Les petits pas confus mais significatifs des “supplétifs”

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Les petits pas confus mais significatifs des “supplétifs”

Nous mettrons en parallèle deux prises de position à la fois confuses et significatives de deux pays, l’Australie et la Pologne, vis-à-vis des USA, plus ou moins indirectement. Ces deux prises de position prennent en compte, d’une part le recul massif de la puissance US derrière le rideau de fumée de la dialectique type-narrative, d’autre part la crainte et/ou la prise en compte de l’affirmation de plus en plus pressante des puissances chinoise et russe respectivement, face au chaos engendré par les soubresauts de la puissance US.

• L’Australie a écarté, le 1er août 2012 (The Herald Sun), toute possibilité qu’une base permanente abritant un groupe de porte-avions US détaché de la côte ouest des USA soit louée et allouée aux USA. (Il s’agit de la base de Stirling.) Un commentaire de Mark Benson, de Australia.Forum, donne quelques éléments de réflexions, ce 2 août 2012. Le sujet de cette réflexion, ainsi que le refus australien, ne sont pas le fait d’une demande officielle US mais un rapport du think tank CSIS, proposant effectivement cette combinaison. Mais le rapport était demandé par le Pentagone et il constitue sans aucun doute un coup de sonde classique, pour “tâter le client” (ou “tâter le ‘supplétif’”), d’une proposition qui est dans l’esprit du même Pentagone, selon la nouvelle “stratégie” US de déployer désormais 60% de sa puissance (au lieu de 50%-55%) dans la zone du Pacifique, face à la Chine.

«Slowly but surely there is an impression that the US government is applying pressure to Australian counterparts as there is no doubt that the US military sees Australia as a very important ally and a potential base for military assets in the region. It is no surprise that the US government expects over 60% of its military capacity to be based in the Asia-Pacific region by 2020 which compares to just less than 55% today. Australia is by far and away the strongest ally in the region having been the only country in the world to side with the USA in every major battle and conflict since the start of the 20th century… […]

»The US government is determined to push through further partnership arrangements in the short, medium and longer term and in reality the Australian government will find it very difficult to keep all parties happy in the long run. At this moment in time there seems little opportunity for a US base in Australia and while officially this is because Australia does not entertain overseas bases on its sovereign soil, many believe it is the ongoing pressure from China which has prompted the policy… […]

»Ongoing friction between these two powerhouses, whether economic or military, will force a number of countries in the region to come down on either side of the fence. Australia is in a very difficult situation because historically it has very close links with the US on the military front while on the trading front the economy very much depends upon Chinese business… […] »Slowly but surely the US government, whether directly or indirectly, continues to build up the pressure on their Australian counterparts with regards to military activity… […] So far the Australian government has refused to even consider the idea although interestingly the US government has not publicly commented on the suggestion. It will take much political skill and manoeuvring to keep the Chinese authorities and the US authorities on side in the short, medium and longer term with military and trading links very much at risk.»

• Le président polonais a fait des déclarations assez confuses sur le réseau antimissiles actuellement en développement, semblant dire que la Pologne veut son propre réseau bien qu’elle l’inclurait dans le réseau de l’OTAN. Ces affirmations sont techniquement, stratégiquement et politiquement confuses… Comment envisager un programme politiquement et techniquement autonome ? Mais non, finalement, ce serait un projet polonais faisant partie de l’OTAN, pour se différencier décisivement des projets américains ; soit on pense que c’est une plaisanterie, soit on doit expliquer avec des mots simples au président polonais que l’OTAN c’est les USA, et plus encore le réseau antimissiles labellisé OTAN comme cache-sexe usé. L’une des seules chose assez précises qu’a dite le président, c’est que ce fut une “erreur politique” de la part de la Pologne d’accepter le marché initial offert (“imposé”, non ?) par les USA en 2008, directement traité par la Pologne avec les USA. (Voir le 22 août 2008.) Voici les éléments que retient Novosti (le 4 août 2012) de la déclaration du président Komorowski.

«La Pologne doit développer son propre système de défense antimissile qui fasse partie du bouclier de l'Otan, quant à la participation au projet américain – c'est une “erreur politique”, a déclaré le président polonais Bronislaw Komorowski dans une interview au magazine Wrpost. “Nous devons posséder cet élément de défense. Il est absurde de dépenser d'énormes sommes d'argent pour le matériel militaire si ce dernier n'a pas protégé contre les attaques les plus typiques et les plus dangereuses – attaques aériennes et de missiles", a-t-il déclaré.

»Selon M. Komorowski, le système antimissile polonais devra faire partie du bouclier de l'Otan, quant à la participation aux projets américains, c'est “une grande erreur politique”. “En acceptant la proposition américaine, nous n'avons pas pris en compte le risque politique lié au changement de président. Nous avons payé un prix très élevé et ne devons pas répéter la même erreur”, a conclu le chef de l'Etat polonais.»

Les deux situations montrent bien des similitudes, malgré la distance et les différences géographiques et culturelles. Il s’agit de deux “satellites” des USA, au sens soviétique du terme saupoudré de quelques gouttes d’un miel pseudo-démocratique. Ce que voudraient les deux pays, c’est un peu plus (beaucoup plus) de miel encore tandis que les USA (le Pentagone) n’a plus guère de miel en réserve, ni l’humeur d’en acquérir, – ce qui conduit la démarche américaniste à être de plus en plus de type soviétique. Pour l’Australie c’est patent, pour la Pologne c’est latent.

En temps normal, on dirait qu’il n’y a pas photo, ni pour l’un ni pour l’autre. Mais les deux pays se trouvent confrontés désormais à une autre pression, inverse de celle des USA. Pour l’Australie c’est la Chine, et cette pression ne peut que grandir, à la mesure de la puissance militaire de la Chine et, surtout, de la politique chinoise de plus en plus réactive, et agressivement réactive, face aux provocations des USA qui ont fait de l’agitation menaçante le faux-nez stratégique pour cacher leur déclin. Par conséquent, les Australiens auront très rapidement à trancher un dilemme qui n’opposera plus les liens de la puissance militaire US face aux liens commerciaux avec la Chine, mais les liens de la puissance militaire US face aux liens commerciaux avec la Chine renforcés d’une puissance militaire décidée. Pour la Pologne, le cas est moins précisément exposé mais beaucoup plus pressant, géographiquement et militairement ; et, ce qui compte dans l’interview de Komorowski, c’est ce qu’il n’a pas dit à propos de sa frontière Est, à propos de la Russie qui se trouve elle aussi vis-à-vis des USA sur un mode réactif, “et agressivement réactif” à cause du même problème de l’évolution de la puissance US.

Ces deux pays sont exemplaires d’une situation qui va se multiplier en diverses occurrences porteuses de crises potentielles. Avoir des liens de vassalité avec une puissance en chute accélérée, qui se trouve à des milliers de kilomètres, alors qu’on se trouve confronté à des puissances de sa zone stratégique, qui s’affirment d’une façon réactive face à cette puissance en chute accélérée… Le dilemme va se transformer en quadrature du cercle, – et très très vite, cela.


Mis en ligne le 6 août 2012 à 05H26