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28 octobre 2004 — La retraite précipitée de Barroso devant les menaces d’une mise en minorité devant le Parlement Européen conclut (temporairement) un étrange épisode européen. Si l’on apprécie les faits sans fard ni emballages convenus, on observe ces quelques points :
• La Commission Barroso a été fabriquée pour plaire aux Américains, faciliter les relations transatlantiques (à l’avantage des Américains), favoriser les petits pays, surtout parmi les dix derniers entrants (tous amis des Américains), se cantonner aux affaires économiques aux dépens des affaires politiques, ce qui ne peut qu’avantager les Américains. En d’autres termes, il s’agit d’une Commission qu’on pourrait qualifier de postmoderniste sur mesure dans la mesure où le postmodernisme rencontre l’américanisme.
• Au cœur de la Commission, monsieur Rocco Buttiglione a fait scandale en répondant à côté, c’est-à-dire non-politically correct, sur certaines questions aussi stratégiquement sensibles que l’homosexualité et la famille. Certes, Monsieur Buttiglione est téléguidé par le Vatican, mais il est aussi ancien ministre de Berlusconi, soutenu par Berlusconi, lequel est un ami de GW Bush. A son grand dam sans doute, on dira que monsieur Buttiglione, au-delà de ses opinions réactionnaires, est objectivement un postmoderne dans l’acception du terme vue ci-dessus.
• Les députés qui ont attaqué Buttiglione puis Barroso l’ont fait au nom des conceptions sans aucun doute postmodernes de l’homosexualité et de la famille.
• Pour la chronique, ajoutons que l’Anglais de service, Mandelson, toujours aussi habile et postmoderne, a attaqué Buttiglione en public et, en privé, a soutenu à fond la Commission (avec Buttiglione). Britannique typiquement postmoderne, tellement habile et pro-américain que l’on s’y perd ; il a donc à la fois renforcé la résolution des députés anti-Buttiglione et de Barroso face au PE, et donc précipité la crise.
Les postmodernes se sont mangés entre eux. Bon appétit.
Bien sûr, on peut préférer à tout cela des discours sur la démocratie et les contre-pouvoirs. C’est toujours bon à entendre. La réalité est que l’institution de la Commission a encore perdu du peu d’influence dont elle disposait encore ; le PE n’a fait que confirmer son rôle de contre-pouvoir, avec capacité de freinage à la clef, contre la seule Commission. Le Conseil (les États) en sort un peu plus renforcé, et parmi ces États, ceux qui avaient été “doublés” lors du choix de Barroso (notamment parce qu’ils avaient tenté de pousser le Belge Verofstadt, faux Européen volontariste, alors qu’ils auraient dû mettre Chris Patten en avant). Les dieux, leur pardonnant leur maladresse et leur inattention, leur ont fait une fleur.
Même les Français se sont aperçus de quelque chose. Le Figaro écrit aujourd’hui :
« Crise riche d'enseignement à laquelle il convient aussi de donner une portée diplomatique. Au moment de sa composition, cet été, la Commission Barroso avait été accueillie fraîchement par certains Etats. Déjà, le choix de l'ancien premier ministre portugais, réputé libéral et atlantiste, était le fruit d'un compromis. La France et l'Allemagne lui préféraient le Belge Guy Verofstadt. Puis la répartition des portefeuilles faisait la part belle aux nouveaux pays. Paris décrochait celui des Transports quand la Pêche allait à Malte ou la Politique des douanes à la Lettonie. C'était, pour nombre d'observateurs, la victoire de la “nouvelle Europe”, chère à Donald Rumsfeld.
» La fronde des députés de Strasbourg permet aujourd'hui aux pays qui s'estimaient lésés d'espérer une plus juste distribution des cartes. Elle sert leurs intérêts. Jacques Chirac et Gerhard Schröder se sont d'ailleurs abstenus de soutenir José Manuel Barroso. Même prudence de Tony Blair. Le premier ministre espagnol, plus proche du couple franco-allemand que son prédécesseur, a, lui, désapprouvé les propos de Rocco Buttiglione. L'affaire tient aussi de “la guerre de position pour l'influence et le pouvoir”, selon un journal tchèque. Elle a, en effet, comme un goût de revanche pour la vieille Europe. »