Les incertitudes de Clemons et le cas BHO

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Steve Clemons est un expert de politique extérieure très influent dans les orientations sérieuses washingtoniennes, d’une opinion modérée et éclairée très représentative de l’aile la plus ouverte de l’establishment. Deux de ses interprétations sur deux interventions de Barack Obama montrent un contraste révélateur, moins par leur appréciation propre que par ce qu’elles révèlent du climat washingtonien vis-à-vis d’Obama.

• Le 19 décembre 2009, Clemons donne une appréciation assez laudative sur l’aspect “technique” de l’action de BHO à Copenhague.

«President Obama demonstrated his work-the-situation prowess in Copenhagen in which he molded a meeting planned with Chinese Premier Wen Jiabao, who may have been trying to duck Obama, into a five way chat between the leaders of China, Brazil, India, South Africa and the United States.

»When Obama is on, he really is on. Obama biographer Richard Wolffe hammered home Obama's approach to challenges as basketball games and how he sees situations like the one he confronted in the quickly deteriorating Copenhagen scene.»

• Par contre, le lendemain 20 décembre 2009, Clemons fait un commentaire furieux sur l’attitude de Barack Obama, à partir d’une déclaration du conseiller spécial d’Obama, David Axelrod, à propos de la loi sur les soins de santé sur le texte de laquelle le Sénat semble s’être mis d’accord. Le texte rend furieux une part très importante des partisans d’Obama, et Steve Clemons lui-même, sans satisfaire les républicains – mais en satisfaisant les grands trusts d’asssurances.

«Wow. David Axelrod acknowledged this statement today from David Gregory on Meet the Press: “[Barack Obama] supported the public option. He did not fight for it till the end of the day.”

»What a stunning acknowledgment! Well more than half of the US Senate wanted that public option – which President Obama preferred – and he didn't fight for it? Did he fight for women's health rights? Or did the President support the right of women to have coverage for abortions but not fight for that either? […] We know that Barack Obama supports a fair, no false choice approach to a viable Palestinian State next to Israel – but is he going to fight for it? […]

»I wonder how many New Year's Resolutions Barack Obama will make of things he wants to do or wants to believe in but won't fight for.»

Notre commentaire

@PAYANT Clemons est un personnage très intéressant, très représentatif, et particulièrement avec les deux cas exposés, qui ont en plus l’avantage de se suivre un jour sur l’autre (et l’un après l’autre sur son site). D’une part, Clemons est très rationnel, très mesuré dans ses jugements de politique générale, et d’une tendance modérée comme on l’a vu. D’autre part, Clemons a un aspect plus personnel qui influe sur certaines autres de ses positions politiques, essentiellement de la politique de la société civile. Il est homosexuel, militant, favorable au mariage entre homosexuels (et, selon notre interprétation, lui-même marié en Californie, Etat qui a adopté cette pratique). Sur ce plan, et l’on comprend pourquoi, la raison et la mesure laissent parfois place à une certaine passion, ou du moins à une attitude militante. Cette attitude concerne effectivement la loi sur les soins de santé, qui fait partie des domaines de la politique de la société civile qui touche personnellement Clemons autant qu’elle a un aspect de politique intérieure d’une extrême importance.

• L’argument rationnel sur la politique générale, concernant Obama à Copenhague, est extrêmement faible et contestable. On connaît les circonstances de la fin de la conférence, et notre appréciation est complètement celle d’un chaos et de l’impuissance du soi-disant leadership US, bien plus que de l’habileté d’Obama qui est dans ce cas une chose complètement négligeable. Si l’on veut parler d’une “habileté” de négociateur d’Obama, on dira qu’elle s’exerça in extremis, sur une absence complète de substance, une fois le chaos installé, pour profiter d’un vague désir des participants de sembler sauver la face d’un ordre international d’ores et déjà complètement pulvérisé par le déroulement de la conférence.

• L’argument plus passionnel de Clemons, par contre, est paradoxalement beaucoup plus solide. Il met en cause d’une façon fondamentale, et fort justement, le comportement général d’Obama. On voit d’ailleurs Clemons partir de la question de société civile qui lui importe pour déboucher sur la question palestinienne et Israël (“Nous savons que Barack Obama est partisan d’une approche loyale, sans choix faussaire, pour un Etat palestinien viable face à Israël – mais va-t-il se battre pour cela ?”)… Il montre bien ainsi qu’il met en question le comportement général d’Obama, dans un sens qui rejoint par exemple la longue analyse d’un professeur de psychologie, Drew Westen, le 20 décembre 2009 sur HuffingtonPost, sur la faiblesse par absence complète de substance et de conviction du leadership d’Obama.

L’analyse rationnelle de la politique d’Obama, dont le but évident, même si inconscient, est de dissimuler la catastrophique évolution de cette politique par rapport à l’évolution qu’attendait la majorité de l’establishment, apparaît extrêmement faible. Il suffit de rappeler l’article du Guardian du 19 décembre 2009 pour mesurer le sentiment de déception sur les autres dirigeants qu’a provoqué l’intervention de Barack Obama. Par contre l’argumentation plus émotionnelle de Clemons sur la conviction (?) d’Obama, sur son absence la volonté de se battre pour ce qu’il prétend croire de crainte de perdre le soutien du monde politicien (ou le soutien d’une mythique base centriste et majoritaire, selon Westen), est beaucoup plus convaincante. Elle mesure la réalité du désenchantement qui, aujourd’hui, marque la présidence Obama, qui concerne aussi bien l’opinion publique que, de plus en plus, l’establishment washingtonien.

Le cas de Clemons n’est absolument pas unique ni exceptionnel, mais bien représentatif de l’évolution en cours au sein de l’establishment washingtonien dans la mesure où il s’agit d’un personnage qui reste très indépendant de jugement et d’expression malgré ses liens avec le même establishment. Il marque combien la “victoire” probable d’Obama sur la question des soins de santé n’en est absolument pas une. Elle sera célébrée comme telle par les réseaux de communication, pendant un temps très court, avant de révéler ses conséquences: une inefficacité extrême et des divisions encore plus graves au sein de l’establishment que celles qui existaient avant que cette bataille soit lancée. Le jugement de Clemons nous conduit à penser qu’Obama apparaît de plus en plus, avec sa volonté systématique de ne pas mettre quelque conviction que ce soit au service de quelque politique que ce soit, donc sa volonté de chercher un “plus petit commun dominateur” à toutes les démarches qu’on peut entreprendre, comme un président qui accentue à une très grande vitesse les divisions au sein de l’establishment et l’affaiblissement politique qui les accompagne. “Ce que nous sommes en train de voir”, conclut Westen dans son analyse qui fait une lace intéressante à la psychologie, “c’est la faiblesse, le verbiage sans substance et une errance sans but au cœur de la sauvagerie du monde politique, sans la moindre conviction politique. C’est la recette pour aller très vite vers nulle part – sans doute dès novembre prochain”. Ce dernier point pour faire allusion aux élections mid-term de novembre 2010, qui pourraient conduire à une situation de blocage et de paralysie complètes à Washington, avec des conséquences politiques inévitables.


Mis en ligne le 22 décembre 2009 à 05H39