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5 février 2005 — D’une façon générale, les néo-conservateurs triomphent à Washington. Ils ont raison. Avec GW, ils ont un des leurs à la direction suprême. Le signe le plus tangible de cet état de fait, on le trouve sans aucun doute dans la nomination, le 4 février, de Elliott Abrams au poste de conseiller spécial du président pour les questions de démocratie et de Moyen-Orient. Abrams n’est pas le plus connu des néo-conservateurs, mais il en est certes l’un des plus rigoureux et l’un des plus actifs. GW a, à sa droite, l’un des hommes les plus expérimentés et les plus efficaces en matière de politique maximaliste et déstructurante au Moyen-Orient, ce qui sera sans aucun doute la ligne politique principale de GW durant son deuxième mandat: maximalisme par la déstructuration démocratique du Moyen-Orient. (“Déstructuration démocratique”, c’est-à-dire systématique, un peu comme les Romains envisageaient le sort de Carthage et comme certains Américains envisagèrent le sort de Falloujah.)
Autant GW que les néo-conservateurs tiennent les élections du 30 janvier comme une victoire absolue et la complète démonstration de la justesse de leurs thèses, — et on a vu l’effet de cette évaluation dans le discours sur l’état de l’Union. Peu importe la réalité, qui nous dit que les élections ont surtout montré le profond déchirement du pays et nous font craindre des prolongements de plus en plus chaotiques. L’accueil fait à ces élections, dans lequel l’Europe a une place (une responsabilité) considérable, a donc eu son effet: achever de relancer la machine virtualiste GW-neocons. Nous avons remis GW sur orbite.
D’abord présentées comme un raz de marée de participation (« participation massive », selon Le Figaro), les élections du 30 janvier sont vite tombées à une estimation de 57% de participation, — ce qui peut être débattu comme assez satisfaisant en fonction de la situation du pays, mais nous confirme surtout, par conséquent, que la situation du pays est extrêmement difficile. D’ores et déjà, même ce chiffre de 57% est contesté. On tentera peut-être d’arranger les résultats mais cela ne sera pas facile et surtout ce n’est pas si sûr: comme on l’a vu dans l’affaire des ADM irakiennes qui n’existaient pas, nous avons affaire, à Washington, à des idéologues virtualistes qui croient que la situation virtualiste est la réalité, bien plus qu’à des idéologues machiavéliques et réalistes. Dans le cas irakien, personne n’a donné l’ordre d’implanter de fausses ADM irakiennes qu’on aurait pu faire passer pour vraies, ce qui était relativement aisé. (Ne parlons pas du “problème moral” du mensonge, par pitié. Nous avons affaire à des “straussiens” et l’on sait que Leo Strauss tenait cette question comme évidemment négligeable.)
En un sens, la question irakienne est résolue pour eux, par l’événement virtualiste du 30 janvier. Les idéologues virtualistes de Washington, GW en tête, croient dur comme fer que le 30 janvier est une fantastique victoire de la démocratie et la démonstration de la justesse de leurs théories, et ils feront leur politique vers d’autres horizons (Iran, notamment) en fonction de cela. Ce n’est ni l’une ni l’autre, ni victoire ni démonstration. On le verra très rapidement. Ces futures collisions entre la réalité et les croyances virtualistes de Washington ont un énorme potentiel de déstabilisation, — à Washington, cette fois.
Les néo-conservateurs et leurs amis n’en ont cure. Ils triomphent, de Charles Krauthammer à Ralph Peters, et ils conservent toutes leurs convictions, toutes leurs certitudes. Plus que jamais, ce qui se passe (la guerre contre la terreur ? La guerre pour la liberté ? La guerre contre tous les tyrans du monde ? Peu importe, faites votre choix) représente pour le moins la Quatrième Guerre mondiale, ou, mieux encore, une ruée vers Armageddon. Les néo-conservateurs n’ont rien appris, — c’est d’ailleurs leur raison d’être puisqu’ils savent tout, — et ils sont plus que jamais triomphants à Washington. Ils n’ont pas tort puisque GW, décidément, est le meilleur d’entre eux et qu’il est dans la position qu’on sait.
Quant aux Européens, ils vont apprendre (espérons, ce n’est pas sûr) ce que c’est qu’une Amérique exigeante, car 2001-2004 ce n’était qu’un hors d’oeuvre… Pour mémoire, ces quelques mots de Jim Lobe sur le discours sur l’état de l’Union:
« Particularly notable, in many ways, was what Bush omitted from the speech, which is normally an occasion for delivering a broad panorama of what a president considers important in the world and what he hopes to accomplish.
» Some analysts were struck by the gap between the rhetorical importance the administration has placed on strengthening tattered ties with Europe — as underscored by both Condoleezza Rice's maiden voyage as secretary of state there this week and Bush's trip later in the month — and his silence about issues, apart from the Middle East, on which European leaders feel most strongly.
» These include slowing global warming, fighting poverty — the two top priorities for Bush's closest ally, British Prime Minister Tony Blair — and strengthening the United Nations.
» ”Many policy concerns that are close to the heart of Europeans received no mention whatsoever,” said Charles Kupchan, a foreign-policy analyst at the Council on Foreign Relations and author of ”The End of the American Era”. ”They would justifiably come away from this speech believing that their worldview and Bush's worldview overlap only at the margins.”
» Indeed, the only time the U.N., the European Union (EU) and even NATO came up by name in the speech was in relation to their help in Afghanistan. Even more remarkable was Bush's failure to cite by name allies that are contributing troops or other assistance to the U.S.-led coalition in Iraq, as he did in last year's address.
» Lest any observers believe that a chastened Bush has become more respectful of permanent alliances, he made clear that he still preferred a more ad hoc approach. ”In the next four years,” he said, “my administration will continue to build the coalitions that will defeat the dangers of our time.” »