Les neocons entre marteau et enclume, — ou, disons, entre la poire et le fromage

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Les grandes aventures guerrières, lorsque l’on reste le cul posé dans un confortable fauteuil d’une suite luxueuse d’une belle avenue de Washington DC où se trouve le siège de l’American Enterprise Institute qui est la matrice de la pensée neocon, — ces grandes aventures ne sont pas si simples qu’on croit. Ce préambule nous permet paradoxalement d’aborder un autre problème que celui des grandes aventures guerrières, qui est celui des sanctions commerciales qui devraient être appliquées à l’Iran sur proposition du Congrès, et qui toucheraient directement et sévèrement des entreprises européennes.

Le 3 août, le Financial Times publie un article sur cette question. En fait, il ne fait que répéter et amplifier ce qu’on a déjà vu, savoir que les grandes entreprises européennes, et, par conséquent, les autorités politiques qui écoutent avec tant d’attentions les conseils amicaux des grandes entreprises européennes, sont très mécontentes de cette orientation : «European governments are warning Congress that US legislation aimed at Iran could hit European energy groups, undermine transatlantic unity on Tehran’s nuclear programme and provoke a dispute at the World Trade Organisation. Diplomats from France, Germany and the UK, among other countries, have stepped up a lobbying campaign on Capitol Hill against moves that would mandate sanctions on energy companies that invested more than $20m (€14.6m, £9.9m) in Iran.»

Mais voilà qu’un avis étrange termine l’article, étrange même pour le FT qui a du mal à cacher sa surprise : «Caution has been urged from unexpected quarters. “If we go forward and we begin to sanction foreign companies through more stringent sanctions in the Iran Sanctions Act, I think there will be serious repercussions for our multilateral effort,” said Danielle Pletka of the American Enterprise Institute, the conservative Washington think-tank.»

Expliquons-nous: Danielle Petka est une des dirigeantes d’AEI, le think tank néo-conservateur, et il est stupéfiant de l’entendre mettre en garde les divers protagonistes contre des mesures de durcissement à l’encontre de l’Iran, dans tous les cas pour ne pas compromettre l’effort “multinational”. Une neocon qui veut protéger le multilatéralisme et qui recommande d’être soft contre l’Iran, voilà qui est si inattendu.

Jim Lobe, grand connaisseur des arcanes de la politique extrémiste à Washington, prend sa plume et nous explique de quoi il retourne (dans une analyse qu’il publie le 3 août sur son site LobeBlog.com). La chose est du reste assez simple une fois qu’on a deviné l’orientation. L’AEI est financièrement et massivement soutenue par un nombre important de grandes entreprises et de multinationales américanistes. Ces “sponsors” commencent à trouver l’initiative du Congrès plutôt agaçante, d’autant qu’elles sont souvent liées par des accords ou des liens concrets aux sociétés non-US visées.

Lobe continue… «Whatever would possess AEI and Pletka, who personally has been one of the most prominent and enthusiastic cheerleaders of the rapidly spreading state divestment movement against companies doing business in Iran, to offer a cautionary note about adopting unilateral sanctions, let alone stress the importance of preserving multilateral unity with limp-wristed European allies in dealing with a charter member of the “Axis of Evil”? Judging from its provenance at what must be considered Neo-Con Central, it certainly couldn’t be common sense.

»In fact, Pletka’s observation probably reflects growing tensions between AEI’s corporate contributors, many of whom are represented on its board of trustees, on the one hand, and, on the other, the hard-line neo-conservative views of its foreign-policy fellows, such as Richard Perle, Michael Ledeen, Michael Rubin, Joshua Muravchik, and Pletka herself; academic advisers, such as Gertrude Himmelfarb, Eliot Cohen, and Jeremy Rabkin; and its board chairman, Bruce Kovner.

»As AEI jumped on the divestment bandwagon initiated by Perle protégé Frank Gaffney’s Center for Security Policy (CSP) earlier this spring with its publication of a list of evil-enabling companies, some of its corporate contributors with interests in some of those same companies — or in countries where those companies are based — objected. After all, multinational corporations, such as ExxonMobil, Motorola, American Express, State Farm Insurance, Dow Chemical, Merck & Co., Dell Inc. – all of which are represented in various ways on AEI’s board of trustees – not to mention General Electic, Amoco, Kraft, Ford Motor, General Motors, Eastman Kodak, Metropolitan Life, Proctor & Gamble, Shell, General Mills, Pillsbury, Prudential, Corning Glass Works, Morgan Guarantee, and Alcoa – all of whose foundations have reportedly contributed significant amounts of money to AEI – generally oppose economic sanctions that interfere with their investment and commerce, especially if they are unilateral and especially if they result in many jurisdictions (i.e. states) enacting different sanctions with which companies must comply.

»“I know for a fact that some companies who are AEI contributors have complained to the president of AEI [Christopher DeMuth] about AEI’s involvement in this,” said William Reinsch, the president of the National Foreign Trade Council (NFTC), an association of some 550 of the biggest U.S. companies that, among other things, opposes unilateral economic sanctions. “There has been a significant level of upset by a number of [them].” In some cases, he added, companies complained about their inclusion on the list posted by AEI, while “others believe that it’s not an appropriate activity for AEI to be engaged in.”»

D’autre part, il sera bien difficile de convaincre le Congrès de ne pas voter une loi qui, sous une forme ou l’autre, imposera des contraintes peu agréables aux amis du Big Business américaniste. Les chiffres sont là: une des lois en discussion déposée à la Chambre des Représentants par Tom Lantos, président de la puissante Commission des Affaires Etrangères, est soutenue par 322 députés “co-sponsors”, — ce qui signifie assez de votes pour éventuellement repousser un veto présidentiel. Pour les parlementaires US, un régime ultra-dur de sanctions commerciales permet d’affirmer une position très dure contre l’Iran sans prendre le risque d’une action militaire. Par ailleurs, tout le monde commence à savoir que les USA n’ont pas les moyens d’une action militaire décisive, ou voulue comme telle.

Les sanctions commerciales ultra-dures ont donc la côte. Mais elles enragent le Big Business, lequel tient les neocons par le portefeuille. Les neocons sont entre les deux, entre marteau et enclume ou entre poire et fromage. Le temps de l’empire triomphant auquel rien ne résiste est bien passé, — car c’est bien, finalement, l’effondrement des capacités militaires qui est à la base de cette sorte de désagréable situation. Du temps où l’on frappait sec et dur, comme contre l’Irak, les Européens s’alignaient et le Big Business la fermait.


Mis en ligne le 6 août 2007 à 10H21