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13 juin 2004 — La fin de semaine et le week-end électoral européen ont été conséquents, agités et pleins d’enseignements divers. Le plus clair de ces enseignements est certes la perte de contrôle du processus démocratique par les deux composants de ce processus.
• Les votants utilisent désormais le processus démocratique pour exprimer des positions qu’ils estiment ne pas être prises en compte par ailleurs. Il ne leur semble plus intéressant, ni même possible peut-être, de contribuer à former une représentation cohérente et efficace grâce à ce processus.
• les élites (les élus) se battent de plus en plus contre des ennemis inexistants ou dont ils suscitent eux-mêmes l’ascension (l’extrême droite en général tient ce rôle) en laissant le champ libre là où le danger presse, c’est-à-dire dans tous ces domaines où les votants réclament des mesures et n’obtiennent rien de ce qu’ils attendent. Du coup, les élites apparaissent dans une position où elles proclament la nécessité de vertus démocratiques qu’elles-mêmes, par leur comportement, par leur absence de prise en compte des volontés des votants, contribuent fortement à bafouer.
Cette situation inextricable s’est aussi bien exprimée aux niveaux nationaux dans les pays européens qu’au niveau européen de la part des électorats des pays-membres. Il est donc déplacé ou partiel d’en faire un vote anti-européen. Aucune structure n’est épargnée, ni aucune politique. Cet aspect des choses est complété par une abstention massive, qui conduit à renforcer l’idée que ce vote met en cause un système en général.
Le public perçoit la crise du système et y répond par une attitude absolument négative. Il prend sa place dans la crise, selon les moyens dont il dispose, et il confirme la profondeur et la gravité de cette crise. La situation générale du système occidental (les situations aux USA et dans les autres démocraties avancées ne sont pas plus brillantes) est aujourd’hui un mélange de désordre et de paralysie. Si l’on a à l’esprit l’évolution régulière (la dégradation régulière) des choses en cours surtout depuis la chute du Mur de Berlin et la fin des situations politiques affirmées, on ne peut être étonné par les votes des derniers jours.
D’une façon plus spécifique, on peut relever des tendances politiques générales dans ces différents scrutins. On en mentionnera deux surtout, en proposant des interprétations.
• La première, c’est l’effet de la crise irakienne. Le mécontentement du public s’est fortement exprimé dans certains pays, à l’occasion des votes régionaux. L’exemple le plus frappant est sans aucun doute celui de l’Angleterre, avec une défaite sans précédent du parti travailliste. On trouve aussi cette tendance aux Pays-Bas, et cette tendance inversée en Espagne (confirmation du gouvernement Zapatero, notamment sur son programme anti-guerre). C’est un phénomène important qu’un problème de politique étrangère se manifeste ainsi, dans des scrutins régionaux et éventuellement européens. La question des liens avec l’Amérique est derrière cette tendance et sa présence dans les scrutins européens est aujourd’hui un phénomène majeur dans nos pays.
• La seconde, c’est le réflexe d’indifférence, d’hostilité, de désintérêt, etc, pour cette institution européenne qu’est le Parlement européen (PE). Faut-il s’en affliger ? Malgré tous les discours accrocheurs de nos éditorialistes dans la ligne, le PE est un monstre inutile et inefficace, pratiquant en général l’irresponsabilité et l’intrigue. Cela n’est pas étonnant parce que la machinerie européenne n’a certainement pas été conçue pour un fonctionnement où un domaine législatif jouerait un rôle important. L’hostilité ou l’indifférence des votants pour le PE n’est pas un vote anti-européen. C’est un vote hostile à une institution qui représente bien la bureaucratie européenne. Celle-ci n’est pas dénoncée parce qu’elle est une bureaucratie ou parce qu’elle est anti-démocratique, mais parce qu’elle est perçue comme irresponsable et tournée vers une action intérieure plutôt qu’une action extérieure. Même si cette action intérieure est nécessaire, elle paraît, sans pendant extérieur, être plutôt l’expression d’une perversion bureaucratique conduisant à soupçonner et à surveiller le citoyen européen en priorité. Le jour où les institutions européennes auront une bonne cause extérieure, elles acquérront instantanément un crédit notable chez l’électeur. Cette action extérieure ne peut être que contre l’Amérique, contre certaines actions de l’Amérique. L’argument de l’impossibilité ne joue pas, contrairement à ce qui est en général jugé. La Commission européenne connut une popularité certaine lorsque le Commissaire Van Miert affronta Boeing, en 1997, et le PE connut de son côté son heure de popularité également, lorsqu’il tenta de s’attaquer à l’affaire Echelon, en 2000. Tant que ces institutions ne seront pas invitées (par les gouvernements) à suivre de telles affaires, tant qu’elles ne les suivront pas elles-mêmes en se débarrassant de leur tropisme américanophile, elles souffriront du mépris et de l’indifférence de l’électeur européen.