Les incartades du “Dome de la victoire” et notre méthodologie

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Les incartades du “Dome de la victoire” et notre méthodologie

Comme on ne l’a pas vu sur ce site, mais comme on l’a abondamment vu ailleurs, la performance du Iron Dome israélien contre les roquettes palestiniennes durant la récente crise Gaza-II a été officiellement qualifiée de succès complet. Aviation Week du 26 novembre 2012 parle même, dans son style sobre et très professionnel, d’une “efficacité surprenante”. C’est la marque classique des grandes surprises (heureuses) de la technologie d’armement dans cette sorte d’écrit… (Il est à noter que dans d’autres temps, tout aussi suspects que les temps actuels contrairement à la coutume, la même “surprise” fut manifestée dans les mêmes publications devant l’“efficacité surprenante” du Patriot lors de la première Guerre du Golfe. On sait ce qu’il en est resté.) Puis les premiers “couacs” apparaissent dans le système de la communication, comme c’est toujours le cas. Ce n’est pas un complot (contre le vertueux Iron Dome, d’une vertu à la fois politique et technologique, l’une alimentant l’autre, l’une justifiant l’autre et ainsi de suite). Ce n’est que le schéma habituel de la bataille de la communication, que ce soit celui du Patriot que nous avons rappelé (le même 22 novembre 2012), celui du JSF et tant d’autres. Il faut attendre les premières affirmations officielles, qui vont toujours dans le même sens qui est celui du Système qui domine tout et ne cesse d’accumuler les heureuses “surprises” technologiques, pour réagir comme il importe, c’est-à-dire appliquer le principe de résistance qui découle du principe général de la bataille antiSystème.

Notre position générale est de garder à l’esprit que la bataille de la communication est constante et que les normes de cette bataille, plus encore et d’une façon décisive pour la période ouverte depuis la guerre du Kosovo et 9/11, ont été clairement énoncées par l’autorité en théorie légitime, elle-même. (Voir le 13 mars 2003, et l’exemple du secrétaire à la défense Rumsfeld annonçant que la dissimulation et la transformation de la réalité, – pour ne pas parler de vérité, ce qui serait incongru à ce niveau, – constituaient désormais l’essentiel de la démarche de communication de ces autorités légitimes , ce qui nous autorise à considérer ces autorités, justement, comme totalement délégitimées et à les tenir comme suspectes a priori, et plus suspectes que n’importe quelle autre source. Notre texte du 27 octobre 2012 reprend tous ces éléments dans un contexte plus large.) Notre position spécifique dans le cas du Iron Dome est simplement d’apprécier, en plus de l’appréciation de principe énoncée ci-dessus, que l’informateur principal sinon exclusif, c’est-à-dire un informateur qui prétend être légitimé et qui ne l’est plus du tout, qui pose au juge techniquement impartial en la circonstance, qui prétend être la seule source technique possible (comptage des roquettes détruites), est en réalité un conglomérat comprenant l’IDF israélienne et ses relais au Pentagone, les constructeurs du Iron Dome Rafael et Raytheon, le complexe militaro-indistriel en général ; que ce “juge”-là est par conséquent, également, extrêmement intéressé à l’issue de cette affaire, – on appelle cela être “juge et partie” ; qu’il a montré depuis de nombreuses années, à peu près dans toutes les occasions concevables et expérimentées, qu’il transformait la réalité au profit de la narrative qui va bien. Notre première réaction de principe, en plus de quelques faits parcellaires mais néanmoins à prendre en compte dans ce sens, avait été, et reste plus que jamais, selon l’observation que la source “juge et partie” a tous les moyens de fabriquer cette narrative et qu’il n’existe aucune occasion sérieuse où il ait montré qu’il s’en soit privé, qu’il est tout à fait légitime de penser qu’il l’a fait à nouveau, dans un domaine qui est caractérisé pour la communication “officielle” quasi-exclusivement par la construction de narrative.

Cette intervention, on s’en douterait éventuellement, vient ici à la suite de préoccupations montrées par un des lecteurs de notre texte précédent sur le Iron Dome (voir le forum, le 23 novembre 2012, « Dôme de fer. Moui, mais bon”). Ce même lecteur renvoyait à Jean-Dominique Merchet, de Marianne, qu’il qualifiait de “journaliste prudent” (outre d’être, selon la même ligne d’appréciation, “informé” et “exigeant avec les faits”). Dans ce cas aussi, dans le champ prétendument objectif des informations concernant les “faits” techniques (communiquées par l’autorité dont nous avons parlé plus haut), la “prudence” peut également s’exercer, souvent par simple réflexe de conformité qu’on confondrait avec l’objectivité, par rapport à la sensibilité idéologique du cas lorsqu’il est question d’Israël, – et l’on comprend dans quel sens. Nous prendrions donc ce journaliste comme référence, à propos d’un autre sujet, pour monter combien notre méthode diffère de la sienne, sans qu’il soit nécessaire de trancher sur les vertus respectives de l’une et de l’autre, mais en laissant faire le temps, l’expérience et le bon sens pour rendre un jugement. Cela est à propos des armes chimiques qu’Assad s’apprêterait à utiliser, sur la foi sans aucun doute excellente de déclarations US (voir Marianne, le 4 décembre 2012). Là aussi, il s’agit d’une première réaction à une information sur laquelle il est paraît-il impossible de se prononcer avec conviction (cette appréciation n’est pas la nôtre), – et l’on notera que la “‘prudence” va jusqu’à envisager les deux possibilités, mais d’une façon qui, sans aucun doute, laisse dans notre esprit l’idée claire d’une préférence…

«Faut-il croire le “responsable américain” ? De source indépendante, il est impossible de vérifier. La tentation est grande de se rappeler la fable de l’enfant qui crie au loup. A plusieurs reprises, on vient le secourir pour découvrir qu’il a menti. Mais lorsque le loup vient vraiment, plus personne ne le croit et l’animal le dévore. Ce n’est pas parce que les Américains ont menti sur l’Irak qu’ils mentent sur la Syrie – mais rien ne prouve le contraire non plus !»

Ecrivant à cette même date et sur ce même sujet, nous aurions été tenté, tout aussi clairement et selon notre conviction, de retourner nombre de phrases par rapport à ce texte, de ne pas nous rappeler la fable (?) de l’enfant qui crie au loup parce que “l’enfant” symbolise le “responsable américain” qui n’a rien d’un enfant pour ce qui est de l’innocence, que son parti a déjà menti tant de fois qu’on peut juger que le mensonge est chez lui une pratique systématique, que tout le monde tend à continuer à le croire parce que c’est un “responsable américain” et que la révérence devant l’autorité même délégitimée est pratique courante, que c’est donc bien assez pour prendre comme hypothèse de départ qu’il ment à nouveau. (Notre conviction dans cette problématique est que le mensonge des “autorités légitimes”, et délégitimées pour nous, est volontaire parfois et plutôt rarement, qu’il est involontaire et inconscient le plus souvent, par auto-désinformation et mésinformation, et révérence devant la narrative. Notre conviction est que cette narrative est construite par conformité au Système, sans réelle conscience de l’aspect faussaire de cette démarche exclusivement faussaire. Cela ne change rien à notre jugement sur le phénomène de communication, sinon de le rendre infiniment plus grave encore quant à la situation ainsi révélée.) … Nous aurions donc retourné la phrase («Ce n’est pas parce que les Américains ont menti sur l’Irak qu’ils mentent sur la Syrie…») en une “C’est parce que les Américains ont menti sur l’Irak (et en tant d’autres occasions hier) qu’ils mentent sur la Syrie (et en tant d’autres occasions aujourd’hui)…” ; cela, sans mentionner l’ultime et “prudente” réserve qui permet de se couvrir tout en prenant implicitement position : cette sorte de réserve va de soi et va sans dire pour tout esprit honnête qui ne peut prétendre détenir la vérité de la situation, et qui n’a nul besoin de “se couvrir” en l’occurrence puisqu’il n’a pas de préoccupation de prudence idéologique. (Nous écrivons cela avec d’autant plus de conviction que la nouvelle concernant les armes chimiques pourrait éventuellement être confirmée par des événements à venir et semblerait alors complètement contredire notre propos. Cela n’est en rien notre appréciation puisque nous parlons ici de méthodologie et non de “faits”, à propos desquels notre exigence concerne plus leur identification en tant que “faits” que leur éventuelle véracité tels qu’ils nous sont présentés en mode “prêt-à-penser”. Ce qui nous importe selon notre méthodologie est d’identifier et de dénoncer la référence faite au pouvoir officiel légitime alors qu’il est complètement délégitimé, et donc déstructurant et destructeur de tous les principes. Cette méthodologie est de type antiSystème et s’occupe d’abord de dénoncer la méthodologie adverse, et la pratique constante de tous les artifices identifiés. Quant aux “faits” eux-mêmes, concernant cette affaire syrienne, nous recommanderions beaucoup plus, comme sujet de réflexion si l’on tient à en faire un tel sujet, les considérations et citations d’un site tel que The Moon of Alabama, par exemple le 3 décembre 2012, le 5 décembre 2012 et le 6 décembre 2012.)

Le même type de raisonnement s’applique absolument et nécessairement aux résultats sensationnels de l’Iron Dome. Ainsi et revenant à notre sujet de circonstance, on ne peut éprouver aucun étonnement du fait que le professeur Postol se signale à nouveau, comme contestataire des performances de l’Iron Dome, lui qui fut le contestataire principal des performances du Patriot, avec la confirmation qu’il reçut ensuite de la justesse de ses contestations. Antiwar.com signale les doutes qui naissent à propos d’Iron Dome, le 5 décembre 2012. Le Globe and Mail du 30 novembre 2012 nous donnait les informations sur l’attitude contestatrice de “certains experts”, dont le professeur Postol…

«Israel’s sophisticated and expensive anti-missile Iron Dome was hailed for intercepting hundreds of crude but deadly incoming rockets fired from Gaza in the latest flare-up of fighting. But some independent missile analysts, including one who called out the Pentagon for similarly extravagant success claims for Patriot anti-missile systems during the Persian Gulf war, question Israel’s claim of a “kill” rate approaching 90 per cent. “Initially, I drank the Kool-Aid on Iron Dome, just as initially I did with the Patriots,” said Theodore Postol, a physicist and missile-defence expert at the Massachusetts Institute of Technology. It was Prof. Postol who, during the 1991 Persian Gulf War, debunked Pentagon claims that its Patriot anti-missile system was successfully shooting down Iraqi Scud missiles.

»“I’m skeptical. I suspect it is not working as well as the Israelis are saying … but there is great value in the strategic deception” in claiming very high success rates, Prof. Postol said in an interview. Although hard evidence is scanty, he pointed to the absence of secondary blasts – indicating the interceptor warhead exploded but did not ignite the incoming missile – and, more importantly, the lack of damage evident on missile carcasses recovered in Israel and filmed by the media. If the missiles launched from Gaza were being intercepted – blasted out of the sky rather than falling short of exploding harmlessly – the wreckage should bear the telltale scars of punctures caused by tiny rods blasted from the Iron Dome interceptor warheads, he said.»

Il s’agit pour nous de bien fixer notre position dans l’esprit du lecteur. Il doit être compris sans aucune ambiguïté qu’il n’y a nulle intention polémique, ni vis-à-vis d’un lecteur, ni vis-à-vis d’un journaliste. Il y a l’exposé d’une différence de méthodologie, à côté du constat mille fois faits que la qualification d’“objectivité” de certains domaines techniques ne garantit en rien la sûreté de l’information, qu’au contraire elle est utilisée si souvent d’une façon faussaire qu’on pourrait parler d’un “système” de communication au profit à la fois des intérêts en jeu et de l’idéologie impliquée. Mais notre méthodologie va au-delà de tels constats, qui ne sont mentionnés que pour l'illustrer.

Cette méthodologie prend en compte l’affirmation péremptoire, répétée de nombreuse fois et démontrée encore plus souvent par les faits, que l’autorité officielle et légitime a systématiquement et explicitement abandonné le principe qui fonde sa légitimité, en sacrifiant tout aussi systématiquement à la pratique de la fabrication d’une réalité s’accordant à l’idéologie qu’elle sert, et au Système par conséquent, jusqu’à la sophistication de créer un univers virtualiste et de fabriquer des narrative pour cela. Que cette démarche soit finalement complètement de la responsabilité ultime du Système et de son influence diminue sans doute la responsabilité de ces autorités, qui sont devenues servantes asservies à ce Système, – mais certainement pas l’appréciation pour le moins désenchantée qu’on peut avoir d’elles. Par contre, ce constat-là ne fait que renforcer pour nous la nécessité de nous appuyer sur un principe pour notre démarche de communication. Ce principe est d’une façon générale celui de la résistance à la déstructuration et à la dissolution et il peut être identifié, en l’occurrence, comme quelque chose qu’on pourrait nommer “le principe de l’antiSystème”.


Mis en ligne le 6 décembre 2012 à 09H41