Les paradoxes divers de l’Arizona

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Les paradoxes divers de l’Arizona

29 avril 2010 — L’Etat de l’Arizona présente un cas très intéressant, tel que le présente dans son évolution, notamment le Guardian du 28 avril 20210. Plusieurs points sont à mettre en évidence, qui marquent la spécificité, l’originalité du cas, mais aussi son caractère paradoxalement universel et exemplaire. Différents aspects sont à souligner, pour illustrer ces appréciations et faire de l’Arizona et des conséquences de la loi sur l’immigration qu’il a adoptée un cas typique de l’Amérique d’aujourd’hui et un cas typique de l’impasse où se trouve le système occidentaliste-américaniste, entre un système du technologisme déstructurant qui détruit la civilisation dans son ensemble et les barrières d’un système de la communication utilisant moralisme terroriste évidemment intéressé, érigées en vain contre les catastrophes de cette politique déstructurante.

• Le Mexique n’est pas content. Le président Calderon en appelle au président Obama pour qu’il intervienne contre la loi inique de l’Arizona, qu’il juge raciste, xénophobe, et même avec des caractères rappelant le nazisme et le communisme. Tous ces jugements sont repris en cœur par toutes les organisations de la vertu US, des droits civiques, des droits de l’homme, anti-racistes et tutti quanti.

• L’administration Obama, comme promis va étudier le caractère constitutionnel, ou inconstitutionnel de la loi. Il faut noter (voir plus loin) qu’il pourrait devoir éventuellement s’occuper d’autres Etats à ce propos.

• Devant la vague d’indignation vertueuse, on appelle au boycott de l’Arizona, de la part des mêmes organisation précitées et de certains autres Etats. La gouverneur de l’Arizona n’en a cure. «Pressure is building up in favour of an economic boycott of Arizona. But the Republican governor of Arizona, Jan Brewer, who signed the bill into law on Friday, played down the risk at an election meeting on Monday night. She said the priority of businesses in Arizona was to know they were in a safe and secure environment. “I believe it's not going to have the kind of economic impact that some people think that it might,” Brewer said.»

• A noter que, dans cette situation, certains sont pris entre deux feux. Le sénateur McCain, défenseur d’une législation de l’immigration très libérale, est obligé, s’il veut se faire réélire, d’avoir un œil tendre pour l’affreuse loi de la gouverneur Brewer.

• Mais l’Arizona n’est pas seul. D’autres Etats, craignant l’afflux massif chez eux des immigrants illégaux résidant en Arizona et fuyant la rigueur de cette loi qui entrera en vigueur en juillet, envisagent de promulguer les mêmes lois. «A Republican state politician in Utah, Stephen Sandstrom, is drafting a bill that will give the police powers similar to Arizona's. He told the Salt Lake Tribune: “With Arizona making the first step in this direction, Utah needs to pass a similar law or we will see a huge influx of illegals. The real issue is just establishing a rule of law in our state.”» Dans Raw Story du 28 avril 2010:

«Butler County Sheriff Richard K. Jones and state House Rep. Courtney Combs have sent a letter to Ohio Governor Ted Strickland asking him to pass a law that “mirrors” the one in Arizona, reports WLWT channel 5 in Cincinnati. “Our federal government has failed us when it comes to securing the border and stopping the flow of thousands of illegals entering this country on a daily basis,” WLWT quoted Rep. Jones as saying. “If the federal government won’t do it, it is time that states take that responsibility upon themselves.”»

• A noter que l’Utah est au Nord de l’Arizona, que l’Ohio est au centre Nord des USA, plus proche de la frontière canadienne que de la frontière mexicaine. Les deux Etats n’ont donc pas de frontière commune avec le Mexique. La question de l’immigration n’est pas locale, elle est nationale.

Notre commentaire

@PAYANT Une remarque du Sheriff Jones, un dur sur ces questions d’immigration, mérite une mention: « If the federal government won’t do it, it is time that states take that responsibility upon themselves.» Le Sheriff Jones ne semble pas avoir compris que les priorités de gouvernement central US, qui n’a rien d’un Etat avec les responsabilités régaliennes qui vont avec mais qui n’est qu’un conglomérat d’intérêts privés, n’ont strictement rien à voir avec l’équilibre ou la sécurité de l’Etat de l’Ohio mais avec l’Afghanistan, l’Irak, le Soudan, les conseils éclairés d’Israël, la terrible menace iranienne qui menace la civilisation, les anti-missiles qui protègent la civilisation autour de la Russie et ainsi de suite. Le Sheriff Jones a le regard court.

Notamment, il ne distingue pas l’imbroglio extraordinaire dans laquelle cette affaire de l’Arizona plonge les USA et, désormais, le voisin mexicain qui défend becs et ongles ses immigrants illégaux. Drôle de situation, où l’illégalité passe au second plan au nom des grands principes, où les grands principes mettent en évidence l’incurie et l’impuissance des autorités censées faire respecter la légalité et protéger la sécurité des citoyens dont elles ont la charge (cela pour les USA) ou assurer la subsistance de ses citoyens pour qu’ils ne soient pas forcés d’aller à la recherche, illégalement, d’une vie décente, d’ailleurs fort illusoire, dans le pays voisin (cela pour le Mexique). Là-dessus les spécialistes de la vertu ne manquent d’enfourcher leurs grands chevaux, qui ont jusqu’ici évité les escales de Guantanamo, de Gaza sous la botte israélienne ou de Bagram, la fameuse prison-torture d’Afghanistan, pour dénoncer une loi qui fait ressurgir le fantôme absolument inattendu tant il sert si peu à leur narrative de salons de l’horreur nazie.

Du coup, on reparle de cet Etat de l’Union qui est bien capable de se débrouiller tout seul, – d’ailleurs pas un seul dans le cas de l’Arizona, bientôt peut-être plusieurs autres, – et l’on organise contre lui un boycott qui pourrait bientôt ressembler à un embargo qui rappelle après tout les méthodes de la Guerre de Sécession (la guerre contre les “terroristes” du Sud, selon le philosophe de la CNN). Peut-être appliquera-t-on bientôt les méthodes qui réussirent si bien contre l’Irak dans les années 1990.

Encore doit-on prendre garde de ne pas oublier le contexte électoral, si excitant dans la mesure où il place nombre d’élus, vertueux à Washington, soudain renégat dans leur Etat d’origine (McCain), où il s’agit de se faire réélire et où la réélection n’est pas acquise d’avance. McCain serait bien plus à l’aise s’il pouvait convaincre le citoyen de voter pour lui en plaidant qu’il est nécessaireto bomb, bomb, bomb Iran!”.

Le spectacle est complètement anarchique, plus aucune logique ne l’habite, plus aucun argument ne l’emporte. C’est le spectacle du désordre complet, si parfait qu’on le croirait presque organisé par une sorte de “main divine” (celle qui, sans doute, d’habitude, s’occupe des marchés, pour les mettre dans l’état d’organisation et de justice qu’on, leur connaît…). Certes, il y a eu des querelles de la sorte, entre Etat(s) et gouvernement central, mais rarement de cette sorte, qui impliquent contradictions et paradoxes qui rendent toutes les causes incertaines et douteuses. Le climat général de crise en est la cause, qui domine, baigne et nourrit cette affaire de toutes les façons, avec une pression et une urgence en constante augmentation.

Un perfect storm

La question de l’Arizona ressemble à ce que le langage convenu des experts nomme “a perfect Storm”, – un de plus, dira-t-on, car il n’en manque pas. C’est-à-dire que tous les éléments d’un immense débat de crise dont la cause est la politique générale de globalisation du système américaniste-occidentaliste au profit du capitalisme avec son caractère systématiquement et sauvagement déstructurant sont réunis.

La loi signée par la gouverneur de l’Arizona peut effectivement être qualifiée de draconienne, de raciste, de profondément critiquable et arbitraire. D’autre part, elle concerne une situation où un Etat accueille 450.000 immigrants illégaux évidemment venus illégalement aux USA pour trouver des emplois qui sont en général des emplois de misère, sans la moindre protection sociale, à la discrétion des employeurs qui usent et abusent de leurs pouvoirs. Ils viennent du Mexique, dont les frontières sont largement ouvertes depuis le traité de libre échange ALENA (1994) pour permettre aux entreprises US de délocaliser leurs unités et profiter de salaires extrêmement bas, ou bien d’attirer des chicanos pour les employer sans contrôle et au plus bas prix aux USA, et rentabiliser au maximum leurs profits.

Les immigrants fuient également une situation de quasi guerre civile sur la frontière à cause de l’activité des “cartels de drogue” dont le seul marché, donc la seule cause, sont les Etats-Unis où la consommation de drogue est extrêmement élevée; la population de cette frontière est soumise à l’action également arbitraire des tueurs de ces “cartels” aussi bien que de l’armée mexicaine dont la brutalité et l’arbitraire sont bien connues. Depuis des années que cette situation s’est développée, les autorités fédérales (US) n’ont rien fait de décisif pour tenter de la modifier, se contentant de rendez-vous épisodiques avec les autorités mexicaines pour inciter celles-ci à agir et passant surtout leur temps à tenter de contrôler les concurrences féroces entre les différentes agences et ministères US, dont le Pentagone, pour savoir qui va diriger cette action inefficace sur la frontière. De toutes les façons, Washington n’a aucun moyen sérieux pour lutter contre cette situation de guerre ouverte plutôt que larvée puisque l’essentiel de ses forces armées est occupée dans des tâches extérieures sans espoir qui grèvent un budget déjà dans une situation si indescriptible que les USA sont l’un des pays dont on attend qu’il atteigne un jour prochain le seuil de la faillite catastrophique.

Là-dessus, le système de la communication s’en donne à cœur joie contre l’Arizona (et contre d’autres Etats, s’ils rejoignent l’Arizona avec une loi semblable). Il n’est question que de racisme, de xénophobie, de discrimination, de droits de l’homme, tout l’attirail moraliste et d’une idéologie d’une pauvreté sans bornes qui accompagne comme un faux nez grotesque toute l’activité déstructurante du capitalisme du système pour lui permettre de mieux appliquer sa politique de désintégration des structures sociales et nationales et rentabiliser ses profits hors de toute régulation. La myriade d’associations qui se disent humanitaires, largement subventionnées par le capitalisme, sont évidemment à la fête, tant la proclamation de la vertu du temps courant est un exercice qui permet à la fois de satisfaire la conscience et de renforcer les budgets subventionnés (dans ce cas, l’interventionnisme des autorités ne connaît pas de limites, à la satisfaction des tous les idéologues du non-interventionnisme). C’est une politique de force du système de la communication dont l’effet direct semblerait moral mais dont l’effet réel est de servir d’allié capital à la politique déstructurante du système. Cette politique de force est caractérisée par les mêmes procédés d’une lâcheté remarquable, qui ont fait leurs preuves dans tant de cas, qui sont l’ostracisme, le terrorisme moral, le boycott et, au bout du compte, l’embargo.

Le résultat est la révolte rampante mais inexorable des pouvoirs locaux sous la pression des habitants qui sont aussi des électeurs de ces territoires directement touchés par ces conditions catastrophiques, accentuées par la crise économique. Le résultat est l’affrontement, c’est-à-dire un acte supplémentaire de déstructuration. Dans le cas US, l’effet est particulièrement grave parce que la fragilité du pays est connue et qu’elle nourrit aujourd’hui un mouvement puissant et particulièrement bien structuré, et lui-même construit sur des bases constructives et extrêmement bien équilibrées, voire séduisantes par leur mesure et leur logique. Ce mouvement est le néo-sécessionnisme, dont l’affaire d’Arizona va encore accélérer la dynamique. Les dirigeants de ce mouvement (dans ce cas un Vermontais et un Texan) disent justement de ces Américains en colère (Tea Party notamment) devant la folie déstructurante du système du corporate state : «Miller, like Naylor, expects many in the tea party to migrate to secessionist movements once they realize that they cannot alter the structure or power of the corporate state through electoral politics.»

L’affaire d’Arizona n’a rien à voir de façon substantielle avec le racisme, avec la xénophobie, avec la morale arrangeante du système, sinon pour l’apparence qu’affectionne le système de communication lorsqu’il se prête aux offensives du système du technologisme. Ce n’est pas une compétition de la vertu contre l’ignominie régulièrement ressortie des cendres froides du nazisme traité à toutes les sauces jusqu’à la nausée. Il a à voir avec cette bataille entre la déstructuration du système prédateur qui nous domine et la défense structurante des entités et des populations qui en subissent les effets directs et indirects. Il n’est pas sûr que la mise en évidence de cette affaire avec la mobilisation contre l’Arizona, avant le tour d’autres Etats de l’Union, soit une tactique intelligente. Mais on ne demande pas à ce système d’être intelligent, tant il a montré que, pour lui, seuls la force, la pression, le mensonge virtualiste, le terrorisme moral constituent les activités exclusives. Il est au contraire bien possible, nous dirions même probable, que cette affaire accélère un peu plus le processus de dissolution des USA actuellement en cours à une bonne vitesse de croisière, jusqu’à des limites catastrophiques pour lui, lorsqu’effectivement des Etats, excédés par ces attaques, proclameront leur souveraineté face aux pressions du système. Tous les éléments qui ont provoqué la crise sont là pour durer et s’aggraver sans cesse (immigration, mesures draconiennes des autorités locales, insécurité, absence complète d’une politique de protection du système central, situations économiques catastrophiques des deux côtés des frontières, désarroi psychologique intense et crise d'identité des populations autant que des immigrants). La crise suivra ce schéma: durée et aggravation exponentielle.

L’affaire d’Arizona est un de ces nouveaux multiples points potentiels de rupture d’un système aux abois, des points qui ne cessent de crever comme des bulles menaçantes. La réaction du système est pathétique. La crise de civilisation s’aggrave à un rythme échevelé. Les serviteurs du système, qui agissent comme des automates, avec leurs slogans éculés et leurs actes aveugles, agissent comme des pantins d’un système anthropotechnique qui ne mérite plus que de s’effondrer dans la poussière de pourriture dont il est désormais entièrement composée.