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382Une fois de plus, Justin Raimondo part en campagne contre les néo-conservateurs (neocons). On peut même parler d’une “campagne permanente”, vieille de bien plus d’une décennie, de ce commentateur libertarien, antiguerre, de vieille tradition conservatrice US. Donc, nouvel article de Justin, le 29 août 2011 (sur Antiwar.com), pour riposter à des articles de neocons anti-Ron Paul. (On n’a pas fini d’en lire et d’en entendre là-dessus, si Ron Paul continue son parcours.) Ron Paul est accusé évidemment d’être un traître-pacifiste, un isolationniste, un antisémite, etc. Tout se passe, du fait des neocons, dans une litanie désespérante de monotonie médiocre, de stupidité mécanique, – et nous devons bien retenir ces phénomènes-là comme significatifs (“monotonie médiocre”, “stupidité mécanique”).
Justin contre-attaque, comme à son habitude. Il prend la chose (la critique des neocons) sous son aspect aussi bien psychologique qu’historique. Cette fois, il laisse de côté les accointances bien connues des neocons avec Israël et le parti Likoud, et il fait bien ; que ces accointances existent ne fait guère de doute, mais elles ne sont en aucun cas déterminantes sur la durée, pour tenter de comprendre la substance même de ce groupe d’esprit, de cette psychologie commune si complètement et étrangement subvertie, et leur “influence” sur l’establishment washingtonien par conséquent ; ces accointances (avec Israël), si l’on s’en tient à elles, renvoient effectivement au réductionnisme et au fractionnisme que nous analysions dans notre F&C du 1er septembre 2011. (Nous ajouterions que, si Raimondo n’en dit pas un mot, on peut considérer cela comme un signe que, dans cette analyse générale qu’il fait là des néoconservateurs, du fondement de leur action, de leur influence par conséquent, il n’accorde effectivement pas l’importance centrale qu’on pourrait parfois croire à lire certains de ses textes, à cet aspect de la situation des néo-conservateurs.)
• Sous son aspect que nous qualifions effectivement de “psychologique”, qui concerne effectivement une posture politique constante des neocons, voici un extrait de la critique de Raimondo… «Neocons have never cared much for domestic policy: my theory is that it bores them. A single nation can hardly contain the grandiosity of their worldview, the globe-spanning hubris of their vision of America, once described by neocon guru Bill Kristol as a “benevolent global hegemon.”
»This is what neoconservatism is all about. On domestic policy, the neocons are all over the map, and especially on the relationship between government and the economy they are positively chameleon-like…»
• Le deuxième aspect est historique (mais en restant évidemment dans le domaine de la psychologie), et il forme l’essentiel du propos de Raimondo. Il se retrouve en terrain de connaissance, qui est l’histoire du mouvement conservateur US au XXème siècle, avec ses auteurs favoris. Voici le passage qui nous intéresse, où il cite effectivement l’un de ses historiens favoris, Murray Rothbard.
«When it comes to foreign policy, however, there is no modulating their rhetoric or hiding their agenda. It’s all about war – agitating for it, praising the virtues it supposedly instills, and always arguing that we should have gone to war yesterday, but today will do (e.g., the McCain-Graham critique of Obama’s Libyan intervention).
»The neoconservative persuasion, as Bill’s dad dubbed it, was born in the deepest winter of the cold war, when American school-kids were told to “duck and cover” as the shadow of nuclear war hovered over the American Dream. These former leftists, who once worshiped at the altar of Leon Trotsky, did an about-face and transferred their allegiance from the Red Army to the US Army with varying degrees of rapidity – but always with great displays of polemical fireworks. James Burnham, Max Shachtman, Kristol Père, and a large number of lesser lights, all went on to become the most fanatical advocates of what Burnham, a founding editor of National Review, deemed the “rollback” strategy – military confrontation with the Soviet Union on a world scale. Murray Rothbard relates his personal experiences of what they meant by “rollback” in his book, The Betrayal of the American Right:
»“The more I circulated among these people, the greater my horror because I realized with growing certainty that what they wanted above all was total war against the Soviet Union; their fanatical warmongering would settle for no less.”
»“Of course the New Rightists of National Review would never quite dare to admit this crazed goal in public, but the objective would always be slyly implied. At right-wing rallies no one cheered a single iota for the free market, if this minor item were ever so much as mentioned; what really stirred up the animals were demagogic appeals by National Review leaders for total victory, total destruction of the Communist world. It was that which brought the right-wing masses out of their seats. It was National Review editor Brent Bozell who trumpeted, at a right-wing rally: “I would favor destroying not only the whole world, but the entire universe out to the furthermost star, rather than suffer Communism to live.” It was National Review editor Frank Meyer who once told me: “I have a vision, a great vision of the future: a totally devastated Soviet Union.” I knew that this was the vision that really animated the new Conservatism. Frank Meyer, for example, had the following argument with his wife, Elsie, over foreign-policy strategy: Should we drop the H-Bomb on Moscow and destroy the Soviet Union immediately and without warning (Frank), or should we give the Soviet regime 24 hours with which to comply with an ultimatum to resign (Elsie)?”»
Effectivement, le phénomène des neocons est d’un grand intérêt, lorsqu’on le considère aujourd’hui. Dans la fièvre guerrière des années 2001-2005, la question les concernant pouvait être réduite aux circonstances, notamment leurs liens évidents avec le parti idéologique de la guerre dans l’administration Bush, avec le parti Likoud en Israël, etc. Aujourd’hui, le temps a passé et les circonstances se sont singulièrement modifiées. La persistance de la présence des neocons autant que leur “influence”qu'on jugerait presque mécanique, comme un phénomène devenu une sorte de circonstance structurelle qui n'apporte plus rien ne nouveau et encore moins de décisif, posent le problème d’une façon différente. Pour montrer de quelle différence il s’agit, au reste, nous serions inclinés à proposer plutôt le mot “miroir” que le mot “influence” pour définir leur activisme : les neocons ne seraient pas vraiment influents, ils seraient le “miroir” de quelque chose d’autre, qui ne peut plus se définir comme un mouvement pro-guerre dont ils auraient été également les initiateurs et les promoteurs quasiment exclusifs. Les neocons n’ont plus guère de relais au sein de l’administration actuelle, dont la politique guerrière est évidente mais qui est bien en-deça de ce qu’ils jugent absolument nécessaire, qui est d’une substance différente, qui n’a plus cette substance offensive des premières années Bush et se déroule comme une nécessité systémique entraînée par la politique générale née le 11 septembre 2001 ; quant à la puissante influence israélienne, elle préfère désormais se développer directement par son puissant lobby (The lobby) qui touche le Congrès d’une façon extrêmement efficace, et les neocons y jouent désormais un rôle marginal. Par ailleurs, les neocons eux-mêmes sont touchés par le désarroi général qui dilue une “ligne” directrice générale nécessaire à un vrai groupe d'influence actif lorsqu’on voit leurs divisions fondamentales sur la question libyenne. Nous serions alors conduits à envisager le problème qu’ils posent en d’autres termes que ceux envisagés jusqu’ici (extrémisme politique comme un choix stratégique délibéré et construit, corruption d’influence, soutien financier organisé, etc.).
Le portrait qu’on peut avoir d’eux au travers des deux extraits choisis du texte de Raimondo peut effectivement être envisagé selon une autre approche. Le type d’individus qu’on retrouve chez les neocons montre une exacerbation hystérique de la psychologie qui remonte loin ; pour certains, à leur passé trotskiste, mais d’une façon plus révélatrice à la Guerre froide selon l’anecdote que rapporte Murray Rothbard («Frank Meyer, for example, had the following argument with his wife, Elsie, over foreign-policy strategy: Should we drop the H-Bomb on Moscow and destroy the Soviet Union immediately and without warning (Frank), or should we give the Soviet regime 24 hours with which to comply with an ultimatum to resign (Elsie)?”»). Cette attitude rencontre aisément (même substance) celle de certains militaires de la période, dont le général LeMay est l’archétype. Nous en avions notamment parlé le 2 août 2006, citant un extrait de The House of War, de James Carroll, où on lisait notamment :
«… Against every openly stated purpose, the United States embraced [in 1942-1945] a strategy of annihilation from the air, because it could. It was as if the American psyche had itself been occupied by an invading force, one led by the likes of LeMay and Groves, before whose callous certitude the tortuous ambivalence of others had to fall. […] Sherry calls this new psychological trait “technological fanaticism” and describes it as an inability to relate means to ends. “At bottom, technological fanaticism was the product of two distinct but related phenomena : one — the will to destroy — ancient and recurrent; the other — the technical means of destruction — modern. Their convergence resulted in the evil of American bombing. But in was a sin of a peculiarly modern kind because it seemed so inadvertent, seemed to involve so little choice.”»
Outre le trait (psychologique) de “fanatisme technologique”, on retiendra la remarque “c’était comme si la psyché américaine avait elle-même été investie par une force extérieure d’envahisseurs” («…It was as if the American psyche had itself been occupied by an invading force»). A cette lumière, l’idée des neocons “miroirs” plutôt qu’“influents” prend encore plus de sens, sinon tout son sens. Les neocons ne seraient pas essentiellement un “phénomène” idéologique, ou de relations publiques, ou d’influence israélienne à Washington, mais d’abord un phénomène psychologique conforme à l’invasion de la psychologie américaniste par le Système. Disons qu’à l’expression de l’“idéal de puissance” dans le “fanatisme technologique” des LeMay et compagnie, répond l’expression du même idéal de puissance dans le “fanatisme communicationnel” des neocons. (Lesquels, au contraire de LeMay, qui pilota des B-17 et des B-29 en missions de guerre, se sont essentiellement rabattus sur la plume comme outil d'action de leur psychologie guerrière sous complète influence du Système. On aurait tort de reprocher aux neocons, dans ce cas, leur manque de courage ; chacun fait ce qu’il doit selon l’orientation indiquée par le Système, dans le domaine qui lui est propre.) Système (du technologisme) pour système (de la communication), il s’agit toujours du Système, majuscule en toute circonstance.
Il faut donc envisager avec la plus grande attention que ce groupe de personnages formant une entité remarquablement identifiée, remarquablement spécifique, ont agi en fait et continuent à agir (mais en ordre plus dispersé, à cause des circonstances créées par le développement du Système), essentiellement à cause de leur psychologie soumise au Système et modifiée par elle. Leur remarquable absence d’intelligence dans le propos, leur indifférence à la réalité au moins comme hypothèse à prendre en compte, leur enthousiasme sans désemparer pour des actions dont la stupidité et les effets catastrophiques n’ont même pas le charme du changement, tout tend à confirmer cette appréciation. Leur emprise sur l’establishment washingtonien n’est qu’une mesure de l’état du Système, tel qu’il se reflète dans l’establishment. La plaidoirie de la guerre permanente, de toutes les façons et dans tous les cas, semble être un thème absolument récurrent, qui est développé per se, sans aucune considération pour ses désavantages, ses effets, les pressions catastrophiques imposées sur l’ensemble des autres domaines du Système. Le désintérêt total des neocons pour la situation intérieure et générale des USA, tel que Raimondo l’identifie, est à cet égard une puissante confirmation. Il s’agit bien d’un “fanatisme” en action, effectivement de communication ou “communicationnel”, comme l’autre est un “fanatisme technologique”
Mis en ligne le 2 septembre 2011 à 06H05