Les néo-conservateurs, leur influence et l’Arabie

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Les néo-conservateurs, leur influence et l’Arabie


20 juin 2004 — Une question nouvelle inspire les plumes des éditorialistes américains : mais les néo-conservateurs sont-ils vraiment en disgrâce ? (Les néo-conservateurs, ou neocons, aussi bien à l’intérieur du gouvernement, avec Wolfowitz, Feith, Libby, etc, qu’en-dehors, avec Perle, Leeden, Kristoll, le Weekly Standard et une bonne part du Wall Street Journal).

Justin Raimundo se pose la question dans sa chronique d’Antiwar.com, le 18 juin, sous le titre plutôt nuancé : « The Neoconservative Moment, Is it over – or just beginning? ». Dans le Los Angeles Times du 16 juin, Jacob Heilbrunn est beaucoup plus affirmatif : « Rumors of the Neocons’ Demise Are Greatly Exaggerated »

D’ailleurs, a-t-on seulement annoncé la disgrâce des néo-conservateurs pour se demander s’ils sont vraiment en disgrâce ? Pas vraiment mais cela est apparu évident à tout le monde. Leur politique est si complètement pulvérisée qu’il semblait évident que leur crédit était réduit à mesure, et leur influence par conséquent.

C’est une façon de voir et c’est celle de Justin Raimundo qui, pourtant, après avoir lu Heillbrunn, se prend à douter… Il y a en effet une autre façon de voir, qui conduit à admettre que les grandes lignes de la politique recommandée par les néo-conservateurs sont toujours largement suivies, et même avec des perspectives qui pourraient les ravir.


« …The war now being waged by Al Qaeda on Saudi soil raises the prospect of a wider rebellion against the monarchy, a wave of instability that would almost surely provoke U.S. military intervention to “protect” the oil fields. What the wilder neocons imagined aloud in their busy little seminars before the war looks likelier by the day.

» Some, like Pat Buchanan and myself, have optimistically pronounced the neoconservative moment to be over, but Los Angeles Times editorial writer Jacob Heilbrunn opines that “Rumors of the Neocons' Demise Are Greatly Exaggerated,” as the title of his piece puts it:

» “Neoconservatism is finished. According to the conventional wisdom, the Pentagon's top neocons, like Paul D. Wolfowitz, Douglas J. Feith and William J. Luti, have been discredited by the insurgency in Iraq, by Abu Ghraib and by growing public discontent with the war. The United Nations has been invited back – begged, really – while the organization's chief opponent, Richard Perle, has been marginalized. The exposure of Iraqi exile leader Ahmad Chalabi as a charlatan, and possibly as an Iranian spy, has delivered the knockout punch. The neocons have lost President Bush's confidence, it seems, and will be abandoned if he wins a second term.

» ”That's the way the story goes, anyway. In Washington, it is widely believed, easy to understand and fun to pass along. But it is also wrong.”

» It's wrong because Bush is the neocons' biggest supporter, his rhetoric has not wavered, and neither have his actions. Sanctions on Syria, the gathering storm over Iranian WMD, continued unconditional support for Ariel Sharon: “If this is moving away from neoconservatism,” asks Heilbrunn, “what would an embrace look like?” »


Il est vrai qu’aujourd’hui la situation en Arabie Saoudite suscite les plus grandes alarmes. Une intervention en Arabie pour “protéger” les champs pétrolifères est devenue l’hypothèse la plus courante, non seulement pour les planificateurs américains mais aussi pour les planificateurs européens. On s’attend à des « semaines, voire des mois difficiles, avec la possibilité réelle d’une très inquiétante aggravation de la situation pouvant effectivement conduire à une intervention », selon une source européenne proche des milieux du renseignement. Cette fois, il n’y a pas d’opposition marquée entre Américains et Européens, — sauf à demander qui est, en fait, responsable de cette aggravation de la situation, sinon l’accélération de la déstabilisation de la région due à la guerre en Irak, et l’on sait la cause de tout cela.

[D’autre part, il faut se méfier de ces crises inéluctables. Le cas du Pakistan est là pour nous le rappeler : voisin de l’autre pays (Afghanistan) attaqué par les Américains, déstabilisé de la même façon, encore plus un foyer de terrorisme que l’Arabie, et, depuis fin 2001, dans un état proche de l’effondrement selon les évaluations occidentales (c’est-à-dire, menacé de voir son pouvoir renversé par les islamistes radicaux, même scénario prévisionnel qu’en Arabie). La seule différence est que le Pakistan n’a pas de pétrole — par contre il a la bombe, et ceci vaut bien cela comme motif d’intervention occidentale. Nous sommes à l’été 2004 et le Pakistan tient toujours.]

Mais le signe de la persistance de la présence des néo-conservateurs, sinon de leur influence, ne se trouve pas tant dans la possibilité de crises, ou dans tel ou tel signe de poursuite de leur politique. Il se trouve plutôt dans la situation politique générale aux États-Unis, qui est proche de la paralysie, et, curieusement, de la paralysie dans l’extrémisme.

• GW ne peut être réélu que sur sa politique, qui est la politique de la guerre contre la terreur, la politique extrémiste, la politique recommandée par les néo-conservateurs. Les républicains sont avec lui, par intérêt politique et par absence d’alternative, comme le montre le ralliement récent du sénateur John McCain. Si GW est réélu, on ne voit aucune raison pour qu’il change la politique qui, selon lui, l’aura fait réélire… Nous sommes dans le cas du cercle vicieux, qui est le mouvement correspondant à une paralysie de l’orientation politique.

• L’establishment washingtonien, même anti-guerre au départ, ne peut envisager l’abandon complet d’une politique qui impliquerait un retrait humiliant, catastrophique, d’Irak, qui pourrait être la fin de l’image de puissance irrésistible qu’entretient l’Amérique. Même John Kerry ne veut pas en entendre parler, surtout ce John Kerry candidat démocrate, qui veut plus de troupes en Irak et des pressions accentuées sur l’Arabie.

• Les tensions entre agences, services, ministères, administrations etc, contribuent encore plus à cette paralysie. Si, en mai, Rumsfeld n’a pas démissionné à la suite du scandale des tortures, c’est parce que, selon une source diplomatique française, « il était impossible de lui trouver un successeur, et même, impossible d’envisager que le Congrès accepte d’approuver n’importe quel successeur à Rumsfeld ».

Néo-conservateurs ou pas, il semble bien que l’Amérique soit verrouillée dans une politique maximaliste. Alors, les néo-conservateurs, qui sont surtout habiles dans les intrigues d’antichambre du pouvoir pour conserver le pouvoir, restent en place et ils ont l’air d’influencer toujours la politique. Ils ont finalement peu d’importance, sinon celle d’être apparus là où ils sont apparus, au bon moment. La politique extrémiste de l’Amérique est, aujourd’hui, quelque chose qui se nourrit de sa propre logique et de ses propres pesanteurs, c’est-à-dire de son extrémisme justement.