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5536 janvier 2004 — A Londres, à Downing Street et à Whitehall, on “déclassifie” les documents confidentiels au bout de 30 ans. Ainsi en avons-nous appris beaucoup, sans réelle surprise, sur l’état des special relationships entre les Britanniques (Edward Heath) et les Américains (Nixon et ses ministres Kissinger et Schlesinger), il y a 30 ans, lors de la crise d’octobre 1973 (guerre israélo-égyptienne dite guerre d’Octobre [à partir du 4 octobre 1973] et alerte nucléaire globale des USA le 25 octobre 1973) puis à l’occasion de la crise de l’embargo pétrolier des pays arabes producteurs de pétrole décidée à cette occasion. Les documents révèlent notamment que les États-Unis ont eu l’intention d’intervenir militairement au Moyen-Orient à la fin de 1973, alors que les pays producteurs de pétrole commençaient leur embargo. Un commentaire de WSWS.org de ce jour résume la tension régnant entre les deux alliés :
« The warning of a possible military intervention in the Persian Gulf came from then-US Defense Secretary James Schlesinger to Britain’s ambassador to Washington, Lord Cromer. According to Cromer’s report to the British government, Schlesinger told him that one “outcome of the Middle East crisis was the [sight] of industrialized nations being continuously submitted to whims of under-populated, under-developed countries.” Schlesinger added that “it was no longer obvious to him that the US could not use force,” Cromer reported.
» The British ambassador concluded from the remarks that “it might not ... be possible to rule out a more direct application of military force” by the US. Cromer’s report provided a glimpse of the sharp tensions that existed between what ostensibly were—then as now—the closest Western allies. The British ambassador commented in his cable to London: “Couthness is not Schlesinger’s strong point. One or two of his remarks bordered on the offensive.” »
Le point précis de l’alerte globale décidée par les USA le 25 octobre 1973 fut aussi l’occasion de situations révélatrices de la réalité des rapports USA-UK. De façon assez curieuse, les documents déclassifiés, tels qu’ils sont présentés, avancent que la cause de l’alerte américaine était une concentration des forces navales soviétiques en Méditerranée. Une autre explication fut présentée au moment de la crise, et maintenue en général par diverses sources : les signes de la préparation, en URSS, du déploiement de trois divisions aéroportées soviétiques en Égypte, pour empêcher l’anéantissement de la IIIème Armée égyptienne encerclée le 22 octobre (à la fin de la guerre d’Octobre) par une percée de l’armée israélienne (menée par Sharon, qui commandait le détachement ayant réussi l’opération d’encerclement).
De même, les modalités cachées de la décision d’alerte globale le 25 octobre (détourner l’attention de la crise du Watergate) sont contestées. Une autre thèse, présentée autant par l’amiral Zumwaltt (alors CNO de l’U.S. Navy) dans son livre On Watch que par l’ambassadeur d’URSS à Washington Dobrynine dans son livre On Confidence, est que la décision fut prise par Kissinger, et fortement contestée par Schlesinger, tandis que Nixon restait en retrait. (Nixon, en plein Watergate effectivement, rencontrait alors divers problèmes d’instabilité psychologique, ou, en d’autres termes, de consommation excessive d’alcool).
Dans tous les cas, les Britanniques furent tenus totalement en-dehors de cette affaire, jusqu’à les faire s’interroger, et peut-être se tromper, sur les causes réelles de l’alerte. Le Guardian présente de cette façon cet aspect des révélations :
« But it was the full-scale nuclear alert — declared on October 25 that year, supposedly in response to Soviet fleet movements in the eastern Mediterranean — which most infuriated Ted Heath. The prime minister, the documents reveal, only learnt about it from news agency reports while in the Commons.
» “Personally,” he told his private secretary Lord Bridges, “I fail to see how any initiative, threatened or real, by the Soviet leadership required such a worldwide nuclear alert. We have to face the fact that the American action has done immense harm, both to this country and worldwide.” »
Ces divers épisodes, du point de vue des relations USA-UK, pourraient justifier de citer le fameux adage : “Plus ça change, plus c’est la même chose”. En d’autres termes : les Américains n’ont pas changé d’un pouce et les Anglais sont toujours les dindons de la farce transatlantique. Cette situation dure depuis Churchill (voir le livre de John Charmley Churchill’s Grand Alliance), exactement dans les mêmes conditions, avec toujours le même gagnant et le même perdant.
Plus encore et plus vastement, les documents nous apprennent que les projets grandioses de Wolfowitz et compagnie, que tout le monde voit comme un super-complot emportant la vertueuse Amérique en lui imposant une politique extraordinairement hors de son comportement courant, n’ont rien de neuf. Les révélations nous indiquent au contraire que le programme de Wolfowitz, du moins pour sa partie interventionniste au Moyen-Orient, était déjà, avant l’heure, envisagé avec tout le sérieux possible.
La seule différence, sans doute, est qu’il était dit clairement qu’on envisageait une telle opération pour le pétrole. (Tout cela, en des termes sans ménagement : selon l’ambassadeur britannique à Washington à cette époque, Lord Cromer, « Schlesinger told him that one “outcome of the Middle East crisis was the [sight] of industrialized nations being continuously submitted to whims of under-populated, under-developed countries.” »)
Aujourd’hui, dans le cas de l’intervention irakienne, on soupçonne parfois que l’argument du pétrole est fondamental, et on le dit quelquefois, — mais notre conviction est que ce n’est pas la raison principale. Aujourd’hui, l’Irak est d’abord un symptôme extérieur de la pathologie américaine ; hier, en 1973, le pétrole du Moyen-Orient était un symptôme extérieur de la crise intérieure américaine qui influençait décisivement la stratégie américaine, celle-ci étant alors gouvernée par une double pathologie, — celle de Nixon, enfermé dans sa forteresse du Watergate et tenté de manipuler la politique extérieure en fonction de cette crise, celle des anti-nixoniens de tous poils, acharnés à sa perte et dénonçant toute initiative de politique extérieure en fonction de cette antipathie. (Pour cette crise de 1973, la simple preuve que l’intervention envisagée ne correspondait pas à une nécessité stratégique fondamentale se trouve dans le fait que la crise de l’embargo s’est résolue sans cette intervention ; par ailleurs, diverses indications de l’époque suggéraient que l’embargo lui-même était une manoeuvre soutenue en sous-main par Kissinger pour exercer une pression sur les pays européens.) Aujourd’hui, la pathologie washingtonienne est devenue collective et s’exerce dans tous les domaines imaginables. Le pétrole en 1973, la domination-américanisation du Moyen-Orient aujourd’hui, sont d’abord les conséquences d’une pathologie qui ne s’exprime que dans une volonté d’affirmation excessive et prédatrice de puissance à l’extérieur.
Enfin, l’enseignement fondamental de ces révélations est la question de la “guerre préventive”, ou “préemptive”, instituée en doctrine officielle en septembre 2002. Ce qu’envisageait Washington en 1973 est évidemment une attaque préventive/préemptive. Dans d’autres occasions, l’attaque fut effectivement réalisée (Liban en 1958, république dominicaine en 1965). La doctrine Bush n’a fait qu’entériner et officialiser un état de fait.