Les “indignés” israéliens : que faire de cette victoire?

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Le mouvement intérieur israélien, dit des “indignés”, qui suit l’évolution socio-psychologique aussi bien des mouvements équivalents en Europe que de la dynamique du “printemps arabe”, a remporté une victoire remarquable. Les manifestations sans précédent du week-end (une estimation de 500.000 personnes dans les rues de Tel Aviv et de diverses autres villes, ou 430.000 selon le Guardian de ce 5 septembre 2011) surmontent victorieusement le “coup d’arrêt” imposé au mouvement par les attaques (manipulées ou pas) venues du Sinaï et effectuées en Israël. Les attaques, qui avaient fait 7 morts, avaient détourné la préoccupation générale d’Israël vers la sécurité, et ainsi imposé un regroupement temporaire national autour de Netanyahou, face aux “dangers extérieurs“. Les manifestations des deux précédents week-end avaient été maigres, sinon inexistantes, selon le standard des “indignés” (10.000 personnes, samedi dernier). La reprise, débarrassée de l’hypothèque de la manipulation de la sécurité nationale, est psychologiquement une formidable victoire. Le mouvement est complètement reconstitué pour ce qui est de sa puissance brute (430.000-500.000 manifestants en Israël donnent l’analogie d’une journée de manifestation de 4,3-5 millions de personnes en France).

Aljaseera.net fait un compte-rendu de ces manifestations, le 4 septembre 2011. Puis il consacre la dernière partie de son texte aux perspectives d’avenir du mouvement qui sembleraient beaucoup moins claires et prometteuses que ne semble le suggérer le succès de ce week-end.

«But the rally did little to answer another question – what comes next? Many Israelis seemed nervous about the movement's future. Saturday's rally, announced more than a month ago, could be the movement's climax, and protest leaders have not outlined a strategy for keeping pressure on the government.

»Prime Minister Binyamin Netanyahu appointed a committee to study Israel's socio-economic problems and propose a set of solutions. The committee, led by Manuel Trajtenberg, a professor of economics, is due to present its recommendations later this month. Trajtenberg has said the government will listen – but his committee's recommendations are non-binding, and many protesters fear Netanyahu will simply ignore them. His right-wing coalition is tenuous, but few analysts think the protesters – and Israel's moribund left-leaning parties – could actually force its demise.

»“Sometimes you go for the path and not the end objective,” said Ben, an environmental protester whose sign said, “Social justice is environmental justice”. “I doubt we'll see any changes in the next three months,” he said. “Maybe over the next few years.”

»One problem is that few protesters seem to agree on what changes they want. The rallies have grown to include a wide range of movements from across Israeli society. Animal rights campaigners, dairy farmers, gay rights activists. All of them marched on Saturday night and all have different demands. Dairy farmers would be happy with a reasonable price for their products; Hadash, the Israeli Communist party, wants a more fundamental overhaul of the economy.

»“What's scary is that some of the groups are going to get what they want and go home,” said Doron Yaakov, a protester. “People have been talking about how this movement is united. But now it's going to break apart.”»

Une fois de plus se pose la sempiternelle question de l’utilité concrète d’un tel mouvement, question qu’on a entendue en Grèce, en Espagne, ou bien, sous une forme un peu différente mais dans le même esprit, en Tunisie, en Egypte et dans d’autres pays arabes. (Dans ce dernier cas, notamment la Tunisie et l’Egypte, il s’agit plutôt du constat d’échec par rapport aux buts des mouvements, notamment l’établissement d’une vraie [?] démocratie.) Une fois de plus, notre réponse sera en deux étapes : 1) Il est utopique et impossible, déraisonnable et illogique, déplacé et anachronique d’espérer que des résultats concrets importants et significatifs soient atteints par ces mouvements, selon une procédure qui serait nécessairement que ces résultats viendraient des directions politiques en place faisant les concessions attendues ou posant tout autre acte. 2) Il est heureux, il est même nécessaire qu’aucun résultat ne soit atteint par rapport aux directions politiques en place, que ce soit par le biais pacifique de concessions que feraient ces directions, que ce soit par le biais plus expéditif du renversement des équipes politiques au pouvoir, de leur remplacement par des équipes d’“opposition”, ou même venues des manifestants eux-mêmes, mais toutes ces hypothèses restant évidemment dans le même cadre du Système.

Nous observons là encore qu’il est absolument “déraisonnable et illogique”, et surtout “anachronique”, d’attendre des directions politiques en place qu’elles prennent des décisions ou laissent faire des événements décisifs qui aillent manifestement contre le Système, qui soient suivies effectivement de véritables et puissants déplacements de force à l’intérieur du Système, suffisants pour menacer structurellement ce Système. D’abord, la plupart d’entre ces directions politiques ne le pourraient pas, elles n’en auraient pas la force, littéralement, et les mesures qu’elles proposeraient ne pourraient être menées à bien ; ensuite, celles qui le pourraient prendraient des mesures dans le cadre des capacités de leur maîtrise des événements, qui seraient suivies d’effets apparents et de courte durée, qui seraient très rapidement “récupérées” par le Système, à l’avantage du Système. Dans les deux cas, il n’est question que de rapports de force, et il y a beau temps, et depuis la crise financière de façon définitive, que les directions politiques n’ont plus de réelle capacité d’intervention contre les centres importants du Système, – en d'autres mots, que le Système est absolument et sans la moindre réserve le maître du jeu avec ces directions politiques. D'autre part, l’option d’une sorte de “coup de force” des forces populaires est soumise aux mêmes conditions contingentes extrêmement contraignantes des structures du Système en place, puisque c'est dans le cadre du Système que se ferait cette sorte de “coup de force”. C’est effectivement dans ces conditions réalistes qu’il faut analyser l’effet et l’impact de ces divers mouvements, dont l’israélien.

La force de ces mouvements est justement d’être sans but, – ou, plutôt, d’être sans espoir réaliste d’atteindre, dans le cadre du Système, les buts qu’ils se sont fixés. Certes, ces buts pourraient paraître “justement réalistes” par rapport aux normes sociales mais c’est le Système qui n’est plus réaliste. Le Système, dans son état de décomposition et d’effondrement, ne peut plus intégrer, même pour tenter de désamorcer les mouvements revendicatifs, les revendications ou certaines des revendications significatives de ces mouvements, notamment parce qu'il est habité par la crainte paranoïaque que n'importe quel changement apporté à son statut et à sa dynamique soit déstructurant pour lui-même. Le fait exceptionnel est que, dans de telles conditions où les limites évidentes de ces mouvements sont présentes dans tous les esprits, ces mouvements aient tout de même lieu, et dans des conditions remarquables comme on le voit en Israël. Du coup, on en arrive au constat du second degré : l’important pour ces mouvements est qu’ils existent et qu'ils durent, avec des variables de dynamique et de démonstration ; ils ne peuvent exister justement que si leurs revendications ne sont pas rencontrées, et, dans ce cas, leur limitation sans retour devient une vertu exceptionnelle. L’existence de ces mouvements tend à devenir structurelle et participe de ce fait à la dynamique constante de fragilisation du Système, et à la mise en évidence de cette fragilité. Ces mouvements constituent un abcès qui ne peut être fixé ni vraiment contenu, qui est perçu constamment comme une menace d’infection par les équipes au pouvoir, qui figure comme une faiblesse active, un handicap permanent et en aggravation. Ces mouvements n’ont ainsi de sens que s’ils perdurent en tant que mouvements non aboutis, figurant une faiblesse d’une direction politique qui est, dans cette situation, perçue comme un relais direct du Système, donc une faiblesse en constante aggravation du Système. A côté de cela ils peuvent et doivent jouer un rôle, également indirect selon divers points de vue, qui peut largement dépasser leur champ d’action.

…Si nous faisons cette dernière remarque, c’est que nous avons une référence à l’esprit. Dans un texte du 4 septembre 2011, violemment anti-turc et s’appuyant sur des “sources de Washington” éventuellement suspectes pour leur véracité, le site Debka.com (DEBKAFiles) offre les remarques suivantes :

«US sources following the dispute also dismissed as hollow Davutoglu's follow-up threat Saturday, Sept. 3: “If Israel persists with its current position,” he warned, “the Arab spring will give rise to a strong Israel opposition as well as the debate on the authoritarian regimes.”

»Washington sources condemned such statements as beyond the acceptable diplomatic bounds. “It sounds as though Ankara is threatening to stir up the Palestinian and Israeli Arab populations against the Israeli government and army. If that's what Davutoglu meant to say, Turkey is sailing very close to the wind and risks President Obama and European governments suspending their participation in NATO operations in the Middle East.

»“Should Israel complain to the UN Security Council about Turkish war threats and the incitement to revolt by one UN member against another, Western powers would vote for a resolution of condemnation against Turkey.”»

Il faut remarquer que les “sources de Washington” n’offrent comme interprétation des paroles du ministre turc des affaires étrangères que celles de l’antagonisme entre Palestiniens et Israéliens, en envisageant un mouvement de type “printemps arabe” en Israël ou dans les territoires contrôlés par Israël, uniquement “arabe” (palestinien). Selon l’hypothèse soulevée par les “sources de Washington” de Debka.com, jusqu’ici les mouvements des “indignés” israéliens ont évité comme la peste la moindre intervention dans les questions de sécurité nationale, notamment la question palestinienne. Jusqu’ici, les Israéliens d’origine palestinienne sont restés très en arrière de ce mouvement et nul ne sait ce que cache en réalité cette situation. Dans ce cas, une autre interprétation de l’idée qu’évoque le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu est possible, toujours selon le point de vue et le domaine abordés par ce texte. Il s'agirait alors de l'hypothèse que la déclaration de Davutoglu pourrait évoquer la possibilité d’une extension du mouvement des “indignés” aux Israéliens arabes et aux Palestiniens. Que se passerait-il, en effet, si des Arabes (des Palestiniens), en tant que tels, décidaient, par un moyen ou l’autre, d’envisager des protestations type “indignés”, que ces protestations rencontrent celles des Israéliens, etc.

Mais l’hypothèse envisagée peut être également considérée comme assez forcée, considérant la source. Une autre hypothèse est assez différente, et fort logique selon la lecture qu'on fait de la déclaration du ministre turc, puisque l’on lit bien que Davutoglu parle d’une “forte opposition” et d’un débat sur “un régime autoritaire”, – toutes choses qui conviennent parfaitement à la situation intérieure actuelle en Israël, avec le mouvement des “indignés” tel qu'il est, un gouvernement qui agit d’autorité, une démocratie corrompue jusqu’à la moelle comme l’est celle d’Israël, etc. (La corruption, l’inégalité, les manipulations économiques, sont l’un des thèmes favoris des “indignés”.) Dans ce cas, c’est une appréciation turque sur la gravité de la situation intérieure d’Israël, telle qu’elle existe aujourd’hui.

A la lumière de ces cas divers, le ton, le commentaire, l’appréciation de Debka.com nous intéressent bien plus que la perspective qui est nécessairement manipulée. En l’occurrence, que les “sources de Washington” soient réelles ou pas n’importe pas, également. Ce qui nous importe, c’est finalement le texte même de Debka.com, exprimant une position “proche” des services de sécurité type Mossad, et dont on découvre l’extraordinaire sensibilité à cette allusion du ministre turc Davutoglu aux troubles intérieurs d’Israël. Quoi qu’ait voulu dire Davutoglu, ce qui importe c’est que Debka.com, “aidé” par les sources israéliennes qu’on sait et par d’éventuelles “sources de Washington”, réagisse avec cette interprétation et la qualification de la remarque du ministre turc comme “au delà des normes diplomatiques”, selon les “sources de Washington”. Cela mesure effectivement une sensibilité extrême des directions politiques (israélienne, ou israélo-washingtoniennes, peu importe en l’occurrence puisque tout cela est dans le même sac du Système) à la fragilité où elles se trouvent dans ce cas où leur socle populaire jusqu’alors peu ou prou sous contrôle, s’avère extraordinairement incertain, avec des effets sur la politique extérieure elle-même.


Mis en ligne le 5 septembre 2011 à 05H45

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