Les mauvais “scénars” de Hollywood-on-the Potomac

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Les mauvais “scénars” de Hollywood-on-the Potomac


19 mars 2006 — Sans doute la “massive” opération d’“assaut aérien” (assaut aéro-terrestre) autour de la ville “rebelle” de Samarra, désigné par le code de Operation Swarmer, convient-elle pour fêter à la mesure de l’événement le troisième anniversaire de la guerre en Irak. L’aspect remarquable de cette affaire est la rapidité de l’usage publicitaire qui en fut fait, et la rapidité égale de la mise à jour et de la dénonciation de cet usage publicitaire. Quarante-huit heures après son déclenchement et sa présentation comme « “the largest air assault operation” since the overthrow of Saddam Hussein in 2003 », la réalité d’une opération militaire faite dans un but principal de relations publiques était largement mise en évidence.

L’un des articles les plus tranchants à cet égard est celui de Jim Muir, publié par BBC.News le 17 mars : « It was billed by the US military as “the largest air assault operation” since the overthrow of Saddam Hussein in 2003, with attack and assault aircraft providing “aerial weapons support” for 1,500 US and Iraqi commandos moving in to clear “a suspected insurgent operating area north-east of Samarra.”

» The international news agencies immediately rang the urgent bells on the story.

» Around the world, programmes were interrupted as screens flashed the news, which dominated the global media agenda for the next 12 hours or more.

» On the New York Stock Exchange, oil prices jumped $1.41 (£0.80) a barrel “with a massive US-led air assault in Iraq intensifying jitters about global supplies of crude”, as one agency reported it.

» By the middle of Day Two in the ongoing operation, it was clear from both US and Iraqi military sources that the advance had met no resistance.

» There were no clashes with insurgents. No casualties were reported.

» In what was clearly a combing operation using cordon-and-search tactics in a patch of remote desert terrain with scattered farms and homesteads, military spokesmen said the advancing forces uncovered six caches containing arms, explosives and other insurgent material.

» They detained 48 people, of whom 17 were freed without delay. Officials said they did not believe they had captured any significant insurgent leaders. “Any leaders there must have seen the forces coming, and escaped,” said one senior Iraqi security source. »

» By the middle of Day Two, the operation had already been scaled down to 900 men.

» Operation Swarmer clearly bore no comparison in scale to the initial attack which brought down Saddam Hussein's regime, or to the massive assault on the insurgent stronghold in the city of Falluja in November 2004. »

Quelques commentateurs zélés se précipitèrent pour y voir un événement militaire important, voire décisif (“a giant end of war thing”). Fox News se distingue, comme l’a noté le site War Hound le 17 mars.

D’une façon générale, les commentaires vont dans le sens de voir dans cette opération “militaire” une opération de relations publiques. Avec une prudence toute britannique mais néanmoins une fermeté du propos qui écarte l’ambiguïté, Jim Muir exprime clairement la thèse: « The reasons for it being given such high-profile publicity are clearly open to speculation. The operation came at a time when support at home for President Bush and his campaign in Iraq is running very low, and when the international media were preparing to focus on the third anniversary of the war, just three days later. » Muir observe qu’une réelle ambiguïté a été entretenue sur le sens du terme “air assault”, qui a pu signifier dans un premier temps, pour le public même averti, une attaque aérienne d’une puissance sans précédent:

« The use of the phrase “the largest air assault operation” was clearly crucial, raising visions of a massive bombing campaign. In fact, all the phrase meant is that more helicopters were deployed to airlift the troops into the area than in previous such operations. The 50 “aircraft” that had been deployed were not combat jets blasting insurgent targets, but helicopters ferrying in the forces. There was no rocketing or bombing from the sky. »

Un effort de relations publiques important a été accompli pour exploiter l’effet initial obtenu sur la presse. « Unusually, high-quality photographs and video footage of the initial deployment were made available to the press towards the end of Day One of what was billed as a campaign that would last several days. Some international media were given unusually swift military embeds to the area. »

Juan Cole, spécialiste américain (et notablement dissident) des questions irakiennes, donne sur son site son interprétation de cette étrange opération. Il en fait une initiative du commandement américain. Voici quelques extraits : « The US military command in Iraq, perhaps despairing of inaction in Washington, does not seem to have sought the authorization of President Bush for this operation. It does make you wonder what Bush thinks he is doing. After the Samarra shrine bombing, which many Iraqis blamed on the US one way or another, Bush should have been going on Iraqi television and addressing them directly as to what would be done about it. Instead, he kept trying to tell the Americans that things were actually just wonderful in Iraq.

» This Samarra operation is probably mainly a political act. The US generals are attempting to demonstrate to their Shiite allies that they take seriously the terror attack on the Askari Shrine on Feb. 22. Presumably they are also attempting to ensure that if the shrine is rebuilt, it won't just be blown up again. Short of pulling a Fallujah on Samarra, however-- which would involve emptying the city and then destroying it-- it is difficult to see how the US/ Iraqi government forces can prevail. Even then, they would just face sullen suicide bombers thereafter, as has happened in Fallujah, where 2/3s of the buildings were damaged and a large part of the population permanently dispossessed.

» Frankly, the Samarra ‘Operation Swarm’ [sic] is probably also meant to give the impression of progress or at least of activity in Iraq, where the political process is stalled and the guerrillas seem to strike at will, with increasing political success. »

Notre perception de cet événement est différente de celle de Cole et tend à se rapprocher de ce que suggère Jim Muir. Nous nous tournons vers Washington pour en avoir l’explication. Nous reconstituerions le “scénario” de ce curieux épisode de la façon suivante :

• Le pouvoir politique (Karl Rove) voulait un “gros coup” en Irak, au moment du 3ème anniversaire de la guerre, qui éclipsât l’épouvantable impression actuelle et les sondages catastrophiques de GW. La demande a été adressée à Rumsfeld, qui l’a répercutée vers les militaires.

• Les militaires se sont exécutés en assurant un “service minimum” : une opération assez banale, mais présentée avec le maximum de publicité et de fanfare. Ils ont choisi un objectif de peu de risque, leur assurant le minimum de pertes (et même, pas de pertes du tout), sans d’ailleurs tenter d’en faire plus accroire, le déploiement de matériels restant assez limité par rapport aux moyens disponibles. (Cela, notamment, a contribué à alimenter aussitôt le soupçon de montage.) Ce fut une sorte d’exercice militaire “sur le tas”.

Certaines remarques peuvent être proposées dans la logique de cette évaluation. Elles doivent être appréciées comme une confirmation du climat général de Washington : la faiblesse du pouvoir central, l’autonomie des autres pouvoirs qui leur permet de se compromettre le moins de possible en restant dans les limites de la légalité.

• La faiblesse du pouvoir central (GW et son équipe) est telle qu’il ne parvient plus à se dégager du fardeau irakien. Notamment, ses projets de faire basculer l’attention vers “the Long War” semblent n’avoir aucun effet. Selon notre hypothèse, cette manipulation générale de monter cette “Operation Swarmer” comme opération de diversion de la mauvaise situation irakienne, mais en restant tout de même en Irak, mesure cette faiblesse. Le cadre obligé reste l’Irak et la “diversion” l’est à peine.

• La manipulation a été un échec, notamment parce que les acteurs sollicités, les militaires, n’ont pris aucun risque et n’ont songé qu’à protéger leurs intérêts (le moins de pertes et le moins d’affrontement possible en Irak).

• D’une façon générale, on mesure sans aucun doute une perte considérable des capacités de manipulation et de mise en scène des opérations virtualistes de détournement de la réalité. Même dans son domaine favori de la tromperie, l’administration GW est en train de s’affaiblir considérablement.

Quoiqu’il en soit, — quelle que soit la bonne version de cette manipulation, — il reste qu’il y a manipulation. Sur ce point, les jugements vont d’une façon presque unanime dans ce sens. C’est le point le plus important pour mesurer la dégradation de la vie publique à Washington et le climat régnant dans les forces armées. Les opérations militaires sont utilisées et perçues comme des instruments d’une politique plus ou moins intérieure (politique intérieure à Washington même, politique intérieure à Washington par l’intermédiaire de la “politique intérieure” irako-américaniste). On en arrive même à monter des opérations militaires dans ce seul but. En plus, on le fait sans beaucoup de brio.