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139811 juin 2010 — Il y a divers signes selon lesquels on peut constater que l’influence des néoconservateurs, ou neocons, est toujours très présente à Washington.
Jim Lobe publie le 10 juin 2010, sur Antiwar.com, un texte qui rend compte de l’activisme considérable des néoconservateurs face à l’attitude de la Turquie qui s’est dressée face à Israël. Lobe fait remarquer, – paradoxe ou bouffonnerie c’est selon, – que nombre de ces neocons, Richard Perle au premier rang, ont été des lobbyistes très actifs au service de la Turquie pendant de nombreuses années. L’attitude nouvelle de la Turquie renverse brutalement leur attitude, laquelle est conditionnée par la situation d’Israël comme l’on sait, et Lobe recense les attaques innombrables des neocons contre la Turquie ces derniers jours.
Au même moment, Allen McDuffee, qui vient d’ouvrir un nouveau site (ThinkTanked) qui suit l’évolution des think tanks à Washington, publie un texte sur le thème de la persistance de l’influence des neocons sous l’administration Obama. On jugeait depuis plusieurs années, notamment depuis l’échec de toutes les politiques d’agression qu’ils avaient prônées durant l’époque Bush, que cette influence s’effaçait. On se trompait mais cela n’est pas d’une importance considérable.
Le texte de McDuffee est notamment sur RAW Story, le 10 juin 2010. McDuffee cite une étude de la Brookings Institution de Justin Vaïsse, transfuge français d’une dynastie bien connue de spécialistes français des USA dont tous les membres ont reçu l’aval, l’aide et l’influence qui va avec des puissants centres d’influence US. On comprend de quoi l’on parle, et, d’ailleurs, Justin Vaïsse est désormais complètement intégré au complexe d’influence américaniste. Prenons-le comme tel.
«According to a May report (pdf) from the Brookings Institution, a Washington, DC think tank, neoconservatives associated with prominent figures like former Assistant Secretary of Defense Paul Wolfowitz, Weekly Standard Editor Bill Kristol and pundit Richard Perle are still broadly active, despite policy failures associated with the 2003 invasion of Iraq.
»Brookings Institution senior fellow Justin Vaisse, author of Neoconservatism: A Biography of a Movement, argues that because neocons never had the degree of influence that opponents credited them with, and also because of a general unawareness of their history, observers don’t fully understand the trajectory of the neoconservative movement that began long before the Iraq invasion and one continues today.
»“Neoconservatism remains, to this day, a distinct and very significant voice of the Washington establishment,” Vaisse insists. In May he published the report Why Neoconservativism Still Matters.»
McDuffe cite d’autres avis d’experts dans le même sens…
• «Stephen Walt, professor of international affairs at the Harvard Kennedy School and co-author of The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy, says that the most obvious place the neocons are still influential is in U.S. policy toward Iran, where the Obama administration is “continuing the Bush administration’s basic approach, albeit with a ‘kinder, gentler’ face.”»
• «Benjamin Balint, a fellow at the Hudson Institute and author of Running Commentary: The Contentious Magazine that Transformed the Jewish Left into the Neoconservative Right, says that even despite their overly rosy predictions surrounding Iraq, neoconservatives have remained steadfast. They've offered “not a heart-searching mea culpa, not a re-examination of first principles, but very nearly the opposite,” Balint says.»
• Vaïsse offre diverses explications techniques, portant sur la technique de communication et la situation de la communication à Washington pour expliquer la persistance en apparence paradoxale de l’influence du courant néoconservateurs. Ce sont des explications classiques d’habileté d’infiltration, d’alliances ponctuelles avec d’autres groupes, de réseaux de communication très puissants, etc. Rien de nouveau, rien d’original et rien de la substance du phénomène neocon.
• «Perhaps more important than the institutions and financial support is the modus operandi of the neoconservatives, according to Janine Wedel, professor in the School of Public Policy at George Mason University and author of Shadow Elite. In particular, a small subset of neocons, a “neocon core,” has been working together for more than 30 years “to remake American foreign policy according to their own vision.”
»According to Wedel, this is done through the neocons' creation of alternative versions of official information and their ability to market those accounts as the more credible ones to audiences in the media, government and other political circles.
»The neocons are able to achieve their goals, according to Wedel, “by undermining the rules and standard processes of the government they supposedly serve and supplanting them with their own, all the while making public decisions backed by the power and resources of the state.” Because their undermining of these processes often goes undetected, it is likely many remain in place under the Obama administration.»
@PAYANT Cette présence persistante des néoconservateurs dans des positions d’influence n’a finalement rien pour étonner. Déjà, il y a un an, en mai 2009, alors que nous présentions les réflexions de Harlan K. Ullman, opposant “la politique de l’idéologie et de l’instinct” à “la politique de raison” dont on attendait qu’Obama la mît en place et la développât, il s’agissait bien, implicitement, de savoir si les neocons et la politique dont ils étaient les experts-sandwichs survivraient à la nouvelle administration. Ullman était très pessimiste et il avait raison, – et il l’a confirmé depuis. C’est bien “la politique de l’idéologie et de l’instinct” qui l’a emporté, qui est plus que jamais la règle à Washington, et cette politique représente la définition bien trouvée de l’orientation que prônent les neocons. Par conséquent, comment s’étonner que les neocons soient toujours parmi nous, plus assurés que jamais, écrivant dru et buvant sec la liqueur de la politique de l’idéal de puissance, – autre nom pour “la politique de l’idéologie et de l’instinct” ?
Cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” est à l’œuvre avec l’Afghanistan, elle est à l’œuvre avec Israël et le Moyen-Orient, elle est à l’œuvre avec l’Iran, elle est à l’œuvre avec la pérennisation de la Grande Guerre contre la Terreur, elle est à l’œuvre avec les actions illégales de diverses “forces spéciales” US dans plus de 140 pays, elle est à l’œuvre… etc. Le seul domaine où elle a été abandonnée est celui des relations avec la Russie, mais il s’agit là, essentiellement, de la conséquence de la réduction catastrophique de la puissance US, qui conduit les USA à éviter un antagonisme un peu lourd avec la puissance russe et sa composante thermonucléaire. Pour le reste, cette politique est partout en activité, couronnée d’ailleurs d’autant d’échecs… En effet, cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” a été systématiquement sanctionnée par l’échec, tout comme, comme les commentateurs cités plus haut le notent en général, toutes les orientations recommandées par les neocons. Ce n’est certainement pas ce qui importe en l’occurrence.
D’un point de vue politique (nous élargirons notre propos un peu plus loin), cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” est moins destinée à donner des résultats extérieurs qu’à satisfaire le consensus maximaliste de montée aux extrêmes qui caractérise aujourd’hui le désordre washingtonien. La “politique” US aujourd’hui est en effet caractérisée par un désordre complet ; la seule façon de ne pas se laisser engloutir par ce désordre est la fuite en avant de l’extrémisme systématique dans la politique. Tous les partis et fractions de l’establishment, lorsqu’il est question de politique extérieure, ne cessent de faire assaut de surenchère, pour toutes les raisons du monde et souvent des raisons opposées, mais qui sont interprétées dans le champ de l’affrontement politicien lui aussi marqué par un désordre complet, dans le sens du maximalisme et de l’extrémisme.
Les neocons ont donc tout raté jusqu’ici et ils sont plus influents que jamais, comme si ceci expliquait cela par logique contradictoire induite. Leur influence n’entraîne pas aujourd’hui d’aventure spécifique parce que, encore une fois, les USA n’en ont plus les moyens. C’est au contraire la paralysie générale, l’enlisement en Afghanistan, les revers constants et les initiatives brutales et catastrophiques d’Israël, le piétinement de l’hostilité contre l’Iran avec des menaces récurrentes d’attaque depuis 5 ans qui ne se concrétisent jamais, etc. On ne mesure pas la nécessité et le succès de l’influence des neocons aux succès de la politique qu’ils prônent mais à la conformité de la politique qu’ils prônent avec l’état d’esprit en profondeur et dans le désordre de l’establishment washingtonien.
De cette façon, les neocons sont à la fois une caisse de résonnance et une sorte de caution de communication, éventuellement avec un vague et lointain vernis écaillé à prétention d’une philosophie politique apparentée à une bouillie pour les chats, d’une marque finalement très prisée dans les salons parisiens, – voilà à peu près leur recette. Cela marche, non pas malgré que ce soit une imposture mais parce que c’est une imposture. Il faut admettre que l’imposture est aujourd’hui une vertu essentielle exigée du discours politique et philosophique (mystère insondable de l’emploi de ce qualificatif pour les neocons) pour fournir l’emballage séduisant des actes posés par le système américaniste-occidentaliste et sa politique de l’idéal de puissance.
Les neocons constituent les bataillons disciplinés de l’infanterie de la communication pour soutenir la politique de puissance. Caméléons de “la politique de l’idéologie et de l’instinct”, en général plus likoudistes que pro-israéliens ou pro-juifs, retors dans les contrats de lobbying et de communication, sachant entretenir d’excellentes et opulentes positions dans les réseaux de consultance des grandes sociétés d’armement, mais néanmoins avec ce qu’il faut d’hystérie pour émouvoir les messieurs-dames des salons, ils ont une façon de mélanger le cynisme et la conviction qui rassure les âmes inquiètes du système, – car il y en a, des âmes inquiètes. Par conséquent, ils restent les “pantins utiles du système” en rameutant les troupes et en fouettant les énergies défaillantes, même et surtout les énergies de pacotille. Ceux qui y verraient un complot ont bien du temps à perdre : le “complot” est là, à ciel ouvert, qui se déroule sous vos yeux et il a l’envergure du système, ni plus ni moins.
Il faut explorer plus avant cette fonction primordiale de “pantin” qui caractérise les néoconservateurs. Du pantin, ils ont la certitude, l’absence de doute, l’indifférence à l’expérience, le confort d’être manipulé, la dialectique aussi mécanique que les mouvements guidés par les fils du pantin, – vous savez, les fils qui les tiennent et les animent, accrochés au bout de chacun de leurs membres, et d’où viennent toutes leurs impulsions nécessaires à la conformité des choses dans ces temps eschatologiques. Ils semblent assurés de toutes les certitudes, en général le sourire carnassier et le regard aigu de ceux que ne retient ni n’attache nulle spéculation à propos du spectacle du monde. Ils sont donc les créatures parfaites, les pantins de “la politique de l’idéologie et de l’instinct”, et nullement ses créateurs ; c’est-à-dire, les pantins du système de l’idéal de puissance, tantôt du système du technologisme, tantôt du système de la communication.
On ne peut vraiment les condamner parce qu’il faudrait qu’il y ait délit là où il n’y a qu’automatisme. Les anathèmes lancés contre eux, les soupçons de comploteurs, les dénonciations d’architectes du Mal sont en tous points excessifs et leur font bien de l’honneur. Il n’y a aucune responsabilité qu’on puisse leur faire porter, donc aucune culpabilité significative, eux-mêmes ainsi parfaitement en ligne avec les “scélérats” de Maistre. (Allons-y de notre citation : «On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.») Simplement, ils ont encore évolué depuis la Révolution française et les analyses maistriennes, et ces “scélérats”-là ne prétendent même plus rien dominer du tout du courant qui les emporte et les manipule ; ils sont à son service et ne prétendent pas une seconde y faire défaut.
Bien entendu, les charger d’une pensée originale est à la fois risible et révélateur de l’incompréhension de leur rôle. Ils sont en réalité ceux qui ont la charge de traduire en un baragouinage à la fois pompeux et cynique une dynamique métahistorique qui les dépasse de toutes les façons, qu’ils transcrivent en discours de communication pour offrir une pensée si complètement bienpensante qu’on fabriquerait le mot de “bienpensance“ à leur usage propre, et “bienpensance” suffisamment martiale et suffisamment obscure pour que nul ne puisse songer à se poser la moindre question à ce propos.
Ils ne sont pas plus mauvais que les autres, et ils ont même la vertu d’une certaine sincérité dans l’emportement de leurs discours. On ne dira pas qu’ils y croient car la chose n’est pas nécessaire. Ils s’y trouvent à l’aise, sans s’interroger, et survivent à tous les aléas et à toutes les tempêtes. Les neocons ne font pas partie de la comédie idéologique en tant qu’une partie de la comédie humaine ; ils font partie de la comédie idéologique du postmodernisme, du temps d’après la comédie humaine, donc hors de tout jugement à cet égard. Ils sont donc toujours en avance sur leur temps en ce sens qu’ils agissent comme des travailleurs acharnés pour tracer la voie au système de l’idéal de puissance qui manipule les fils dont ils dépendent, préparant avec zèle et alacrité les catastrophes qui ne cessent de défiler sous nos yeux, sans mesurer ni l’ampleur, ni l’utilité, ni le dessein de ces catastrophes.
Retrouvant leurs origines trotskistes, les neocons sont le prolétariat d’avant-garde (plutôt que “l’avant-garde du “prolétariat”) de la poussée ultime vers la chute finale. Ils sont par conséquent indéboulonnables et tiendront le haut du macadam à Washington jusqu’à l’écroulement de la chose.