Les présidentielles françaises 2002 sur de defensa - de defensa, Vol17, n°16 du 10 mai 2002

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Les présidentielles françaises 2002 sur de defensa


Dans une précédente publication sur ce site de textes extraits de notre Lettre d'Analyse dd&e (papier), nous annonçions la publication très rapide de notre analyse des présidentielles françaises, que nous faisons à partir du point de vue que qualifions de virtualiste. Nous tenons notre promesse.

Nous publions donc le texte complet de la rubrique de defensa du Vol17 n°16, du 10 mai 2002, de notre Lettre d'Analyse de defensa. Cette rubrique est entièrement consacrée aux présidentielles françaises.

@SURTITRE = L'eau qui dort

@TITREDDE = La France exemplaire

@SOUSTITRE = C'est par son désordre et par la façon qu'elle l'exprime, c'est par sa révolte contre ce désordre que la France est exemplaire. Elle est exemplaire parce qu'elle est un miroir du monde tel qu'il est.

Une fois de plus, la France est exemplaire. Ce constat n'a rien d'une prise de position ni d'une appréciation partisane, ni de l'expression d'une quelconque satisfaction. Si la France peut encore servir à quelque chose, c'est bien en étant exemplaire même des choses les plus graves et les plus inquiétantes, exemplaire de rien moins que la crise du monde. La France a offert au monde, durant ces élections présidentielles, une crise qui illustre et exprime parfaitement la crise générale de notre temps. Elle a montré que les directions politiques occidentales, dont la faiblesse ontologique dans l'exercice de leur fonction atteint des bornes inimaginables jusqu'alors, ne sont pas et ne seront plus quittes des revendications fondamentales des populations dont elles ont la charge. L'économie n'a pas étouffé la politique selon la logique de la globalisation, contrairement à ce que croient la plupart de ces dirigeants. (« Mais qu'est-ce que tu crois ? La politique c'est fini. Ca ne sert plus à rien. », — Chirac à François Bayrou selon Eric Zemmer, dans L'homme qui ne s'aimait pas).

Faut-il s'acharner à tenter de comprendre les causes de cette crise, à dérouler de longues et laborieuses explications ou à mobiliser toutes les grandes causes de notre imaginaire, si pratiques, si rassurantes, si réconfortantes ? Et d'abord, y a-t-il eu crise au sens classique du mot ? (Il y a eu le déroulement classique d'une élection présidentielle, à partir d'un résultat initial du premier tour dont l'aspect fortuit a été largement démontré et qui s'explique aisément de façon comptable.) La réalité est que, plus qu'en aucun autre cas encore, et c'est aussi en cela que la France est exemplaire, la cause fondamentale de la crise est apparue de façon lumineuse et parfois aveuglante (certains se voilent le regard, c'est naturel), au travers des explications données, ici et là, dans telle enquête ou telle autre, notamment par ceux qui ont voté Le Pen, et surtout par la simple observation logique et ce qu'on sent de façon évidente de ces événements. Il n'y a aucune difficulté dans ce cas. Il ne peut y avoir de doute à propos de cette cause et de l'explication de la crise, sauf à sacrifier au montage massif organisé mécaniquement par le système général qui contrôle notre société, qui est le seul véritable mystère de la période, — ce montage massif que nous nommons virtualisme et auquel nous allons principalement nous attacher. La crise n'est spécifiquement ni dans les résultats du premier tour, ni dans la présence de Le Pen au second, ni dans l'agitation qui a secoué l'entre-deux tours, ni dans l'extraordinaire mobilisation stalinienne qui a touché le camp médiatico-libéral (« On se croirait dans une démocratie populaire », disait le même Zemmour àArrêt sur image, le 28 avril). La crise est dans le fait même, dans le processus et le mécanisme psychologique, dans cette agitation frénétique pour un événement dont chacun s'accorde à juger du caractère fortuit, dans cette tension stupéfiante que le résultat du premier tour, les interprétations évidemment sollicitées de ce résultat, les effets de ce résultat, etc., ont aussitôt amené. La crise est dans cette fragilité psychologique aussitôt apparue après l'océan d'indifférence et de sarcasme qu'avait été la campagne électorale.

La France est exceptionnelle dans le sens que sa crise, au contraire d'être un accident, exprime en réalité la crise mondiale qui nous assaille

La manifestation de la crise est tout entière psychologique. Ce sont l'angoisse, la colère, l'anxiété, et cela dans tous les sens et dans tous les camps, causées par la perception d'une perte massive de l'appartenance à une identité collective, et cela, dans ce cas également, quelle que soit la perception qu'on a de cette identité. Dans le contexte qu'on connaît et avec tous les préjugés qu'on imagine, qu'y a-t-il de plus significatif, de plus symbolique à la façon qu'affectionnent les petits marquis des salons médiatiques parisiens, que cette réponse, rapportée par The Guardian du 26 avril, de Joe Goldenberg, 79 ans, juif français dont les parents ont été assassinés dans un camp allemand parce qu'ils étaient juifs, dont le restaurant kacher très connu du Marais fut victime d'une attaque terroriste à la bombe, et qui explique son vote pour Le Pen au premier tour ? (Ce n'est pas l'un des moindres phénomènes, et l'un des moindres signes de la crise, ce vote pour Le Pen d'une « sad and mistaken but we think quite sizeable minority » des 700.000 juifs français, selon les mots de l'avocat Michel Zaoui, du CRIF, rapportés par le même Guardian.) Voici, toujours selon le Guardian, les mots de Joe Goldenberg : Le Pen « représente par-dessus tout la défense de la France, un sens du patriotisme, un désir de restaurer l'ordre, c'est ce qui compte pour moi. » Ce vieux juif français (aussitôt soupçonné de sénilité par les voix autorisées qu'on imagine, chagrinées de voir bousculés les schémas conformistes), ce veux juif français meurtri par l'Holocauste, qui donne en quelques mots une leçon d'intégration française en parlant de patriotisme, qui donne une explication lumineuse de la crise en notifiant que ce patriotisme, c'est-à-dire l'identité collective par définition (et la simple sécurité du citoyen patriote dans son cas), est aujourd'hui menacé affreusement.

On pourrait évidemment trouver des argumentations aussi fortes pour témoigner de leur désarroi considérable dans le chef de ceux qui se sont élevés contre ce qu'ils percevaient comme une menace pour les fondements de cette République qui leur est si chère, dans la présence de Le Pen au second tour alors que, refrain, tout disait que cette présence était fortuite dans le processus électoral. Dans tous les cas, il s'agit bien de psychologies pressées, bousculées, découvertes dans leur angoisse, outrant leur perception des périls extérieurs jusqu'à les fabriquer.

Le malaise identitaire français est trop vif pour qu'on s'y attache dans sa définition. Jamais crise ne fut plus évidente. Et il faut encore en rajouter dans ce qu'on a dit, pour bien comprendre le fait : la France est exceptionnelle dans ce cas, moins dans sa différence que dans sa ponctualité de représentation, parce qu'elle est la plus ardente dans notre univers virtualisé et enchaîné à exprimer si droitement une douleur aujourd'hui universelle, — crise française mais, par conséquent, surtout un événement avant-coureur du reste, car nous n'en sommes pas quitte avec un vote suivi d'un autre vote. Ce qui importe ici, maintenant, c'est de tenter de démonter le mécanisme de la crise, pour en bien comprendre l'évolution, pour bien apprécier la situation générale. Cette situation-là, qui est celle de notre crise générale, nous avons coutume de la nommer virtualisme.

@TITREDDE = Anatomie de la tromperie

@SOUSTITRE = Nous sommes nerveux et angoissés. Nous savons que l'on nous trompe et que nous nous trompons nous-mêmes. Reste à voir comment.

Nous nous intéressons à la crise française comme nous nous intéressons à la situation américaine, qui est elle-même une crise, dans la mesure de son écho et de son prolongement général, dans la communauté des nations et dans notre situation générale. Dans cette crise française, le véritable mystère n'est pas son fondement et sa cause fondamentale. On a vu combien ce fondement et cette cause fondamentale sont évidents et combien ils nous semblent être évidents depuis un temps assez long : c'est la crise identitaire massive dont nous pensons, et craignons, qu'elle soit la caractéristique même d'une époque, d'un temps historique qui date déjà.

(En 1879, le professeur américain Beard identifia la neurasthénie, qu'il nomma ''la maladie américaine'' parce qu'il estimait que cette affection était d'abord une affection américaine, due au mode de vie américain en ce sens que ce mode de vie était la parfaite transcription du modernisme. Beard liait la neurasthénie et le mode de vie américain à la perte des références historiques, — l'Amérique est effectivement l'archétype du cas, — qui entraîne la crise identitaire, qui en est la définition temporelle la plus satisfaisante. Les Américains ont ''résolu'' le problème en le niant, ce qui est une autre façon d'être en crise et une façon diablement américaine. « La nervosité américaine est le produit de la civilisation américaine, écrivait Beard, puis il poursuivait plus loin ... Notre immunité contre la nervosité et les maladies nerveuses, nous l'avons sacrifiée à la civilisation. En effet nous ne pouvons avoir la civilisation et tout le reste : dans notre marche en avant, nous perdons de vue, et perdons en effet, la région que nous avons traversée. »)

Le véritable intérêt de la crise française n'est pas dans la situation politique, celle qui existait, qui existe et qui existera. Le véritable intérêt n'est pas dans ce que cette crise a de français mais dans ce sens qu'elle est une façon française d'interpréter la crise générale. C'est la définition qu'il faut donner de cette période des présidentielles, qui n'est alors pas autre chose que l'interprétation française du thème central de la crise générale, qui est la crise de notre identité collective, avec les réactions diverses, en sens contraires, antagonistes, qui vont naturellement avec. C'est pourquoi un Tony Judt, auteur américain connaisseur de l'Europe (de la France surtout), diagnostique (le 28 avril) que la crise française, à l'instar des autres situations nationales européennes où l'on voit la montée de l'extrême-droite, déplace la tension vers d'autres domaines. Elle paraît comme l'avertissement que l'Europe va être un formidable adversaire de ce mouvement déstructurant et anti-identitaire qu'est la globalisation lancée par l'Amérique (mais menaçante pour les structures même de l'Amérique), pas tant par sa politique qui est inexistante ou soumise à Washington que par la dynamique de sa substance même. Ainsi parle-t-on d'une crise globale : « Les Européens voient le monde très différemment [de nous], écrit Judt, et c'est une dangereuse illusion de croire que la logique de la globalisation nous oblige à nous rapprocher. Les récents événements en Europe suggèrent que le contraire pourrait arriver. » (On s'étonne simplement qu'ayant explicitement diagnostiqué cet affrontement à propos de la globalisation, Judt n'aille plus loin et ne nous dise son sentiment, disons son sentiment d'humaniste, sur la valeur et le sens par rapport à la civilisation qu'il faut accorder à cette globalisation. Voilà la question essentielle.)

Le véritable mystère, qui mérite une enquête, est celui du mécanisme de la psychologie qui a dissimulé la crise (qui a vu venir cette crise, pas dans les résultats électoraux et dans leur interprétation idéologique mais dans l'ampleur et selon le caractère bouleversant pour la psychologie où on l'a vue ?) ; le mystère est également dans le mécanisme systématique qui l'a mise à jour en en transformant l'apparence (une crise idéologique à la place d'une crise identitaire) ; le mystère est enfin dans ce même mécanisme systématique qui fournit gracieusement le moyen de résoudre apparemment la crise, ce moyen qui ne résout rien du tout, qui prépare d'autres crise, qui fait de la crise française un maillon d'une chaîne et confirme la France comme un avant-poste de la civilisation, même si c'est pour souffrir plus que d'autres de son agonie.

Il est inutile de chercher les causes de la crise, nous les connaissons depuis longtemps, au moins depuis près d'un siècle

Nous ne sommes plus dans le temps historique classique de la spéculation intellectuelle sur les causes de la crise de la modernité, dont la Grande Guerre de 1914-18 fut le premier soubresaut. D'autres l'ont fait pour nous, avant nous, et ils l'ont fait si bien, avec tant de talent et de liberté que nous serions bien incapables de retrouver, parce qu'aujourd'hui talent et liberté deviennent des vertus suspectes lorsqu'elles sont profondes et non convenues. (Les débats passionnés des années 1920, en Europe, en France et en Allemagne principalement, nous présentaient tous les problèmes que nous affrontons aujourd'hui. Ils nous confrontaient au principal défi d'être une civilisation au sommet de son expression et de sa puissance temporelle, avec une conscience quasi-instantanée de cette situation, et en même temps se voyant transformée si radicalement, se voyant pas loin d'être précipitée dans sa chute, se voyant déjà en décadence, comme écrivait un journal américain pour son compte en 1933 [« les États-Unis sont le seul pays à être passé directement de la barbarie à la décadence »]. Comme ouverture de ces réflexions des années 1920, certes, le sempiternel « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles », de Paul Valéry, première phrase d'un texte intitulé La crise de l'esprit, donné à la revue anglaise Athenaeum du 11 avril 1919.)

Nous sommes dans ce temps historique exceptionnel où nous avons à débattre des modalités et des artifices mis en place pour conduire ou transformer l'apparence de cette évolution de la civilisation, pour dissimuler que sa marche en avant est aussi une chute sans fond, où nous avons à mesurer à quel point l'on farde la vieille dame indigne, à quel point on lui obscurcit l'esprit avec les drogues diverses qu'on connaît, à quel point nous sommes tous à la fois victimes et complices, en bons lecteurs postmodernes du Discours de la servitude volontaire de La Boétie remis au goût des capacités technologiques (communication) de notre époque. Nous sommes dans un temps historique bien rude pour l'esprit, et pour l'esprit français encore plus, où nous avons à observer les modalités d'un mécanisme, ses spécificités, ses rouages, pour tenter de comprendre ce qui modifie, transforme, dissimule, déforme une situation de crise dont pourtant notre psychologie perçoit chaque jour les effets d'une puissance si grande, et en est complètement bouleversée. Nous sommes dans une situation extraordinaire où notre devoir intellectuel n'est pas de découvrir si l'on nous trompe, et pourquoi l'on nous trompe, car tout cela est si évident depuis un siècle, mais simplement de mettre en évidence comment l'on nous trompe et comment l'on se trompe et comment nous collaborons avec entrain à cette tromperie.

@SURTITRE = Abracadabrantesque

@TITREDDE = Le théâtre d'une nation

@SOUSTITRE = Les conditions de la présence de Le Pen au deuxième tour et les réactions gigantesques qui ont suivi constituent une formidable incursion dans une autre réalité construite par le virtualisme. Une expérience qui fera date.

Lorsque, fin 1998, Bruno Mégret fit scission et fonda son propre parti à l'issue d'une bataille de chiffonniers, coltiné avec Jean-Marie Le Pen devant les caméras complaisantes, dans les invectives et les menaces d'une bande qui règle ses comptes, il apparut de façon quasi-évidente, pour l'unanimité des commentateurs français, que le Front National (FN) avait vécu (nous parlons ici de la menace qu'avait constitué ou qu'avait semblé constituer le FN, pour la république, pour la démocratie). L'analyse des faits était acceptable, même si elle aurait pu, voire aurait du être prolongée par une question pas si innocente : en réalité, le FN, en tant que menace contre la démocratie, contre la république, contre les institutions, contre l'équilibre d'un nation comme la France et peut-être plus que cela, ce FN-là a-t-il jamais existé ? La campagne hyper-soft de Le Pen avant ces présidentielles, la modération du vieux brigand de la politique, le désintérêt des sondeurs pour lui (la psychologie des sondeurs est aussi un cas intéressant), tout poussait à garder cette question de la menace-FN au fond des poubelles de l'histoire, comme si elle n'avait jamais été posée. Puis, comme soudainement, comme on sort un lapin d'un chapeau, comme par magie enfin, trois ans après l'enterrement sans tambours ni trompettes du FN, voilà son chef réapparu, le 21 avril, et encore, comme l'un des deux candidats du deuxième tour des élections présidentielles. Mais de quelles élections nous parle-t-on ?

Au lendemain du premier tour des élections présidentielles, une fiche de synthèse d'un fonctionnaire européen destinée à sa hiérarchie contenait cette remarque : « L'élection devait se jouer entre deux candidats [Chirac et Jospin, dont on attendait la victoire] tellement soucieux de capter les voix qu'ils semblaient avoir oublié que des enjeux centraux sont face au pays, à l'Europe et au monde (qui a parlé d'une ''guerre'' en cours au Etats-Unis ?). » Cette remarque, comme d'autres encore, faisait part de l'étonnement devant un phénomène politique qui l'était si peu, politique, tant on semblait si peu préoccupé des problèmes qui constituent l'enjeu et tout le poids de notre avenir. In illo tempore, notamment du temps de la Guerre froide, ce comportement, quand il existait, n'amenait que des implications mineures, nul n'ignorant la réalité ou l'apparente réalité des grands enjeux politiques (entre est et ouest principalement) et, par conséquent, les positions des candidats.

D'où la question que nous sommes conduits à nous poser : cette élection a-t-elle beaucoup à voir avec la réalité ? N'est-elle pas, dans nombre de ses tenants et de ses aboutissants, un phénomène renvoyant à ce que nous nommons le virtualisme ? C'est la voie que nous empruntons pour conduire cette analyse, et, en passant, la replacer dans le seul contexte qui vaille, — le contexte global de la crise de notre temps, qui est la crise du modernisme rendue plus vive et exprimée par le phénomène du post-modernisme, dont la principale caractéristique est d'avoir achevé l'installation du phénomène du virtualisme. (Nous réinterprétons tout cela plus loin, pour éclairer à notre façon la crise française.) Il va sans dire qu'ainsi, en analysant un événement décrit comme colossal et qui apparaît si peu politique et si totalement virtualiste, donc totalement détaché de la réalité pour s'installer dans une autre réalité, on rencontre, de façon impromptue mais très puissante, la véritable réalité que ces montages aussi divers qu'inconscients tentent à toute force d'écarter.

Dans ses modalités, la crise française du 21 avril renvoie à la crise américaine Clinton-Lewinski de janvier 1998-janvier 1999

Nous avons tenté de synthétiser la substance de l'événement dans le titre de notre éditorial du numéro du 25 avril (« La souris a accouché d'une montagne »), pour représenter ce phénomène d'une période d'un vide politique complet conduisant à un événement politique aussitôt comparé à un « tremblement de terre » (nous citons l'image puisque c'est celle qui courait sur toutes les bouches conformistes de notre establishment, le soir du 21, et le lendemain dans les journaux, fidèles reflets de ce conformisme). Ce cheminement des événements, qui est le contraire de la logique historique, où, du rien, du néant naît un événement considérable, nous rappelle une autre circonstance. Il s'agit de la crise Clinton-Lewinski où une amourette plutôt prudente et de type carabin du président, et un travestissement maladroit de la vérité, aboutirent à ce qui ressembla à une crise de régime, pour s'évanouir aussitôt, cette crise dénouée tant bien que mal. A l'époque, nous avions observé cette pseudo-crise comme un événement fondamentalement virtualiste, qui renvoie au virtualisme, en constatant que cette énorme crise à propos de rien, à côté de cela, indirectement, exprimait tout de même un formidable malaise caché des Américains.

Nous proposons la même approche analytique pour l'affaire française du 21 avril. Notre analyse est qu'il existe une approche complètement virtualiste de la crise, celle qui, d'une autre situation de néant (celle de l'effondrement du FN et ce qui suivit depuis trois ans) arrive à nous présenter, surgissant comme un éclair dans un ciel bleu, le 21 avril 2002 à 20H00 précises, une menace ''fasciste'' sans aucun précédent historique contre la France. Cette approche a tous les avantages du monde pour l'establishment politique (y compris Le Pen d'ailleurs), en réactivant le terrain glorieux du sempiternel affrontement entre la démocratie et le fascisme ; pour les Français eux-mêmes, y compris chez les partisans de Le Pen, cette fabulation n'est pas sans effets apaisants, dans tous les cas sur l'instant, en réintroduisant dans la perception du champ politique une notion d'héroïsme qui en était totalement absente. Hors cela, qui est du domaine de la construction intellectuelle pure, la fabulation en est bien une, elle est sans la moindre réalité, pur récit de fiction.

Tout cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'événement(s). Il s'en est fallu d'assez peu que Clinton soit destitué, ce qui n'est pas rien dans la vie politique américaine ; et l'on peut avancer l'hypothèse que l'offensive de trois jours contre l'Irak en décembre 1998, qui fit un certain nombre de victimes, eut la violence qu'on lui vit dans la mesure de sa capacité à contenir, voire à dissimuler les ennuis du président dont la procédure d'impeachment commençait devant la Chambre. Dans le cas français, il reste que Le Pen aurait pu être élu, qu'on se serait trouvé devant un événement « abracadabrantesque », comme dit Chirac-Rimbaud, qui aurait pu déboucher sur des troubles civils très graves en France et avec le potentiel d'une politique extérieure complètement déchaînée, conduisant à un bouleversement européen sans précédent. Mais, on le comprend, ces événements n'ont plus rien à voir avec la logique historique. Ils ont à voir avec la logique entropique du désordre qu'implique la brutale rencontre de l'univers construit du virtualisme avec la réalité ... En l'occurrence, l'univers construit du virtualisme est l'image du surgissement extraordinaire par sa soudaineté d'une menace fasciste qui n'existe pas, concrétisée artificiellement par une addition des effets déplorables d'une situation, elle, réellement inquiétante et très réelle, et par ailleurs très fondée, de mépris du politique. Ces deux facteurs soudain confrontés créent une menace de désordre également extraordinaire par sa soudaineté. Au bout du compte, il y a une véracité historique mais l'appréciation officielle, suivie par le sentiment du public qui trouve son compte dans les artifices héroïques d'une défense contre un danger fabriqué, en donne une interprétation complètement fausse. Les gens sont dans la rue, hurlant contre un Le Pen qui se retrouve dans le jeu par cet accident extraordinaire, à cause de leur propre mépris du monde politique. Ce mépris est tout à fait fondé dans notre réalité à tous mais il entraîne des effets gigantesques qui n'ont rien à voir avec la réalité.

@TITREDDE = “Grand Soir” virtualiste

@SOUSTITRE = L'observation de ce qui a précédé le premier tour et de ce qui accompagné ses résultats montre une cohabitation parfois mélangée entre réalité virtualiste et réalité réelle.

Ce que nous estimons être un ''temps post-moderne'' renvoie à ces circonstances, que nous avons déjà décrites à l'une ou l'autre occasion (voir dd&e, Vol17, n<198>01, rubrique de defensa), où l'on agit et où l'on vit une situation et, en même temps, où l'on s'observe agir et vivre cette situation grâce aux extraordinaires moyens de la communication et au fameux phénomène du ''en temps réel''. Le post-modernisme, pour nous, est un temps complètement marié avec la ''réalité virtualiste'', le couple étant adjoint à la réalité tout court sous le régime de ce dédoublement de la perception qui se réalise dans ce que nous nommons le virtualisme. Pour tenter de mieux expliciter notre propos, nous empruntons un extrait d'une réflexion que nous sommes en train de réaliser, qui doit déboucher sur une étude historique (le titre provisoire est 1941-2001). Nous exposons de cette façon notre conception du post-modernisme, et l'on voit qu'elle se rapproche évidemment de la situation présente :

« Le paradoxe de nos ''temps exceptionnels'' tient à ce que l'histoire est désormais faite par des forces dont la principale fonction, et l'ambition affirmée, est de s'en libérer, et, par conséquent, d'en nier l'existence : elles qui prétendent refaire l'histoire finissent par proclamer que l'histoire n'existe plus.

» Ce phénomène n'aurait pu exister auparavant parce que seules les techniques désormais existantes de communication et de diffusion permettent à une pression aussi nihiliste de se manifester et de se développer avec la force qu'on lui voit, tout en dissimulant les aspects les plus préoccupants de ce nihilisme. Grâce à la pression extraordinaire qu'il exerce sur son époque elle-même, ce phénomène de déchaînement des moyens de communication impose à l'époque moderne où cette force déstructurante se développe (toute époque vécue par les contemporains est perçue nécessairement comme ''moderne'') de sembler se dépasser elle-même, de paraître, en même temps qu'elle existe dans le présent, être le futur d'elle-même. La pression de ces forces déstructurantes fait paraître post-moderne l'époque où elles se développent, au même moment qu'elle existe normalement comme modernité. L'époque se dédouble. Il y a également déstructuration du temps historique. On retrouvera [...] cette idée qui est presque un ''concept'' selon le langage du show-biz sous une forme idéologique fondamentale : le post-modernisme inhérent aux forces [de] déstructuration du temps historique entre son présent et le futur de ce présent implique une préférence manifeste pour ce futur qui est porteur de toutes les espérances, surtout lorsqu'il s'agit d'illusion; ainsi naît la certitude quasi-sensorielle de quelque chose d'autre, qui est la négation de la réalité, qui est le fondement de ce que nous nommerons virtualisme. »

On peut avancer l'hypothèse que, dans la période précédant le 21 avril, un phénomène semblable s'est passé, atteignant sans vraiment de remous ni d'interférences un stade de quasi-perfection et révélant en même temps combien ce stade recèle d'effets de perversion à cause des contraintes imposées à la réalité par le virtualisme, et à cause de la croyance des citoyens à cette situation virtualiste, et, au-dessus de tout cela, à cause de la persistance et de l'entêtement de la réalité à exister. Le décompte est assez simple :

• D'une part, la fausse-réalité telle qu'elle était présentée conformément à la vision virtualiste s'étalait chaque jour dans les sondages, aussi bien que dans les mesures pratiques. Chirac-Jospin, conformes jusqu'à ne plus faire qu'un, passerait au second tour. On préparait déjà les conditions du face-à-face télévisé. Les états-majors travaillaient sur les rassemblements du 2e tour sans s'attacher vraiment au premier tour.

• Personne parmi les citoyens ne doutait de cette quasi-réalité, que chacun jugeait médiocre, ennuyeuse, vide, comme la campagne elle-même l'était nécessairement (puisqu'il n'y avait aucun enjeu, le résultat étant déjà connu). La réaction du citoyen fut donc de ne pas voter ou de voter “exotique”, la multitude de candidats permettant cela et l'assurance de la situation du second tour rendant cette attitude sans risque, et ces votes dispersés permettant effectivement d'esquisser une situation électorale correspondant aux aspirations des citoyens, exprimant leurs élans, leurs convictions et leurs angoisses, et leur révolte. Des circonstances fortuites ont conduit à une situation d'utilisation maximale des opportunités ainsi créées, mais inconsciemment, de façon mécanique. Les imperturbables bataillons lepénistes qui vivent assiégés et mobilisés depuis toujours ont suscité l'attraction nécessaire pour que Le Pen retrouve ses voix en même temps que sa fonction d'expression d'une révolte et d'une colère (voir l'explication de Joe Goldenberg), dans des conditions générales marquées par l'éclatement des voix (40% des voix de gauche répartis entre 7 candidats !) et l'abstention.

Discuter de la refondation des partis bousculés par le scrutin alors que la plus grande menace fasciste est sous nos murs, c'est faire cohabiter la réalité réelle et la réalité virtualiste

Ces conditions même nous encouragent dans notre interprétation d'un événement partagé entre une réalité, où le Front National n'existait plus en tant que cette menace qui avait été pendant des années sa représentation (elle aussi virtualiste, mais dans des conditions différentes), et une fabulation virtualiste où le FN apparaît comme une menace centrale contre la démocratie. Le fait même de la situation permettant au FN d'être deuxième (les 16 candidatures, l'abstention) alimente cette thèse. Ce qui s'est passé aussitôt après, de façon parallèle, le confirme. La préoccupation essentielle de la gauche, dont la défaite, elle, est bien réelle, a été de se défausser des causes de cette défaite sur une mise en cause des institutions et l'on a vu fleurir, dès le 21 avril au soir, des attaques contre les institutions, des propositions pour aller vers une “VIe République”, des rassemblement plus ou moins dissidents ou marginaux pour déterminer des propositions dans ce sens, etc. C'est-à-dire que la présence de Le Pen, qui allait inévitablement conduire au choix de soutenir Chirac et de susciter une mobilisation anti-Le Pen pour l'élection du second tour, n'a, dans un premier temps, absolument pas provoqué le sursaut fondamental de mobilisation quasi-révolutionnaire qu'aurait nécessité une menace de la dimension de celle qu'on décrivait, si elle avait été réelle. Ce n'était certainement pas l'ambiance du Front Populaire de 1936 ou la mobilisation pour la Guerre d'Espagne. Après, certes, lorsque la rue fut investie sous l'oeil ému des caméras, on évoqua ces grands souvenirs car on se trouvait à nouveau en pleine représentation théâtrale.

Ce que démontrent simplement ces divers enchaînements dont certains peuvent apparaître contradictoires et déphasés (discute-t-on de la refondation d'un parti ou d'un changement dans les textes de la loi constitutionnelle alors que la plus grande menace fasciste qu'ait eue à appréhender la France est sous nos murs ?), c'est que le réalité virtualiste et la réalité réelle se côtoient et, parfois, interfèrent l'une dans l'autre ou se substituent l'une à l'autre. Le mécanisme, même parfait, a des effets pervers.

@TITREDDE = Background virtualiste

@SOUSTITRE = Dans la pratique, comment s'est réalisé l'''arrangement'' entre la réalité-virtualiste qu'on a imposée à l'événement et la réalité-réelle, celle qui continue à être.

Nous avons déjà signalé (voir notre site dedefensa.org, rubrique Faits et Commentaires, sous le titre « Hypothèses de campagne » du 27 avril) deux interventions intéressantes dans Le vrai Journal de Karl Zéro, sur Canal +, le 26 avril. Nous rappelons brièvement ces deux interventions, avec l'essentiel pour notre propos.

• La première intervention est de Lorrain de Saint Affrique, ancien conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen, devenu depuis, nous semble-t-il, anti-lepéniste. Saint-Affrique affirme que Le Pen ne voulait pas être présent au second tour (« Le Pen a peur. C'est un homme seul, il n'a personne avec lui. Son rêve, ç'aurait été de terminer à18.000 voix derrière Jospin, mais surtout pas de figurer au deuxième tour. »). Et Saint Affrique interprète de cette façon le résultat de Le Pen et sa présence au second tour : «  le peuple français s'est emparé de lui, dans un élan révolutionnaire, pour mettre en cause le système à travers lui. Le peuple français a instrumentalisé Jean-Marie Le Pen pour en faire une machine contre le système. »

• Après cette interview de Saint-Affrique, une interview de Daniel Cohn-Bendit, à Bruxelles, recommandant de voter Chirac, balayant toutes les objections des électeurs de gauche. « Il faut voter Chirac, parce que voter Chirac, ce n'est pas voter Chirac. C'est voter dans un référendum contre la haine. S'il y a 80 ou 90% de voix pour Chirac, ce sera en réalité contre Le Pen. Il faut instrumentaliser Chirac pour battre Le Pen. »

L'on comprend que ce qui nous intéresse ici est l'emploi de ce même terme d'« instrumentaliser », par les deux personnes citées, pour deux orientations politiques contradictoires stricto sensu mais similaires dans la démarche et, peut-être, on peut se poser la question, dans le sens. L'on comprend aussitôt que nous sommes inclinés à une interprétation virtualiste de l'emploi de ces deux termes, de la situation dont ils rendent compte implicitement. L'on comprend que le contenu de prospective politique et éventuellement idéologique des deux interventions (Saint Affrique annonce une victoire possible de Le Pen, Cohn-Bendit 80 à 90% pour Chirac) ne nous importe en rien. Là aussi, comme dans toute cette analyse, c'est le mécanisme qui est le mystère, et nullement le contenu des démarches, celles-ci sans guère d'originalité, qui sont même dans tous les esprits.

Effectivement, ce qu'il nous importe de montrer dans ce cas, autour du verbe « instrumentaliser » appliqué au profit des électeurs vis-à-vis des deux candidats portés au second tour, exactement comme s'ils étaient des marionnettes, c'est effectivement une de ces situations réelles dans une situation d'apparat virtualiste déployée autour des explications interprétatives et symbolisées (démocratie versus fascisme) données à ce même second tour. Et l'on notera, pour ce cas, combien cette situation est intéressante. La réalité devient alors que ces élections constituent de puissantes expressions des sentiments des électeurs, sentiments d'ailleurs changeants selon les circonstances (il est évident que certains électeurs de Le Pen au premier tour sont passés contre lui, il est évident que des électeurs qui ne sont pas lepénistes ont voté pour lui au second tour, la même chose pour Chirac, etc : puisque les politiques nous expliquent que « la politique c'est fini », il ne faut pas s'étonner que pour l'appréciation qu'on a d'eux en tant qu'hommes politiques, cela soit fini également).

Le 4/21 de Chirac vaut bien le 9/11 de GW, et la mobilisation contre la grande menace fasciste, la Grande Guerre éternelle contre le terrorisme

Dans ce registre des rapports entre réalité-virtualiste et réalité-réelle, il y a encore le domaine de la manoeuvre politicienne, disons la tactique qui, en ce moment, est plutôt piètre que glorieuse. Ainsi avancerions-nous que le 21 avril constitua, pour Jacques Chirac, l'opportunité d'une puissante manoeuvre politique qui nous rappelle celle qu'a opérée George W. Bush à l'occasion de l'attaque du 11 septembre. (Nous n'avons pas résisté au “jeu de chiffres” et, sur notre site dedefensa.org, nous avons baptisé 4/21 — comme on dit 9/11 pour l'attaque du 11 septembre, chiffre du mois et du jour selon l'ordre américain — cette opération tactique de Chirac.)

Les résultats du premier tour et l'interprétation virtualiste qui en fut faite, puis la réalité ainsi créée car il s'agit bien d'un candidat d'extrême-droite avec Le Pen, ont conduit Chirac à se poser en défenseur de la démocratie. L'affaire a été si rondement menée que le parti du président a, pour ce deuxième tour, revêtu des atours somptueux. Le lourd passif qu'on connaît a été relégué au second plan. Entre « plutôt l'escroc que le facho » et « le grand combat moral » de sa vie, le choix qu'imposait la situation virtualiste à laquelle tout le monde avait contribué était vite fait. Le candidat Chirac, quelque crissement de dents qu'on entendît, fut pendant cette quinzaine le porte-drapeau de la vertu républicaine. On peut mesure à quelles situations proprement abracadabrantesques nous conduit cette application colossale du virtualisme dans un événement comme l'élection présidentielle. Quelque réserve qu'on puisse apporter à cette opération, force est de reconnaître qu'elle est fondée, du moins si l'on se réfère aux critères du virtualisme (la grande menace fasciste). Il devrait donc rester un reliquat de cette expérience, qui est une couronne de vertu républicaine même temporaire, pour servir comme puissant argument à la constitution d'une base parlementaire du nouveau président, lors des élections législatives du mois prochain. Si c'est le cas, Chirac aurait réussi une opération semblable à celle de GW avec le 11 septembre, la correspondance des deux situations amenant à celle des menaces, et la grande menace fasciste contre la France valant bien en substance la Grande Guerre éternelle contre le terrorisme. (Cela écrit, certes, avec à l'esprit qu'il ne doit y avoir aucun soupçon de complot pour autant. Les deux hommes ont été plongés dans une situation inattendue. Ils ont réagi avec les moyens du bord, c'est-à-dire le moyen fondamental du virtualisme, et selon les capacités tacticiennes d'eux-mêmes et de leurs équipes bien rôdées. Bien joué, pourrait-on être tenté de commenter, et ce serait effectivement le cas pour le court terme. Pour le terme plus long, c'est à voir. Les parties évoquées ne sont pas finies et, dans ce genre d'activité, on touche les dividendes sur le court mais quand la réalité se signale à nouveau, on peut avoir à affronter des contre-coups sévères.)

Ainsi s'achevait la période, le 5 mai au soir à 20H00 (sauf pour ceux qui captent la radio ou la TV belge qui a toujours la projection des résultats autour d'une heure d'avance). Par ironie du sort, le résultat de Le Pen était assez proche en pourcentage de celui du premier tour, assez proche de celui que prédisaient les sondeurs dès le soir du 21 avril (on communiquait approximativement un rapport de 80-20), en un mot comme si rien ne s'était passé entre les deux tours. C'est effectivement le cas. Nous avons eu une période où notre montage virtualiste ponctuel, pour ce cas, s'est achevé en une sorte d'apothéose où une mobilisation stalinienne fut proclamée à un point qui nous permit de mesurer les capacités d'intolérance infinie d'une élite qui se caractérise par des leçons de morale sur la tolérance, où un énorme abri contre les tempêtes fut édifiée en toute hâte contre une tempête de ciel bleu (dans tous les cas à cet égard, car le fascisme est bien mort depuis un demi-siècle), où fut solennellement proclamée une promesse de refondation de la République qui n'a pas une seconde perdu ses fondations, comme le prouve justement cette élection, où une énorme et héroïque loft story fut jouée de bout en bout, avec la participation active et live des téléspectateurs.

@TITREDDE = La fin du commencement ?

@SOUSTITRE = Les élections type-4/21 constituent un pas de plus dans la désintégration de la politique officielle, la politique classique, la politique des hommes politiques.

Les élections présidentielles françaises de 2002 sont un événement de cette sorte nouvelle dont la définition est très difficile à tracer, parce que sa signification est toute entière soumis à interprétation, et que les interprétations, naturellement, peuvent varier et n'ont aucun point de référence fixe. (En ce sens également, nous inclinons à le rapprocher de la saga Lewinski-impeachmentde Clinton.)

• est-ce un événement politique, alors que la substance même, ce qui fait la puissance de cet événement, est uniquement définissable par un rejet massif de la politique ?

• d'autre part et peut-être a contrario, sachant comme nous le savons que cette “politique”-là, rejetée si massivement, ne l'est plus que de nom, que les acteurs eux-mêmes n'y croient plus, alors l'événement n'est-il pas fondamentalement politique par une logique contraire, selon une définition complètement nouvelle de la politique, dans la mesure où il rejette la politique corrompue de ceux qui pensent que « [l]a politique c'est fini, [ç]a ne sert plus à rien.

La complexité de notre constat se mesure dans le fait que l'interprétation qu'on peut donner d'un événement contredit totalement son apparence, ce qui trouble les sens (ce n'est pas rien à notre époque où la “politique” est principalement appréhendée en termes sentimentaux, avec l'émotion au premier chef). Dans le cas des présidentielles, cette idée envisagée plus haut que, dans cette élection, ce sont les électeurs qui ont manipulé les candidats, est un exemple de cette complexité : d'une part on est accoutumé à l'inverse qui semble relever d'une logique impérative, la logique de la puissance organisée et centralisée du pouvoir ; d'autre part, c'est rejoindre le cas mentionné plus haut où l'on identifie comme “politique” une interprétation qui semble le contraire de la politique organisée. Le catalogue des appréciations officielles, — autant du monde politique que du monde des experts, que du monde des médias, — est qu'il y a un affrontement idéologique, essentiellement entre un camp démocratique et une attaque vicieuse du camp non-démocratique. Toutes les observations de bon sens et d'évidence qu'on peut faire font bon marché de cette analyse, la renvoient au conformisme standard et tournent en ridicule une interprétation qui se veut politique, et, par conséquent, tournent en ridicule ce qui serait la dimension politique de l'événement. Au contraire, ces mêmes observations obligent à des analyses non-conventionnelles qui définissent les parties en présence selon des étiquettes en apparence non-politiques, dont la raison d'être est la mise en cause des standards de la politique officielle.

Pour être apprécié dans sa totalité, l'événement doit être observé selon des références qui échappent effectivement aux définitions habituelles de la politique, qui échappent disons à la politique officielle. Leur caractère non-politique devient une couverture ou bien un simple reliquat des appréciations officielles.

Des candidats complètement « instrumentalisés » par des événements qu'ils déclenchent mais qu'il ne contrôlent pas

D'autre part, le constat doit être fait du naufrage de cette “politique officielle” au cours de ces élections présidentielles, une politique officielle constamment prise à contre-pied, constamment forcée à changer de registre sous la pression des événements. (Campagne avant le premier tour complètement étrangère à toute idée de menace d'extrême-droite, campagne entre les deux tours uniquement axée là-dessus, retour à une campagne dans les bornes de la politique courante après le deuxième tour.) A côté de l'hypothèse des candidats « instrumentalisés » par leurs électeurs, il y a l'hypothèse, beaucoup plus évidente encore, des candidats instrumentalisés par des événements, au déclenchement et à l'alimentation desquels ils participent puissamment, sinon exclusivement, mais sur lesquels ils n'ont plus aucun contrôle. Tout se passe comme si les candidats, c'est-à-dire les représentants de la politique officielle, devenaient les spectateurs d'un affrontement des événements entre virtuel et réel qu'ils ont déclenchés, s'adaptant plus ou moins bien aux effets des événements qui en découlent. Ces hommes politiques sont, dans cet affrontement, bien moins des acteurs malgré leur rôle de détonateur que ne le sont, désormais, des électeurs devenus imprévisibles, même pour les sondages, et qui ont appris à agir de façon indirecte, ou pour des buts indirects, ou d'une manière symbolique plus qu'active. Les présidentielles de 2002 marquent une étape de plus dans la désintégration de la politique officielle, et de la façon classique et devenue archaïque de faire de la politique. La mobilisation anti-fasciste d'entre les deux tours a accéléré cet événement puisqu'elle a été exercée contre un objet qui n'existait pas, une menace qui n'en était pas une, dans ce tourbillon d'irréalité où les hommes politiques ont été contraints de figurer. (Mais pouvaient-ils faire autrement ? Ils étaient pris dans l'engrenage virtualiste qu'ils avaient suscité, qui faisait effectivement que, brutalement, Le Pen pouvait gagner et qu'alors s'installait une situation politique bien réelle, complètement nouvelle. Cette nécessité inévitable de l'action anti-fasciste, faite au prix de l'installation d'un climat d'intolérance quasi-stalinien, achève l'échec de cette virtualisation de la vie publique : l'échec de Le Pen n'écarte aucune menace puisque lui-même n'existait pas en tant que menace, et par ailleurs la mobilisation anti-fasciste nécessaire pour éviter que la non-menace devienne menace a accéléré de manière dramatique le discrédit de la politique officielle, à laquelle la quasi-totalité des élites, devenues élites officielles comme dans une démocratie populaire, a prêté main-forte.) Chirac a raison (« la politique, c'est fini »), mais en partie, pour ce qui est de sa façon à lui, et à ses pairs, de faire de la politique.

Désormais, ce qu'on nomme “politique” a quitté les structures qui en avaient habituellement la charge, qui deviennent d'une fragilité extrême en n'étant plus tenue que par un assemblage de capacités de gestion et d'entretien de privilèges, à peu près tout ce qui est laissé aux politiques. La politique se répand dans différents domaines et diverses activités, difficiles à situer, à identifier. C'est comme une sorte de révolution furieuse mais souterraine dont on ne voit pas encore où elle pourrait nous conduire. Désormais, ce qu'on nomme la “politique” et qui ne l'est plus, qui est reléguée au rang des attributs utilitaires, attend éventuellement son révolutionnaire, celui qui saura la ranimer d'en-dedans elle et retrouver les attributs de sa fonction désormais dispersés. Rien n'indique qu'il sera au rendez-vous, ni d'ailleurs qu'il y ait un rendez-vous. Peut-être l'histoire va-t-elle créer quelque chose de nouveau. Le temps du virtualisme est aussi celui des hypothèses.

@SURTITRE = L'oeil écoute (suite)

@TITREDDE = ROW retient son souffle

@SOUSTITRE = C'est comme si, depuis le 21avril, — même pour certains Américains, c'est dire, — la France avait été à part, et le reste (Rest Of the World) obligé de l'observer.

On dit qu'entre les deux tours, certains représentants européens de grosses sociétés américaines, notamment certaines sociétés liées au complexe militaro-industriel, cherchaient désespérément à obtenir quelques analyses et commentaires sur la situation française, pour tenter d'y comprendre quelque chose et y distinguer des opportunités d'intervention au coeur de la puissance industrielle européenne de l'électronique et de l'armement. Certains d'entre eux posaient cette question qui paraîtrait complètement folle en temps normal : « Et si Le Pen gagnait ? » Dès le 21 avril, sans aucun doute, la France a tiré la couverture à elle. Elle est devenue le centre d'intérêt du monde et le reste, the Rest Of the World (ROW), bien obligé de se pencher sur ce cas surprenant. D'abord, bien sûr, et essentiellement, — d'abord l'Europe.

De manière indirecte mais certaine et précise la mesure a été prise, durant ces quelques jours, du poids formidable que représente la France dans le dispositif et la structure européens, dans le mécanisme européen, et, tout simplement, dans la géographie européenne. Une « hauteur béante », selon le mot d'Alexandre Zinoviev, s'est découverte. La France a paru à nombre de Français plus que jamais en-dehors du monde, mais ils n'ont pas raison de croire cela ; la réalité est que, plus que jamais, la France apparaît en réalité comme une représentation exacerbée des tensions et des forces souterraines qui guettent le monde, et même, qui, l'agitent subrepticement. (On cherche les raisons de ces agitations dans des explications alambiquées qui inculpent la France et disculpent les autres, la cause se trouve dans nos psychologies secouées et malades, y compris chez les causeurs les plus assurés de soi. Cela n'a pas de frontière.)

Certains en tirent des explications de circonstance, des explications tactiques, dans un sens ou dans l'autre, parfois en sens complètement opposés. L'institut américain Stratfor juge que « les gains électoraux mineurs du candidat à la présidence Jean-Marie Le Pen pourraient affecter de façon disproportionnée et profonde le processus d'intégration européenne. Ceux qui s'opposent aux réformes lancées au sein de l'UE ont désormais une excuse pour freiner celles-ci : la peur d'une montée de l'extrême-droite. » En sens contraire, une source française proche de milieux favorables à l'intégration européenne estime que « les conséquences vont être la prise en otage des adversaires de l'intégration européenne. Ceux-ci sont bien entendu, pour un bon nombre, des démocrates irréprochables. Ils seront d'autant plus sensibles aux accusations qui vont être lancées contre eux, qui sont déjà lancées contre eux, d'être assimilés à l'extrême-droite dans la mesure où Le Pen s'est opposé à l'Europe intégré pendant sa campagne électorale. »

[Dans la réalité des choses et pour l'immédiat, et hors des supputations à propos des choix tactiques à faire et des orientations stratégiques à déterminer, le constat est que les “réalistes” agissent comme si, effectivement, la crise française serait d'abord un motif de prudence (Schröder qui, le 30 avril, déclarait à Bruxelles qu'il faudrait freiner le processus de l'intégration européenne pour éviter d'alimenter l'extrême-droite).]

La crise donne ses effets en profondeur, par le biais des psychologies

Ces explications ne sont pas nécessairement infondées mais les contradictions qu'elles montrent mesurent leur fragilité, c'est-à-dire la fragilité de tenter d'avancer un diagnostic des effets de la crise française sur l'Europe qui ne soit que tactique. On dira : mais au moins l'une d'entre elles est bonne et c'est déjà une chose importante. Nous ne sommes même pas assurés de cela, nous en doutons même grandement. Les deux explications présentées d'effets contraires sur la situation européenne, ou sur la situation du soutien à la cause européenne, renvoient essentiellement au champ psychologique. (Stratfor parle assurément d'une perception outrancière du résultat du FN, la source que nous citons parle de pressions psychologiques appuyées sur un habillage symbolique.) Ce champ psychologique n'offre guère d'effets durables et/ou sérieux sur l'action immédiate que constitue le volet tactique (ainsi le conseil de Schröder de freiner le processus d'intégration ne renvoie pas à l'explication de Stratfor). Par définition, l'effet psychologique est de type indirect, il oriente les perceptions, colore les évaluations et les analyses, il pèse, plus ou moins rapidement selon sa force et son fondement, sur la substance des choses, c'est-à-dire sur le champ stratégique de la politique, sur le champ conceptuel le plus large possible. C'est à ce niveau, selon nous, que la crise française va avoir des effets sur la situation européenne.

C'est-à-dire qu'elle n'y changera rien dans l'immédiat, parce que, de toutes les façons, la première réaction des forces établies va être de contenir tous les effets possibles (tactiques, justement) dont ces forces craignent, à juste titre, qu'ils soient incontrôlables. Le mot d'ordre, après un choc psychologique de cette ampleur qui n'est pas nécessairement transcrit dans des faits politiques, c'est évidemment business as usual ; tout faire pour que tout continue comme si rien ne s'était passé. Cette pesanteur contredit définitivement les efforts d'exploitation tactique de la crise qui pourraient être faits. Par contre, on ne peut empêcher l'effet en profondeur de celle-ci, qui se réalise de façon subreptice, indirectement, par le biais du caractère impressionnée et impressionnable des psychologies. Il se trouve qu'il y, effectivement, un de ces effets en profondeur, sur la situation européenne, de la crise française.

@TITREDDE = « Thinking the unthinkable »

@SOUSTITRE = Personne n'avait jamais songé à penser que la France pût considérer, même pour la rejeter, l'hypothèse de son retrait de l'UE. Pourtant, c'est fait. C'est un grand chambardement psychologique.

Il y avait eu le référendum sur Maastricht. Le résultat très serré, après des sondages qui avaient même fait craindre un résultat négatif, avait constitué un choc sévère. Cela n'a rien à voir avec ce qui s'est passé 4/21.

La perception générale de la situation française est, en Europe, que ce pays est une “république présidentielle”, c'est-à-dire une “république autoritaire” parce que présidentielle. La perception, depuis 1958 et la forte personnalité historique de Charles de Gaulle, est que tout le pouvoir est concentré dans les mains du président. Ce pouvoir est si fort, si évident, que sa soumission au verdict des urnes a parfois quelque chose de choquant, qui amène des semi-surprises (ce fut le cas en 1965, lors du ballottage du général de Gaulle, comme c'est le cas aujourd'hui d'une certaine façon, avec l'intrusion le 21 avril d'un candidat qui n'était pas perçu, avec toutes sortes de raisons, bonnes et mauvaises, comme étant de la classe des “présidentiables”). Dans cette mesure, le scrutin de Maastricht et sa possibilité de victoire du “non” ne furent pas perçus comme la concrétisation d'une possibilité que la France refusât l'Europe, outre qu'il ne s'agissait que d'un épisode européenne. L'idée, la perception psychologique justement, était que le président restait l'arbitre de tout, même devant un résultat négatif. (C'est une perception politiquement et constitutionnellement erronée, on en convient, mais psychologiquement très forte.) En d'autres termes, on n'avait pas vraiment accepté, lors du référendum sur Maastricht et dans le cas français spécifiquement, de “penser l'impensable” (thinking the unthinkable, disaient les Américains à propos d'une guerre nucléaire stratégique) : que la France pût sérieusement considérer de refuser l'Europe dans sa phase ultérieure de consolidation. Imaginons aujourd'hui de quel «  thinking the unthinkable » il s'agit : que la France puisse envisager de quitter l'Europe (l'UE), comme l'hypothèse fut évoquée lorsqu'on évoquait la possible victoire de Le Pen. (Nous ne parlons que de possibilités, même si elles paraissent de peu de bon sens par rapport à la comptabilité électorale ; et l'on sait aujourd'hui le rôle amoindri dans le domaine des certitudes de la comptabilité électorale) Cela, c'est un choc psychologique extraordinaire, et c'est bien l'événement fondamental, hors de tous les habillages divers sur une prétendue menace fasciste, sur ce FN qui n'existait plus et qui réapparut, soudain menaçant, etc.

Certains Français ont pu être choqués lorsque le Premier ministre Aznar, parlant ès qualité de président en exercice de l'UE, a pris l'initiative, après le premier tour, de souhaiter publiquement la victoire de Chirac. Tout le monde pensait à la “menace fasciste”. Nous avons pensé, essentiellement, à la menace que le destin français, selon ce qu'il serait, pourrait faire peser sur l'Europe. Du coup, cette intervention pouvait être aussi bien interprétée comme une prière. (Par contraste, GW s'est bien abstenu de faire le moindre souhait public pour le résultat au second tour, selon l'argument évident du respect de la souveraineté nationale. Les Américains n'ont pas perçu l'enjeu européen de cette affaire, ce qui est logique : ils sont trop loin du continent.)

La France est perçue comme le point de structure central et la référence historique de l'Europe.

Que cela lui plaise ou non, la France a une place à part en Europe. Quoiqu'elle-même en veuille, quoiqu'on lui dénie le moindre fondement à une ambition de cette sorte, quoiqu'on lui fasse tant de procès d'intention dans ce sens, il reste que la France est perçue comme le pays central de l'Europe, celui autour duquel, historiquement, se structure l'Europe. La dénonciation critique, l'hostilité latente dont certaines attitudes françaises, en général fort mal interprétées, sont l'objet de la part de ses partenaires viennent des prétentions françaises à “être l'Europe” que les autres voient chez elle. Que ces prétentions n'existent pas vraiment importe peu, puisque la psychologie a cette perception, enracinée dans le passé de la « Grande Nation », cet État-nation qui s'est fait avant tous les autres, qui s'est bâti sur un nationalisme mystique unique dans son genre et mariant l'extraordinaire combinaison du patriotisme national et de l'universalisme européen. En plus de ce riche sous-bassement psychologique, il existe des réalité physiques et politiques qui rendent la France essentielle à l'Europe, et l'Europe difficilement concevable sans la France :

• la place géographique et structurelle centrale de la France dans l'ensemble européen ;

• la “culture” française de l'autonomie et de l'indépendance nationale, évidente depuis de Gaulle, qui sert de référence implicite aux pays européens (même s'ils ne semblent pas faire grand'chose pour tendre vers ce modèle, celui-ci doit exister comme référence d'un discours qui s'effondrerait sans elle) ;

• la position française de facto, souvent contre son gré, de “contre-modèle” face à la globalisation déstructurante, qui reste également une référence pour une Europe qui vit dans la contradiction d'être libérale et proaméricaine tout en cultivant un discours nécessaire d'affirmation d'une différence.

Tout cela doit être pris au sérieux car tout cela fournit l'essentiel du discours politique lorsque les élites européennes se voient dans l'obligation de rameuter leurs électeurs sur quelque chose qui sorte de l'ordinaire. La plaidoirie d'une allégeance aveugle à la globalisation déstructurante, et à l'Amérique par voie de conséquence, ne fournit certainement pas cette exaltation parfois électoralement nécessaire.

Tout cela fait que l'Europe, qui a besoin d'autant plus de se percevoir comme telle qu'elle est loin de l'être, ne peut s'imaginer sans la France comme référence, le plus souvent comme repoussoir, et parfois même comme exemple indirect (mais cela, certes, n'est jamais exprimé comme tel). L'escapade du 4/21 a soudain mis en évidence que les lointaines malédictions qu'on évoque parfois pouvaient entrer dans le champ du réel, et que l'Europe, en vérité, pouvait soudain être placée devant la possibilité de sa désintégration à cause de la défection de sa partie la plus nécessaire. Il n'y a là aucun enseignement politique à tirer car cette évocation reste évidemment politically incorrect, et même politiquement de peu de sens. Il y a là, plus simplement, un choc psychologique profond à réaliser, toute la différence entre l'hypothèse abstraite et l'entrée de cette possibilité, même ultra-minoritaire et déraisonnable, dans le champ du réel.

Peut-être certains Européens considèreront-ils désormais la France d'un oeil différent : comme un pays qui n'est plus ''considéré comme acquis'' (taken for granted) dans le concert européen, bien que l'évidence politique est que la France ne peut se sortir de l'Europe parce qu'on n'échappe ni à sa géographie, ni à son histoire. Dans le domaine européen, on pourrait bien, après cette crise française, être également entrés dans le domaine où la psychologie joue un rôle essentiel.