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38142 décembre 2023 (20H15) – Je me saisis avec le respect et l’estime qui lui sont dues de ce texte si court et si plein de sources d’inspiration. Il rencontre si profondément, je veux dire si intuitivement exactement de la même façon que je procède, certaines idées essentielles que j’ai suivies, sur le site bien sûr et également dans ‘La Grâce de l’Histoire’ (le Tome II, essentiellement).
Il concerne le temps passé mais également le présent, et comme si ce présent n’existait pas en tant que tel, – chose qui passe sur l’instant qu’on le dit, si bien qu’elle ne semble jamais avoir existé. Chose, – le temps passé et le présent, – qui ne peut et ne peuvent exister que sous la forme de l’“éternel présent”, – ennemi juré, ennemi à mort du ‘Great Now’.
Je vais procéder d’une façon un peu différente, hors de mes habitudes, aussi bien dans ‘Ouverture Libre’ que dans les pages de ce ‘Journal dde-crisis’, – en plaçant le texte qui me sert à la fois d’argument et de sujet directement après cette introduction. Il est assez court pour s’insérer, c’est le cas de le dire, dans cette formule.
Le texte est donc de Constantin von Hoffmeister, un nom déjà cité et rencontré sur notre site – notamment avec la présentation d’un de ses articles le 17 novembre 2023, – et il est du 7 novembre 2023 sur le site de l’auteur ‘eurosiberia.net’. Son titre est « Défense du Moyen-Âge » bien que l’anglais indique le pluriel « In Defense of the Middle Ages » sans que je distingue la cause de cet emploi, – restant à voir par ailleurs ce que dit le titre en langue originale. Enfin, je crois que c’est secondaire, et voici donc le texte :
« Le Moyen Âge a été calomnié, victime des pompeuses et dithyrambiques “Lumières du Nouvel Âge” – une campagne de relations publiques qui a rebaptisé un millénaire riche en profondeur spirituelle et en profondeur humaine en une ère de misère et d’ignorance. Pourtant, contrairement aux proclamations auto-grandiloquentes des Lumières, la civilisation médiévale ne fut nullement une période de barbarie obscure mais une période de sainteté lumineuse, où l’immortalité de l’âme humaine était le caractère fondamental qui structurait l’existence et le développement de la société. Quoi de plus resplendissant qu’une société qui aligne chacune de ses fondements et son code moral sur l’essence éthérée et éternelle de l’âme humaine ?
» L’époque médiévale, souvent rejetée par l’orgueil de la modernité comme un interregnum privé de toute rationalité, était en réalité un creuset d’exaltation humaniste et spirituelle. L’époque a été témoin d’une conviction collective dans l’élan transcendantal de l’homme, où chaque flèche de cathédrale et chaque église de village indiquait non seulement le triomphe architectural du ciel, mais aussi les possibilités fulgurantes de la spiritualité humaine. C’était une civilisation qui considérait la vie comme un simple vestibule vers l’éternité, où l’existence de chaque individu était entrelacée avec un récit cosmique échappant à toutes les contingences du domaine de la matière qui nous est donnée.
» Les Lumières, avec leur vénération de la raison et de l’empirisme, ont cherché à démanteler cette manifestation sacrée, s’affirmant comme le héraut du progrès, défendant un avenir libéré des soi-disant superstitions du passé. Dans leur croisade pour une utopie rationnelle, les Lumières ont présenté le Moyen Âge comme une époque d'obscurantisme, mais ce faisant, ils ont éclipsé la beauté inhérente d'une société enracinée dans la reconnaissance de quelque chose de plus grand que soi, de plus durable que la chair.
» Les “Lumières” du Nouvel Âge n’étaient pas un réveil mais une atténuation du feu céleste de l’esprit humain qui brûlait autrefois avec éclat dans l’âme médiévale. Les chaînes rationnelles des Lumières ont enchaîné l’expérience humaine transcendante au banal, supprimant le respect pour la métaphysique qui avait autrefois donné à la vie une valeur intrinsèque et incommensurable.
» Ainsi, une société construite autour de l’immortalité de l’âme représente l’apogée de la civilisation humaine – une flamme que le regard étroit des Lumières ne pouvait éteindre. Cela nous invite à renouer avec les principes spirituels et humanistes qui ont autrefois jeté les bases d’une civilisation profondément accordée aux mystères de l’existence. Le Moyen Âge, à travers une telle perspective, apparaît non pas comme une période d’obscurité mais comme une époque de lumière – une époque où l’âme était reconnue comme l’éternel protagoniste de l’odyssée humaine. »
J’ai retrouvé avec émotion dans ce texte qui résume une pensée que l’on doit supposer venue de loin, de transmissions en éducations, en intuitions complémentaires sans jamais se connaître mais liées par des liens secrets, – j’ai retrouvé notamment l’esprit de deux passages que je juge moi-même essentiels du deuxième tome de ‘La Grâce de l’Histoire’. C’est une rencontre d’intuitions complémentaires.
Le premier de ces “liens secrets”, facile à identifier, – il s’agit bien entendu de l’idée que “l’époque médiévale” fut, par la puissance de sa spiritualité et la réalisation terrestre notamment par des œuvres architecturales de cette puissance, le moment de notre histoire où nous faillîmes nous élancer vers le domaine de la métahistoire sans passer par les sas diaboliques que nous eûmes et avons encore subir...
« L’époque a été témoin d’une conviction collective dans l’élan transcendantal de l’homme, où chaque flèche de cathédrale et chaque église de village indiquait non seulement le triomphe architectural du ciel, mais aussi les possibilités fulgurantes de la spiritualité humaine. C’était une civilisation qui considérait la vie comme un simple vestibule vers l’éternité, où l’existence de chaque individu était entrelacée avec un récit cosmique échappant à toutes les contingences du domaine de la matière qui nous est donnée. »
Pour mon compte, j’ai rassemblé mon intuition sur l’idée de la montée du Moyen Âge vers une apogée qui eût dû être une transformation fusionnelle de l’histoire du monde au travers d’une époque totale : celle du “temps des cathédrales”, et particulièrement celle de ces soixante années qui en est l’épicentre au milieu d’une période unique qui va de la moitié du XIIème au XIIIème siècle, qui vit l’installation et l’édification des cathédrales en France, selon une géographie sacrée, selon une sorte de transformation magique et mystique des esprits réunis en un élan collectif. Pourtant, certes, ils n’avaient pas l’internet, ces pauvres hères des temps obscurs...
« Ainsi doit-on distinguer ce signe fondamental d’une sorte de transcendance de l’Hhistoire lorsqu’elle se fait métahistoire, que la France et ce qu’on dirait être “une partie de l’Église” se soient retrouvées, hors de cet épisode des ambitions terrestres qui accablait l’évolution du monde dans les traquenards et les affrontements de la Querelle des Investitures, dans cette épopée soudainement sublime du Temps des Ccathédrales, où les choses terrestres se marient soudain avec la perspective du Ciel ; où l’Hhistoire soudain se défait de ses querelles terrestres dans quoi l’Église se compromet, pour s’emporter et devenir métahistoire, pour offrir son envolée vers le haut ; où s’avance la sublime occurrence, peut-être l’unique et certainement la dernière, par quoi l’Église aurait pu, selon les impulsions des forces supérieures, transcender sa fonction après s’être faite terrestrement, selon les impulsions des forces supérieures, et réaliseoffrir le Moment lui aussi sublime que sa Mission lui assignait. Mais cela ne se fit pas et vint le progrès selon l’entendement moderniste révélé plus tard, qui devint Progrès, qui régla tout cela…
» Élevé par ce que nous jugerions être une intuition irréfutable, Duby salue, dans la Divine Comédie de Dante, la “dernière cathédrale”… “On peut tenir la Divine Comédie pour une cathédrale, la dernière. […] Comme les grandes cathédrales de France, ce poème conduit, par degrés successifs, selon les hiérarchies lumineuses de Denys l’Aréopagite et par l’intercession de Saint Bernard, de Saint François et de la Vierge, jusqu’à l’amour qui meut les étoiles…” Dans ce cas, l’œuvre unique de ce grand initié que fut Dante Alighieri clôt une époque comme on achève un Grand’ Œuvre, comme on met la dernière sublime note à une symphonie qui ne peut être que sublime… » (‘La Grâce de l’Hisdtoire’)
Le deuxième “lien secret” est plus d’un style-bouffe assez triste avec Satan à la manœuvre, ‘tragédie-bouffe’ si vous voulez puisque l’expression est d’usage dans ces eaux, – ce “lien secret” est celui de la Chute que représente le simulacre grandiose et grotesque des “Lumières”. Simulacre bel et bien, de salons, de salles d’écritoires et de “philosophe publicitaire” par quoi la civilisation s’engouffre dans la dynamique de sa perte qui va se trouver constituée en une motorisation exceptionnelle avec le “déchaînement de la Matière”, conjuguant trois évènements (Révolution américaine de 1776-1788, choix de la thermodynamique en 1784-1825, Révolution Française de 1789-1793). Le Système est désormais en vue et en route...
Et von Hoffmeister écrit notamment ceci, – et j’adore absolument qu’il ait utilisé ce terme si moderne, si moderniste, si d’actualité, si de communication et de “communicants”, – ce terme de “relations publiques” [RP] ; c’est-à-dire l’activité opérationnelle même du simulacre, de l’empilement de simulacres crachant et conchiant des caravanes et des files ininterrompues de narrative. ;
« ...des pompeuses et dithyrambiques “Lumières du Nouvel Âge” – une campagne de relations publiques qui a rebaptisé un millénaire riche en profondeur spirituelle et en profondeur humaine en une ère de misère et d’ignorance. »
Là encore, je retrouve une de mes hypothèses favorites qu’on retrouve rassemblée autour du vocable de “persiflage” qui dit tout des termites au travail pour ronger les dernières poutres tenant encore ensemble l’édifice branlant des temps d’avant. ‘Les trois mousquetaires’ ne sont plus là, l’esprit de chevalerie est tourné en dérision, les prêtres nouveau genre sont eux-mêmes en train d’alimenter le feu grondant qui dévore la civilisation et fait bombance de cette religion qui prétendit changer le monde et qui entre désormais dans le royaume de l’ombre d’elle-même.
Le “persiflage” est un mot introduit par Voltaire en train de se rire de « ce Pascal » qui avait tout compris dans une lettre de 1734 à un Maupertuis :
« Savez-vous que j’ai fait prodigieusement grâce à ce Pascal ? De toutes les prophéties qu’il rapporte, il n’y en a pas une qui puisse honnêtement s’expliquer de Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n’ai rien dit et l’on crie. Mais laissez-moi faire. Quand je serai une fois à Bâle je ne serai pas si prudent. »
... Et c’est ainsi que ce mot attira l’attention de certains (Élisabeth Bourguinat, ‘Le siècle du persiflage’, PUF, 1998), ce qui me donna un peu plus de courage pour poursuivre dans cette voie de la démolition. Nous étions bien dans l’exploitation de ces nouvelles vertus, que von Hoffmeister présente sous le vocable de “relations publiques”. Nous traçons une ligne directe entre les innovations des Lumières et notre situation présente, avec le règne du verbe-empoisonné, de la narrative, jusqu’à nos aventures actuelles où le simulacre fait la loi, emportant les relations publiques jusqu’aux abysses où nous sommes allègrement en train de plonger. Cela, il faut le reconnaître avec empressement, valait bien “la” Révolution si bellement majusculée.
« Bien, laissons cela puisque notre religion est faite. Madame Bourguinat, citant l’un ou l’autre qu’importe, conclut ce qui nous habite comme une évidence désormais… Le persiflage est “révolutionnaire et subversif” et il a, “bien involontairement, fait le lit de la Révolution – alors que la philosophie, pour sa part, la préparait activement…”. On doit se demander s’il faut garder cette réserve du “bien involontairement”, car je suis assuré que la volonté de la chose, par rapport et en fonction du sapiens, ne joue, là-dedans, pas le moindre rôle, par sa présence ou par son absence. Je suis également assuré que la chose va son train sans qu’il n’en ait ni conscience ni la moindre intention, le sapiens ; qu’elle n’est en rien fille du seul hasard et de la mécanique des “choses” justement, mais qu’il y a pour mouvoir ce domaine-là une grande force en action qui ne manque pas, elle, de conscience métahistorique ; qui dépasse le sapiens et sa sublime conscience, et dont l’effet est, sinon calculé précisément, du moins attendu pour ce qu’il sera. Cette “grande force” nous dépasse, elle est complètement extérieure à nous. Cette “grande force” se trouve représentée par le mot “persiflage”, dans quoi elle met toute sa substance, toute sa puissance, donnant au mot ce poids formidable qu’on lui reconnaît ... Il eût fallu écrire alors, paraphrasant madame Bourguinat, que c’est “bien naturellement, nécessairement et, par conséquent, tout aussi fatalement” que le persiflage “a fait le lit de la Révolution”. J’irais jusqu’à concevoir, en raison du rôle que j’attribue à la psychologie, au moteur de nos attitudes, par rapport au rôle de la manufacture de la pensée qui passe au second plan, que le persiflage, à lui seul, “fait le lit” et “prépare” la chose (ce sera 1789 et la suite). C’est comme s’il était à lui seul, le persiflage, le moyen et l’outil de cette “grande force en action”, extérieure au sapiens et résolument lancée dans l’entreprise de l’investissement de sa psychologie ; comme s’il aurait même été jusqu’à prétendre à la conscience de sa propre action, et la volonté de la conduire à son terme... Un seul mot pour faire basculer un monde entier. » (‘La Grâce de l’Hisdtoire’)
Finalement, dira-t-on, à quoi cela sert-il d’ainsi rappeler un passé sinon à constater qu’aujourd’hui plus que jamais il éveille des polémiques sans doute plus fortement qu’il n’a jamais fait ? Justement, parce qu’il y a polémiques plus fortes que jamais à simplement l’évoquer, il y a donc présence des mêmes facteurs d’affrontement, des erreurs et des horreurs de la même sorte, – mais aussi et quelque part, des mêmes nécessités et des mêmes opportunités, du même ardent besoin de la spiritualité trahie et perdue... Je ressens avec la plus grande force que le “aujourd’hui plus que jamais” vaut pour tous les aspects de la querelle et de la mésentente.
En allant chercher le souvenir de ces temps injustement calomniés en passant par l’évocation du petit maître des calomniateurs, et moi-même prenant le von Hoffmeister “en marche” si l’on peut dire, nous comprenons bien combien nous sommes au point d’inflexion, à ce moment de l’implosion tout au fond de nous-mêmes de la GrandeCrise. Les sublimes cathédrales comme les infâmes persiflages des salons sont des éléments essentiels d’une actualité grondante et brûlante.
Notre “éternel présent” est bien celui de l’affrontement inévitable pour détruire l’infamie. Il est temps de se soumettre aux conditions de cette terrible bataille, et d’y prendre sa place. Nul n’y peut échapper, je parle d’une conscience affirmée ou d’une inconscience acceptée : il faut en prendre son parti et, par conséquent, s’affirmer dans le parti qui convient...
Le reste, à la demande de Voltaire, c’est « ce Pascal » :
« Avant que d’entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l’injustice des hommes qui vivent dans l’indifférence de chercher la vérité d’une chose qui leur est si importante, et qui les touche de si près.
» De tous leurs égarements, c’est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d’aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’état de la mort est éternel, de quelque nature qu’il puisse être, et qu’ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l’état de cette éternité, qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.
» Il n’y a rien de plus visible que cela et qu’ainsi, selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s’ils ne prennent une autre voie. Que l’on juge donc là‑dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui, se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude, et comme s’ils pouvaient anéantir l’éternité en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement. »
On admettra qu’il écrit comme s’il était là, devant nous, à nous parler comme l’on n’écrit plus aujourd’hui, et comme l’on s’adresse à des enfants mal faits et déraisonnables. Nous n’avons que ce que nous méritons, – pas plus, mais surtout pas moins.
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