devenir, pour l’intervalle vers 2012, la politique de la France. Conduire “une politique avec des aspects gaullistes de base” ne présente aucune difficulté, ne nécessite aucune disposition particulière, il n’y a qu’à suivre la “feuille de route” laissée par la Grande Ombre
C’est à ce point que nous revenons aux deux personnages qui tiennent les fonctions clefs de la politique régalienne de souveraineté et d’indépendance nationale que sont les affaires étrangères et la défense nationale. On les connaît tous deux. S’ils ne peuvent être mis parmi ceux qui représenteraient le sens même de la politique gaullienne, disons de cette sorte où vous ne trouverez plus personne dans la basse-cour politique française depuis la mort d’un Séguin par exemple, ou d’un Jobert quelques années avant, ils n’en disposent pas moins d’une certaine stature qui les met à part de la génération sarkozyste, quasiment insaisissable et insupportable si l’on prétendait donner à cette génération un sens politique quelconque. Juppé a la carrière qu’on sait, avec un passage aux affaires étrangères qui a laissé des souvenirs acceptables ; Alliot-Marie a laissé, à la défense, un souvenir non moins apprécié, et on se souviendra de la façon dont elle moucha superbement, en février 2003, à une époque où la volaille tremblait devant “les amis américains”, un Rumsfeld en pleine fureur d’hubris américaniste, du temps de l’invasion de l’Irak, à la Wehrkunde de Munich.
Se sont-ils “couchés”, – dans tous les cas pour Juppé, selon Szafran, et en tout bien tout honneur pour MAM, qui d’ailleurs est au gouvernement constamment depuis 2002 ? Peu nous importe, si même ce n’est pas vraiment notre impression. La dimension et la vertu morales de tous ces personnages, d’ailleurs avec des raccourcis de vanité, d’intérêt, de susceptibilité, etc., dans une période si confuse où les courants de l’Histoire emportent tout et font des êtres des acteurs secondaires, relèvent plutôt de l’anecdote et de l’accessoire, en plus d’être complètement indéfinissables dans la confusion des contradictions qui nous secouent. Ce qui nous importe, c’est de reconnaître des personnages précis, ceux que nous avons nommés, avec un président à l’autorité réduite et qui s’est attaché à une imposture spécifique (le rapt de l’héritage gaulliste) qui l’oblige à certaines orientations, et ces personnages qui vont être confrontés à des situations où ils pourraient, sans trop de risques ni de dégâts pour eux-mêmes, avoir des réactions et des humeurs un peu plus hautes que les ectoplasmes qu’ils remplacent. Un Kouchner à une réunion de l’OTAN, cela ne pouvait donner qu’un “soap opéra” du niveau des dîners en ville, que l’on apaisait d’un signe de la main mondain et négligent ; une MAM dans les mêmes circonstances, cela peut donner un dialogue sévère avec l’un ou l’autre, et l’impression retrouvée, autour de la table du Conseil, que la France est redevenue un interlocuteur exigeant, difficile et insupportable. (Même chose pour Juppé par rapport à Morin, le rapport des statures et des caractères étant le même.)
Qu’on se comprenne bien… Il ne s’agit pas d’attendre des sauveurs mais de constater que certains personnages politiques, effectivement “dans une période si confuse où les courants de l’Histoire emportent tout et font des êtres des acteurs secondaires”, peuvent être aptes à mieux et à bien traduire, par leur attitude naturelle et leurs réactions évidentes, en bons “acteurs de complément”, une politique française qui s’insérerait bien dans les grands courants historiques et réhabiliterait quelque peu le statut de la France emporté dans la médiocrité sarkozystes. Et justement, puisqu’il faut le répéter, l’affaiblissement de Sarko impliquera moins de contrôle, c'est-à-dire plus de latitude laissée à ces personnages, pour qu’ils aillent éventuellement dans ce sens. A eux de faire et peut-être auront-ils le goût de faire…
Tout cela, d’autant que les événements vont continuer à ne cesser d’être de plus en plus pressants, dans la confusion et le désordre, où il n’existe plus de ces regroupements paralysants (comme l’était la volaille de l’OTAN autour des USA), où le goût d’affirmer une politique puissante et pérenne peut revenir le temps d’un instant et d’une réunion, – et que cela laisse des traces. Nous sommes dans une époque où les USA vacillent, où le respect qui semblait leur être dû disparaît en fumée, où la situation washingtonienne ressemble à un documentaire sur l’asile du Vol au-dessus d’un nid de coucous ; une époque où l’Europe brinqueballe, où la sécurité européenne ne sait plus ce qu’est la sécurité ni ce qu’est l’Europe ; où l’OTAN échafaude des “concept stratégique” et des réseaux anti-missiles en se débattant dans un bourbier comme nulle mémoire de guerrier n’a le souvenir… Il y a de quoi faire pour laisser échapper un peu d’héroïsme par inadvertance, pour qui peut en avoir le goût et un peu de la pratique.
L’époque est totalement, absolument, hermétiquement “maistrienne”… Les plus marquants parmi les “scélérats” de la situation courante sont emportés par le courant du désordre. Dans ce cadre incertain et vacillant, il y a assez d’espace, pour certains, pour être pris dans la pression des contraintes historiques et avoir le goût d’interpréter une politique dans ce sens (ce qui est le cas de la politique gaullienne), dont un président bien commun a décidé de s’approprier pour tenter d’avoir un peu plus de stature avant les scrutins des lendemains incertains. Cela laisse de la place pour l’une ou l’autre surprise. L’hypothèse est jouable, – cela écrit sans plus d’illusion, simplement pour illustrer le chaos d’un destin qui ne prend plus de gants avec les amateurs, – lesquels amateurs, désormais, semblent la marque exclusive du caractère dans les plus hautes directions politiques des pays de notre système occidentaliste-américaniste.
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