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1185Comme si les choses s’enchaînaient avec une perfection chronologique qui laisse à penser, et qui inspirerait bien des imaginations. Le 7 août, Obama a annoncé qu’il n’y aurait pas de sommet avec Poutine, en Russie, peu avant le G-20 (voir le 9 août 2013). Le 9 août commençait à Washington un “sommet” à quatre : les deux ministres des affaires étrangères et les deux ministres de la défense de la Russie et des USA. Ce sommet inhabituel, type “2+2” s’est déroulé dans une atmosphère dite “constructive” et “confiante”, malgré les divers points de contentieux.
Une première réaction est que cette coïncidence, – annulation d’un sommet, bonne tenue d’un autre “sommet”, – indique que les relations entre les USA et la Russie ne sont pas si mauvaises ou, du moins, qu’elles se poursuivent comme si de rien n’avait été (du côté de la bruyante annulation du sommet Poutine-BHO). C’est le cas de M K Bhadrakumar, fidèle à sa ligne de vieux diplomate croyant toujours aux vertus de l’art qu’il a pratiqué durant toute sa carrière. (Le 10 août 2013, sur son site IndianPunchLine.)
«Lavrov insisted that Russia-US relations are on course. This is of a piece with the overall Russian reaction to Obama’s decision calling off the bilateral in a calm spirit, which of course is in sharp contrast with the majority of American commentators making out that US-Russia ties are in tatters. [...] In sum, as Obama himself framed it, what we have is a “pause” in US-Russia relations — except that the “pause” doesn’t seem to come in the way of transacting business that cannot brook delay. Simply put, it seems more like “pause / play” — depending on the exigencies of the situation.»
Sur le fond et la chose étant appréciée d’une façon rationnelle, et selon les références des “temps normaux” où la diplomatie tenait la place qu’on lui accorde naturellement, M K Bhadrakumar n’a pas tort. Les commentaires qui ont accompagné ces négociations, ainsi que les observations des participants vont généralement dans ce sens. Les deux ministres des affaires étrangères Kerry et Lavrov, notamment, ont été prolixes à cet égard, d’ailleurs avec une certaine complicité presque professionnelle et non exempte d’estime réciproque pour mieux rapprocher leurs réactions, comme deux acteurs sérieux des affaires qui tiennent avant tout, comme Bhadrakumar en un sens, à retrouver et à conserver les critères et les us et coutumes de la diplomatie. L’impression qu’on recueille est bien celle de ces acteurs professionnels de la politique internationale qui se regroupent, qui sont complices en cette circonstance pour défendre une pratique normale, voire traditionnelle de la politique internationale, contre la marée de déstabilisation de communication qui affecte cette politique, notamment pour ce cas avec la crise Snowden/NSA (mais avec d’autres interférences déjà prometteuses). C’est ce que marque bien le compte-rendu de Russia Today du 10 août 2013, sur le thème “il y a de nombreux contentieux mais l’esprit d’entente e de coopération est là pour chercher de bonne foi à les résoudre”.
• Lavrov : «The situation and tensions surrounding Snowden are “an anomaly” in relations between Moscow and Washington, Lavrov said in a Friday press conference. “There’s no Cold War [between Russia and the US]. On the contrary, we have the closest partnership and very good potential for its improvement,” the Russian FM stressed. [...] To illustrate his point, Lavrov explained that “Edward Snowden did not overshadow our discussions” and that this matter should not dominate the more “mainstream” side of Russia-US relations. He added that Russia would like “the economy to be way more prominent in our relations” and that the two countries have “laid a very solid foundation for future work.”»
• Kerry (selon un texte de commentaire de DefenseOne.com du 9 août 2013 au titre révélateur de «With Summit’s Collapse, Now Russia is Kerry and Hagel’s Problem») : «...Kerry told reporters, “it’s no secret that we have experienced some challenging moments and obviously not just over the Snowden case.” “We will discuss these differences today, for certain, but this meeting remains important above and beyond the collisions and the moments of disagreement. It is important for us to find ways to make progress on missile defense, on other strategic issues – including Afghanistan, Iran, on North Korea and Syria,” he said. Both Kerry and Lavrov expressed support for the Geneva II conference on Syria, now pushed to next month.
»“One thing I would emphasize is that on Syria,” Kerry said, “while Sergei and I do not always agree completely on responsibility for the bloodshed and some of the ways forward, both of us and our countries agree that to avoid institutional collapse and dissent into chaos, the ultimate answer is a negotiated political solution.” [...] “The relationship between the United States and Russia is, needless to say, a very important relationship and it is marked by both shared interests and at times colliding and conflicting interests. I think we’re all very clear eyed about that,” Kerry said. “Sergei Lavrov and I are old hockey players and we both know that diplomacy, like hockey, can sometimes result in the occasional collision. So we’re candid –very candid – about the areas in which we agree but also in the areas in which we disagree.”»
• Ce mot de Lavrov, certes, définit absolument l’esprit de la rencontre : «Of course, we’ll have disagreements but we are united by a shared responsibility...» (La retenue de Hagel et de Choïgou, les deux ministres de la défense, tient sans doute moins à la prééminence du département des affaires étrangères sur la défense qu’à la personnalité et à la situation des acteurs. Hagel et Choïgou se rencontraient pour la première fois et le Russe [qui a la particularité d’être de religion bouddhiste] est fort peu connu internationalement.)
On a compris que peu nous importe ici les résultats de ce sommet, les positions des uns et des autres sur tel ou tel problème, parce que notre intérêt va tout entier à la forme et à l’esprit de cette rencontre, à son caractère complètement exceptionnel et hors normes, et justement, par conséquent, à l’isolement où ce processus-là se trouve par rapport à la situation générale. Nous voulons dire par là que le paradoxe convient parfaitement à la situation absolument déstructurée et invertie où se trouvent les relations internationales. La “normalité” traditionnelle des relations internationales est une façon de voir et de faire qui est aujourd’hui complètement hors des nouvelles normes, complètement “anachronique”, complètement atypique, dans le sens relatif du constat qui ne porte aucun jugement de valeur ni n'accepte ce que le verdict évidemment relatif et intéressé d’obsolescence porte de jugement négatif dans l’esprit de certains. De même, d’ailleurs, on doit rappeler que la plupart sinon tous les contentieux affectant ces deux parties sont créées de toutes pièces par l’instabilité et l’inversion des comportements des directions politiques, et le poids terrifiant de la politique-Système et de sa transcription dans le système de la communication.
Il est évident que, les choses étant observées objectivement dans leur catastrophique vérité, un dossier comme celui de l’attitude prêtée par les propagandistes “sociétaux” du bloc BAO à la Russie vis-à-vis des homosexuels et du mariage gay a infiniment plus de poids “stratégique” dans la communication qui en est faite que la question des antimissiles, et plus encore d’éventuels efforts de réduction des armements nucléaires. (Il est tout aussi évident qu’on parle d’une stratégie elle-même complètement subvertie et complètement invertie, – mais ce caractère constitue une vérité presque générale de la situation présente.) Quant aux situations intermédiaires comme la Syrie, – c’est-à-dire des questions très sérieuses mais dont les données constitutives sont elles-mêmes absolument subverties et inverties par les pressions du Système, – elles sont effectivement traitées avec le sérieux traditionnel des diplomates par les acteurs considérés ici mais se trouvent systématiquement handicapées et réduites dans les progrès éventuellement faits par l’intrusion permanentes de ces données “subverties et inverties” qui les affectent. L’on doute fort que ces réunions “2+2”, malgré l’état d’esprit qu’on décrit, puissent surmonter ce déséquilibre qui est le facteur principal et écrasant de la situation des relations internationales aujourd’hui. Les quatre, et surtout Lavrov-Kerry, peuvent bien arriver à un accord sur la Syrie, voire sur les armements nucléaires, et aussitôt l’un ou l’autre accord entrera dans le domaine chaotique et incontrôlable dominé par les groupes de pression, par le Congrès US et ses foucades irrationnelles et corrompues qui marquent toute son activité dans ces domaines, voire par le président Obama lui-même qui, dans ses discours, ne semble pas distinguer de dossier plus important que celui du statut des gays.
... Comme on l’a vu, dans ces ultimes réserves, nous parlons exclusivement du côté américaniste. Les raisons en sont évidentes puisque c’est ce côté, au sein du bloc BAO, qui est totalement infecté par la politique-Système et par l’inversion des priorités, avec la réduction monstrueuse des relations internationales à des sujets “sociétaux” érigés en questions “stratégiques” fondamentales. Qui niera que la question du statut des gays lors des JO d’hiver de Sotchi est d’ores et déjà un grand point de tension stratégique de l’année 2014 ? La stratégie n’existe plus en tant que telle, non plus que la diplomatie, toutes entières subverties par cette inversion extraordinaire des valeurs et des thèmes dans la “grande” politique. Il s’agit d’une évolution qui s’accorde au nihilisme de la politique-Système et rencontre les faiblesses psychologiques de nombre de dirigeants-Système, avec l’intérêt pour eux et leurs psychologies anémiques que de tels thèmes dissimulent complètement l’ampleur de la crise d’effondrement du Système ; disons que le débat sur le sexe des anges a été remplacé par le débat sur le sexe des gays... Cela s’est fait dans un mouvement presque unanime engageant les principales autorités intellectuelles et morales qui ne cessent de le céder au Système. Ces autorités, complètement réduites à l’affectivité comme substitut d’une raison pervertie et défaillante et dépendant d’une psychologie si affaiblie, trouvent inconsciemment dans cette inversion une façon jugée moralement réconfortante de ne pas considérer dans les yeux, ni d’aucune façon, le monstre de la crise d’effondrement du Système, et ainsi de ne pas être obligés d’affronter un regard qui les écrase et met en évidence l’imposture de leurs positions et de leurs comportements.
Pour ces raisons diverses, le sommet “2+2”, tout en étant sérieux et constructif, n’a aucune chance de conduire à rien de restructurant et de stabilisant. Les choses traditionnellement sérieuses sont devenues “les affaires courantes” qu’on suit et qu’on expédie le plus proprement possible, pour les voir aussitôt cochonnées et réduites à la désormais habituelle bouillie infâme qu’est devenue la “politique” réduite à son spectre déformé par les processus automatiquement activés du Système. Malgré toute l’estime qu’on peut avoir pour ces tentatives, et pour un diplomate du calibre d’un Lavrov, on conclura que cette évolution qu’on jugerait rationnellement catastrophique, n’est pas objectivement catastrophique. Elle a l’avantage de ne rien dissimuler de la situation catastrophique où nous nous trouvons. Si les dirigeants-Système ont trouvé leur truc pour ne pas regarder le monstre dans les yeux et rester confortables dans leur planque, – la seule chose qui les intéresse aujourd’hui, – le ridicule de leur truc par rapport à la façon dont sont expédié aux oubliettes les choses sérieuses porte témoignage en l’accélérant irrésistiblement de la trajectoire de chute et d’autodestruction du Système.
Mis en ligne le 12 août 2013 à 05H34