Les montagnes russes de l’attaque contre l’Iran

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Après la publication du rapport de l’IAEA sur le nucléaire iranien, des sources britanniques, notamment relayées par le Daily Mail, ont affirmé qu’Israël se préparait à lancer une attaque contre l’Iran, “avant Noël”, avec l’appui complet d’Obama, et le soutien logistique des USA, sinon leur participation active. Russia Today, le 10 novembre 2011, résumait les appréciations sur ces “nouvelles”.

Quelques jours auparavant, en marge du G20 de Cannes, des sources affirmaient effectivement qu’une attaque aurait probablement lieu, cette fois sous le leadership direct des USA. Ces sources, évidemment officieuses et non confirmées, citaient des indications venues d’Obama lui-même, parlant effectivement d’une attaque “avant Noël”, – mais là, nuance essentielle, “avant Noël 2012”. Il était difficile de ne pas observer que ces “informations” tombaient à merveille pour convaincre l’électorat juif aux USA de voter pour Obama en novembre 2012, puisque le même Obama semblait affirmer que l’attaque aurait lieu “avant Noël 2012”, donc après sa réélection, comme s'il voulait ainsi présenter par avance ses remerciements substantivés en une sage et audacieuse politique, à qui de droit, pour avoir assuré cette réélection.

Le 9 novembre 2011, l’excellent Mark Mardell, correspondant généralement bien informé de la BBC à Washington, affirmait qu’il n’était pas question d’attaque contre l’Irak chez les Obama, à la Maison-Blanche ; et cela, justement, pour des raisons électorales… «The White House could hardly sound less bellicose. It is not surprising. The last thing Barack Obama wants is an attack. It is, one hopes, hardly his main consideration, but in the approach to an election year, domestic politics do play. Any action would dominate a campaign, distract from what he wants to say on the US economy and undermine the support of his Democratic base…» Pour alimenter un peu plus ce débat d’une limpidité rare, nous mentionnerons que DEBKAFiles, après avoir affirmé (le 8 novembre 2011) qu’Israël remettait sine die son attaque, “confirmait”, en semblant prendre la prévision à son compte (le 11 novembre 2011), l’affirmation des Britanniques selon lesquels il y aurait bien une attaque “avant Noël” («UK expects Israeli attack on Iran next month with US logistical support»). (Et l’on rappellera, pour ajouter à la même limpidité du propos, que le même DEBKAFiles annonçait, le 8 novembre 2011, que les USA “passaient la main” face à l’Iran, à cause de l’effondrement de leur puissance.)

Entretemps, l’on entendit le secrétaire à la défense Leon Panetta nous avertir du danger d’une attaque, après avoir appris que le même Panetta, en visite en Israël en octobre, s’était vu opposer une fin de non recevoir à sa demande renouvelée (par tous les secrétaires US à la défense) que les USA soient avertis de toute initiative que prendrait Israël contre l’Iran. C’est avec ces deux “nouvelles” d’ores et déjà connues en tête de son texte que le Daily Telegraph, sous la plume de son correspondant à Jérusalem Adrian Bloomfield, publie un article reprenant la question de l’attaque possible d’Israël contre l’Iran (le 13 novembre 2011).

«The US leader was rebuffed last month when he demanded private guarantees that no strike would go ahead without White House notification, suggesting Israel no longer plans to "seek Washington's permission", sources said. The disclosure, made by insiders briefed on a top-secret meeting between America's most senior defence chief and Benjamin Netanyahu, Israel's hawkish prime minister, comes amid concerns that Iran's continuing progress towards nuclear weapons capability means the Jewish state has all but lost hope for a diplomatic solution.

»On Tuesday, UN weapons inspectors released their most damning report to date into Iran's nuclear activities, saying for the first time that the Islamic republic appeared to be building a nuclear weapon. It was with that grave possiblity in mind that Leon Panetta, the US defence secretary, flew into Israel last month on what was ostensibly a routine trip…»

Le corps de l’article reprend divers facteurs connus, qui mélangent aussi bien les affirmations que l’attaque est imminente, que celles qui affirment qu’elle n’aura pas lieu. Il cite bien entendu l’opposition à l’attaque de l’ancien chef du Mossad Meir Dagan avec son groupe d’anciens hauts fonctionnaires des services de sécurité et de leurs relais dans les actuelles hiérarchies de ces services. Il termine enfin par ce qui est finalement le facteur essentiel pour donner à toute cette affaire son caractère le plus remarquable et le plus spécifique, qui concerne la personnalité de Benyamin Netanyahou (avec son ministre de la défense Barack en bandouillère), – expliquant indirectement les confidences Sarko-Obama, lors du G-20, surprises par un micro trop bien branché. (Selon Reuters parmi d’autres, le 8 novembre 2011 : «“I cannot bear Netanyahu, he's a liar,” Sarkozy told Obama… […] “You're fed up with him, but I have to deal with him even more often than you,” Obama replied».)

Boomfield conclut donc… «But not everyone is so sure. Mr Obama's willingness to take on Iran militarily is openly questioned in Israel. And while many Israelis do not believe Iran has any intention of actually firing a nuclear missile at them, the key question is whether their prime minister is one of them.

»In Mr Netanyahu's eyes, Iran's president, Mahmoud Ahmadinejad, is another “Hitler” whose aim is to complete what the Holocaust failed to do by wiping out the Jewish race. “People outside Israel don't understand how profound memories of the Holocaust are, and how they affect future policy making,” said Mr Bergman, the military analyst. “At the end of the day, this policy of ‘never again’ would dictate Israel's behaviour when intelligence comes through that Iran has come close to a bomb…”»

Ainsi placerons-nous, à côté de l’aspect souligné par nous à propos de l’opposition de Dagan (voir le 11 novembre 2011), combien cet autre aspect de l’irrationalité exacerbée de la perception de l’équation “Hitler- Ahmadinejad-Holocauste”, totalement ancrée dans la psychologie de Netanyahou, joue un rôle essentiel dans une crise qui n’a absolument plus rien d’une crise au sens classique ; par conséquent, crise complètement caractéristique de l’époque commencée en 2008-2010, caractérisée par le désordre tel que défini par nous le 2 novembre 2011 ; par conséquent, crise dominée notamment, dans le champ de la “politique”, par la prédominance des facteurs irrationnels (Netanyahou) aussi bien que par des interférence majeures (Dagan) dans les hiérarchies d'une autorité politique qui a perdu toute légitimité.

C’est un constat qui ne cesse de s’imposer, de s’amplifier, de confirmer combien la norme des relations internationales a changé pour imposer une nouvelle substance et appeler une nouvelle définition ; cela, rejoignant ce schéma que nous signalions, notamment à l’occasion de deux textes dont il faut ajouter les appréciations. Le 28 octobre 2011, cette observation : «La “politique extérieure” reflète cette évolution en étant réduite elle-même à une déroute pure et simple. On en arrive à un point où l’on ne saurait même plus s’en tenir à la caractérisation de telle ou telle politique, essentiellement américaniste-occidentaliste certes, d’être “en déroute”, mais bien à l’application de ce jugement de la déroute générale au fait même de la politique extérieure : tout se passe comme si la politique extérieure, d’une façon générale, exprimait en soi la déroute générale du Système lui-même.» Le 2 novembre 2011, cette autre observation : «Nous allons évoluer vers une situation où la pusillanimité de plus en plus paranoïaque et terrorisée sera de rigueur, le repli là où il peut être effectué sera envisagé avec la position défensive impliquée, l’abstention là où elle peut être observée, tout cela pour permettre de mieux se concentrer sur les crises intérieures et pour ne pas mettre la situation de légitimité et d’autorité perdues des Etats à l’épreuve des faits. La politique extérieure devrait perdre de plus en plus sa planification structurée, sans parler de la réalisation d’une telle planification qui n’est dès aujourd’hui plus réalisée…»

Cela signifie, d’un autre point de vue, que plus aucune force n’est capable d’utiliser les normes anciennes des relations internationales et l’“ordre” (justifié ou pas, là n’est pas le propos) qui les caractérisait ; et essentiellement bien sûr, pour ce dernier point de l’“ordre”, la force des USA. La puissance de cette force des USA est non seulement en train de voir se dissoudre une grande partie de ses moyens, mais surtout elle est dans le processus de voir fracassée cette chose essentielle que les esprits concentrés sur la seule Matière ignore, – sa légitimité de puissance dominante, qui fait qu’on ose agir, qu’on ose imposer son ordre, qu’on impose sa loi... (En ce sens, des trois textes envisagés de DEBKAFiles, le seul qui a une valeur structurelle est, bien entendu, celui qui nous signale que “les USA passent la main”.) Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas d’attaque contre l’Iran ; “au contraire”, pourrait-on être tenté d’ajouter, puisque c’est le Pentagone, et plus précisément l’U.S. Navy avec ses amiraux Fallon et Mullen, qui, entre 2006 et 2008, a empêché d’une main de fer toute tentative d’attaque de l’Iran, tant israélienne que de la part des “faucons” de l’administration GW Bush… Mais non, d’ailleurs, même pas “au contraire”, mais plutôt le jugement que nul n’en sait vraiment rien ; nul n’en sait rien, puisqu’en Israël s’affrontent des forces paranoïaques (Netanyahou-Barack et leur suite) et des forces illégales d’influence (Dagan et son groupe), tandis qu’aux USA, un président pense à l’attaque contre l’Iran en fonction du 6 novembre 2012 dont on sait que les deux arguments à ce propos sont valables, comme un verre à moitié vie ou à moitié plein (une attaque favoriserait sa réélection, une attaque coulerait sa réélection).

Plus aucune cohérence, plus aucune logique, le désordre pur dans la déroute d’un ordre imposé par la force et devenu illégal et illégitime, mettant à nu toutes les tensions psychologiques jusqu’aux pathologies, faisant ressurgir les frustrations, donnant de l’audace aux prudents et ainsi de suite… Jamais une attaque contre l’Iran n’a été autant possible qu’aujourd’hui à cause du désordre et de l’incontrôlabilité de la situation, et jamais une attaque contre l’Iran n’a été aussi improbable qu’aujourd’hui à cause de l’absurdité et de la dangerosité du projet. Il faut admettre que cette abstention de la prévision n’est pas une tare irréparable, car l’événement en soi ne serait pas inéluctablement fondamental… L’événement fondamental, c’est cette nouvelle situation des relations internationales, essentiellement à cause de la perte de contrôle de la situation par les USA accompagnant l’effondrement de leur puissance d’une part, la parcellisation du pouvoir israélien entre les faucons réalistes et les paranoïaques qui l’accompagnent d’autre part (pour le cas qui nous intéresse). Cette nouvelle réalité diverse mais assez simple à décrire ne peut que donner des événements de rupture, à un moment ou l’autre. Cela peut être une éventuelle attaque contre l’Iran, comme cela peut être un éventuel affrontement avec la Turquie, ou bien les deux, ou bien encore autre chose.


Mis en ligne le 14 novembre 2011 à 04H59