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1356Il est vrai et il ne cesse d’être de plus en plus vrai que la crise égyptienne met les neocons à rude épreuve. Contrairement à ce que l’on pouvait attendre de ce que l’on croyait être leur réalisme éventuellement cynique, les fractures internes de ce courant idéologique ne se comblent nullement. Elles touchent également, et principalement dirait-on, les relations des neocons avec leur indéfectible allié qui ne l’est plus tout à fait, – dito, Israël.
Les deux aspects de ce malaise sont passés en revue dans deux articles fort bien documentés.
• Jack Ross, sur le site RightWeb du
«Revolutions of world-historic potential, such as we are presently witnessing in Egypt, only happen once in a generation. There is enough awkwardness among the Washington establishment—bewildered at the sight of an uprising against a client state—that they are completely helpless to do much of anything in the face of the tumult on the Egyptian street. But no one is confronting a more awkward comeuppance, and responding to it more erratically, than the neoconservatives.
»Champions of President George W. Bush’s “freedom agenda,” the neoconservatives have repeatedly found themselves facing the discomforting reality that democratic change in the Middle East has more often than not led to the emergence of governments that are opposed to the state of Israel. First there was Hamas. Then Hezbollah. Now, potentially, the Muslim Brotherhood.
»And yet, instead of injecting a bit of realism into their logic, these events have forced neocons to feverishly grasp either of two contrary positions: The freedom crowd sees the uprising in Egypt as vindication of Bush’s “global democratic revolution”; the Islamophobes have begun their predictable fear mongering about the Muslim Brotherhood and the rise of the global Caliphate…»
• Sur le site Politico.com, le 3 février 2011, un long article de Ben Smith et de Josh Gerstein, expose les conséquences de cette attitude des neocons sur les relations du groupe avec Israël. Comme on l’a déjà vu, Israël est partisan à 100% du soutien à Moubarak, et se heurte donc à la fraction anti-Moubarak des neocons, de loin la plus importante du groupe. D’une façon assez inattendue pour notre connaissance, une citation contenue dans l’article affirme que cette division a toujours existé…
«The amount of daylight between Israel and advocates such as Abrams illustrates something important about neoconservatives, according to Noah Pollak, executive director of the Emergency Committee for Israel, a Republican-allied group Kristol chairs .
»“This has always been a tension between the Israelis and the neocons — the neocons believe in the universality of liberal democracy and the Israelis don’t,” said Pollak, who argues that Israel, with Egypt looming on its border, has a right to be nervous…»
@PAYANT Cette situation des neocons, entre eux comme par rapport à Israël (ce deuxième point avec des conséquences importantes), est particulièrement fascinante. L’explication que donne Noah Pollack, selon laquelle une division a toujours existé entre les neocons et Israël, nous surprend considérablement ; nous n’en avons jamais été vraiment avertis et n’avons jamais rien lu à ce propos, si bien que nous pouvons, pour notre compte, évoquer l’hypothèse que cette appréciation est un peu sollicitée, qu’elle vient opportunément pour tenter de “banaliser” une querelle qui inquiète diablement les partisans d’Israël à Washington, et notamment le Lobby. Cela pour la situation politique, issue de cette crise égyptienne qui nous paraît promise à faire surgir bien des cas inattendus, bien des situations surprenantes.
Mais il nous semble qu’il faut aller plus loin, tant cette position des neocons nous paraît illustrative d’une situation plus générale qui caractérise la modernité et, d’une façon plus générale, ce que nous nommons l’“idéal de puissance” (d’après Guglielmo Ferrero). (Bien évidemment, on retrouve ces différents concepts présents et explicités dans les divers textes de présentations et extraits de La grâce de l’Histoire, qu’on peut trouver dans la rubrique ad hoc, ou dans ce texte du 3 avril 2010 de nos DIALOGUES.) De ce point de vue de nos conceptions, les neocons, dans leur actuelle division par rapport à des situations qui sont toutes issues de la modernité reflétant effectivement cet “idéal de puissance” (crise égyptienne, attitude obsessionnelle d’Israël, “politique de l’idéologie et de l’instinct” des USA), sont effectivement la parfaite illustration de l’impasse à laquelle mène la politique générale qui en est l’application.
D’un côté, on trouve l’utopie intéressée de la “démocratisation”, qui consiste à imposer aux “peuplades” extérieures les structures, la culture et les coutumes du bloc américaniste-occidentaliste, pour les conformer à un modèle qui marie l’utopie sincère et les avantages économiques et autres qui en découlent. Il ne faut pas, dans ce cas, bannir l’argument de la sincérité et de l’utopie, qui existent sans aucun doute en toute ingénuité dans ces esprits conduits par une psychologie enfiévrée. De l’autre côté, on trouve l’obsession, dans ce cas partagée par Israël, de l’Ennemi extérieur, – l’islamisme, bien entendu, pour la situation présente. Les deux arguments ne sont pas directement antagonistes et semblent ne s’opposer que dans la chronologie. La faction “internationaliste” juge qu’en démocratisant, on élimine nécessairement les tendances à l’islamisme, en plus d’obtenir d’autres avantages et de rencontrer une utopie exigeante. La faction “islamophobe” estime qu’en détruisant prioritairement l’islamisme, on ouvre nécessairement la voie à la démocratisation et à tous ses avantages. En réalité, la différence de conception va beaucoup plus loin et, en ce sens, restitue le dilemme de l’“idéal de puissance” construit à partir du “déchaînement de la matière” tel que nous le définissons constamment.
Les “internationalistes” représentent, dans le déroulement du “déchaînement de la matière”, l’habillage moraliste et humanitaire que la raison humaine a offert comme gage de sa collaboration et signe de sa soumission à ce courant de puissance brute ; ils représentent, de ce point de vue, l’activisme du système de la communication, qui est d’abord attentif à la représentation idéologique et vertueuse de la politique de l’“idéal de puissance” (activisme du système de la communication qui ne manque pas d’ambiguïté dans ses diverses manifestations). Les “islamophobes”, dont la politique est basée sur la puissance brute dans le but de détruire l’adversaire, représentent le système du technologisme, effectivement fondé dans son développement sur la manifestation de cette puissance brute. Pour eux, le danger qu’ils ont identifié avec leur psychologie diversement subvertie représente la première priorité. Il faut d’abord détruire ce danger, même au risque de mettre en cause la “représentation idéologique et vertueuse de la politique de l’‘idéal de puissance’”.
L’intérêt de la puissance et du dépouillement de tout apparat de la crise égyptienne est qu’elle conduit cette contradiction, chronologique en apparence, à se transformer une contradiction opérationnelle dont il est impossible d’être quitte sans risquer de graves conséquences. Dans un cas, c’est effectivement l’élimination de Moubarak, dans l’autre c’est son maintien au pouvoir. Sur un terme de plus en plus rapproché, il n’y a pas de réelle “voie médiane”, dans une situation qui ne cesse de se détériorer et de favoriser la “montée aux extrêmes”. On voit que la crise égyptienne, dans son déroulement, dans une position géographique et dans des circonstances stratégiquement essentielles, interdit de plus en plus nettement un accommodement entre les deux options. Cela signifie que les deux tendances de l’“idéal de puissance”, qui étaient jusqu’alors complémentaires malgré leurs différences antagonistes, ne le sont plus du tout à cause de l’exacerbation des tensions et de la puissance des crises qui se manifestent. Les contradictions internes des neocons montrent cette situation dans un cadre et dans une dynamique particulièrement épurés, illustrant d’une façon convaincante les caractères contradictoires jusqu’à un antagonisme autobloquant de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Ce groupe politique restitue parfaitement, depuis plus de dix ans, les contradictions et la crise interne de la politique de sécurité nationale des USA, avec les relations entre les USA et Israël, et du développement de l’“idéal de puissance” jusqu’à une situation d’autodestruction. En cela, bien entendu, l’“idéal de puissance”, comme les neocons eux-mêmes, sont les reflets divers des exigences et des soubresauts du Système.
Mis en ligne le 4 février 2011 à 12H13