Les préférences de Bibi et Poutine maître du jeu

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Les préférences de Bibi et Poutine maître du jeu

Il y a cinq jours, il était annoncé que le premier ministre israélien Netanyahou avait tout simplement et fort droitement décliné l’offre d’une rencontre avec le président des USA. (“... Pour ne pas interférer dans les primaires aux USA”, dit la narrative.) C’est quasiment une première dans l’histoire extrêmement intime des relations entre les USA et Israël depuis les années 1970, et une bonne mesure de la haine exceptionnelle qui caractérise les relations entre les deux hommes.

Cet incident qui, en lui-même, ne vaudrait pas qu’on s’y attarde trop, est surtout là pour mettre en valeur, comme un écrin fait d’un diamant, la non moins extraordinaire attention bienveillante que le Premier ministre israélien porte à ses relations avec la Russie. Il s’agit d’une de ces anecdotes remarquables, – les “petits faits”, de Stendhal, – qui, par les circonstances qu’elles rapportent en disent bien plus long que toutes les savantes analyses d’expert. Au départ, il y a une visite arrangée avec empressement, des deux côtés, par le président israélien Rivlin en Australie le 17 mars. Les deux pays ont d’excellentes relations, du type “solidarité à-la-neocon” avec Israël, typique des pays anglo-saxons suiveurs (Australie et Canada) des grands frères . Les Australiens se mettent en grand frais, annulent le voyage d’un “officiel australien de très haut niveau” pour qu’il soit présent lors de la visite, etc. Entretemps et après que la visite en Australie eut été fixée et verrouillée, le ministère israélien des affaires étrangères avait sondé Moscou pour une visite de Rivlin et Moscou avait répondu affirmativement, en proposant comme date, comme par hasard dirait-on, euh... le 17 mars. Résultat : Israël annule la visite en Australie,  Rivlin ira à Moscou.

C’est le journaliste Ben Caspit qui donne tous les détails de cet épisode, sur Al-Monitor le 7 mars. Il explique comment la préférence a été donnée à Moscou, d’une façon absolument impérative, malgré le camouflet diplomatique avec les conséquences sur les relations entre les deux pays que représente l’annulation de la visite en Australie dans ces circonstances, – et, à cette occasion, passant d’une équation diplomatique à une autre, où l’Iran se trouve impliqué : « ...Rivlin had to decide whether to stick with the Australia trip or insult the Australians in favor of the Russian one. This dilemma involved very sensitive security strategic interests, and they were raised in a special meeting between Rivlin and Prime Minister Benjamin Netanyahu last week. Netanyahu personally made it clear to Rivlin that there was no choice: A visit to Moscow was absolutely imperative at this time.

» Generally speaking, Netanyahu and Rivlin share a strained relationship, with a long disconnect between them. Netanyahu tried to torpedo Rivlin’s appointment to the presidency, and the two have been miffed with one another ever since. But this time, national interests overcame ego issues and personal antagonism. Netanyahu is focusing tremendous Israeli efforts on convincing Putin of the damage caused by Iran and the “axis of evil” connecting Iran, Syrian President Bashar al-Assad and Hezbollah. At the epicenter of the debate are the S-300 air defense missiles that the Russians promised to sell the Iranians years ago but still have not reached Tehran.

» On March 5, the Kuwaiti newspaper Al-Jarida reported that Putin halted the transfer of the missiles because Iran violated its earlier agreement not to transfer sophisticated Russian weaponry to Hezbollah. According to the publication, Putin decided to punish the Iranians after the Russians received intelligence from Israel proving that Tehran had recently transferred SA-22 surface-to-air missiles to Hezbollah. According to the same Kuwaiti report, Russian pilots cruising the Syrian skies have recently been reporting that anti-aircraft missiles were locking onto them from Lebanese territory. The assessment is that those missiles are the very ones produced by Russia, given to Iran and then transferred to Hezbollah. It turns out that anything is possible in the Middle East, and actors can find themselves in the crosshairs of the very systems they created... [...] According to this theory, Netanyahu asked Rivlin to favor Moscow over Canberra to maintain his momentum vis-a-vis Putin. He wanted Rivlin to present additional materials to Putin that will emphasize the real risks involved, should S-300 batteries also be transferred from Iran to Hezbollah, if and when Putin decides to supply them. »

Dans cette dernière affaire, qui implique l’Iran et qui n’est pas la seule qui anime aujourd’hui les relations entre la Russie et Israël, les Russes et Poutine auraient donc désormais une position moyenne entre l’Iran et Israël, notamment à cause de l’incertitude des Russes vis-à-vis de l’activisme entre l’Iran et le Hezbollah. Les deux autres joueurs, Israël et l’Iran, tentent  chacun de convaincre la Russie de pencher de son côté. (Par ailleurs, on notera un rapport d’une bonne source, Elijah J.M. du 9 mars, sur ce que seraient les intentions israéliennes de lancer une opération contre le Hezbollah ; le rapport, présenté comme venant sources russes d’un des centres opérationnels 4+1 [Russie-Syrie-Iran-Irak + Hezbollah], détaille surtout les risques que prendrait Israël en lançant une telle opération. La nouvelle peut être également perçue comme une pression indirecte des Russes pour qu’Israël ne bouge pas dans cette affaire, notamment parce qu’on trouve dans ces “risques” nombre de situations potentielles d’affrontement entre Russes et Israéliens.)

Mais Caspit ne s’en tient pas là, abordant le chapitre des relations entre Israël et la Turquie, dont on clame depuis quelques mois qu’elles vont en s’améliorant et qui en fait, selon Caspit, n’évoluent guère. La cause en est l’attitude d’Israël, qui ne veut à aucun prix entreprendre quelque initiative que ce soit avec la Turquie qui aille contre les intérêts russes, – aujourd’hui caractérisés par une hostilité totale contre Erdogan personnellement. Caspit précise d’ailleurs que Netanyahou est persuadé qu’Erdogan est un homme fini et qu’il n’y a aucun intérêt à s’engager avec lui. « ...Thus Israel is in a dilemma: On one hand, it needs to end the crisis with Turkey and normalize ties between the two states, which enjoyed a valuable military alliance in the not-so-distant past. On the other hand, Israel also needs to convince Putin to disengage himself from Iran and Hezbollah as much as possible.

» Israel has a clear preference for option B. At this point in time, Putin is far more important to Israel than Turkish President Recep Tayyip Erdogan. The Turkish tyrant is viewed in Jerusalem as a lost cause. The Israeli-Turkish military alliance will not be renewed so long as Erdogan’s party remains in power, and Jerusalem has no illusions. It is clear to Netanyahu that Erdogan is angling for a reconciliation with Israel only because of his political weakness, his problems with Russia, Israel’s natural gas and the fact that his standing in the region is not what it used to be. »

... Ce qui nous conduit à l’essentiel de notre propos, effectivement introduit par un long paragraphe de Caspit sur la position de la Russie dans la région. On notera, dans cet extrait, les confidences de sources israéliennes militaires faites à Caspit, sur la solidité désormais des relations “stratégiques” entre Israël et la Russie, symbolisées par cette phrase d’une de ses sources : « Même si un avion de combat russe survolait Tel-Aviv, nous ne l’abattrions pas. »

« ...But Putin wins out decisively on all counts: The path he adopted in Syria has upgraded Russia’s status in the region and beyond. Almost overnight, Russia has become an influential and dominant world power. Russia’s deep involvement in Syria proved itself a successful bet. Russia changed the regional reality, redirecting the bloody conflict from a dead end to another path, transformed Assad from a loser to a winner and reshuffled the cards in a Russian display of power and determination. Recently, I quoted a very highly placed Israeli military source as saying “even if a Russian jet flies over Tel Aviv, we will not take it down.” There are endless reasons for the coordination and closeness between Israel and Russia, and Israel’s strategic decision not to do anything to rub the Russians the wrong way. »

La rapidité du changement de situation stratégique depuis septembre dernier est stupéfiante. Désormais, et mise à part la Turquie, dont on sait l’extrême difficulté de sa position avec un président de plus en plus délégitimé et qui ne tient à son pouvoir absolu que par un fil, la Russie est la voix et l’influence extérieures essentielles pour tous les pays de la région, de l’Iran à Israël, de l’Égypte à l’Irak. Même l’Arabie, qui a une politique diamétralement opposée à celle de la Russie, est obligée de tenir très grand compte de la politique russe, et d’éventuelles objections russes. Quant aux USA, ils restent en place dans la région au travers de leurs multiples bases, mais plutôt comme un immense Gulliver ficelé de tous les côtés, impuissant, velléitaire, avec d’étranges dysfonctionnements où l’on voit un Kerry mener quasiment une diplomatie personnelle avec Lavrov contre l’avis furieux de la CIA et du département de la défense (au niveau de sa direction civile seulement, avec un Ashton Carter se reposant sur l’avis de quelques conseillers neocons), tandis que la Maison-Blanche se désintéresse de ce problème comme du reste, à l’unisson de son président.

Dans ce bouleversement, on notera la capacité de la Russie de se placer à distances à peu près égales, lors d’une querelle directe, de deux acteurs avec lesquels elle veut conserver des liens pour les faire participer à un équilibrage de la région. Ces remarques de Caspit illustrent un point de vue très spécifique sur les relations entre la Russie et l’Iran : « According to senior Israeli sources, the Russians [...] have no intentions of letting Iran become a patron of Syria. [...] They [are] trying not to become embroiled in a crisis with Iran in an era when all the world’s global companies are trying to dive into the Iranian economy. On the other hand, they don’t want to help Iran gain the enormous power that it hopes to... » Ce point de vue n’empêche pas l'autre, plus classique, qui signale une “relation stratégique” en train de s’établir entre l’Iran et la Russie, comme l’annonce le commandant en chef de Central Command, le général Austin.

Les Russes ajustent leurs positions et leurs relations stratégiques aux situations stratégiques différentes y compris sur un même théâtre d’opération ; ils jouent moins “double jeu” que “jeux différents” selon les différences de situation ; et ils le font avec une incroyable souplesse, qui semble correspondre, du point de vue militaire, à la souplesse d’emploi de leurs forces militaires sur le terrain. Leur principal exploit diplomatique à cet égard, sur le long terme, est d’avoir conjoncturellement détaché Israël des USA, malgré l’alliance structurelle entre Israël et les USA. Par ailleurs, il est manifeste que les Israéliens préfèrent manœuvrer avec les Russes, pour qui ils semblent professer une certaine admiration tant pour la finesse de leur diplomatie que pour la fermeté de leur résolution, qu’avec les USA.

De toutes les façons, l’absence des USA de la région est aujourd’hui une évidence stratégique et le sort de cette région ne figure plus que comme un argument électoral dans le cirque crisique qu’est devenue la campagne présidentielle. Il est possible que le/la 45ème POTUS éprouvera quelque surprise à considérer objectivement, si cela lui est possible, la situation au Moyen-Orient à son entrée à la Maison-Blanche ; il est aussi possible qu’il/elle ne s’en préoccupe aucunement, complètement accaparé(e) par la crise intérieure qui, à notre sens, ne se limitera pas à l’élection, qui ne fait que commencer avec cette élection, qui marquera le retrait définitif des USA comme acteur majeur d’un monde plongé dans le désordre, essentiellement grâce aux soins diligents de la politique-Système qu’ils (les USA) ont systématiquement suivie.

 

Mis en ligne le 12 mars 2016 à 14H15