Les quatre minutes de vérité du sénateur Graham

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Les quatre minutes de vérité du sénateur Graham

28 septembre 2018 – On se rappelle, l’on sait même avec la plus grande certitude, que je n’ai jamais porté le sénateur républicain US Lindsey Graham dans mon cœur. Grand ami et complice de McCain, Graham a été de toutes les incitations, exclamations, manipulations & autres sales coups pour lancer ou entretenir des agressions et des conflits américanistes extérieurs, en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Ukraine, etc.

Graham est toujours le même à cet égard. Il a exprimé ses encouragements à Trump lorsque, à deux reprises avril 2017 et avril 2018), celui-ci a fait tirer des missiles contre la Syrie, regrettant néanmoins les doses homéopathiques employées au lieu d’un vrai carpet-bombing du type Shock & Awe pour en finir avec Assad. Graham montrait par là que le retrait de McCain, en phase terminale de son cancer en avril 2018, ne le privait en rien de son zèle guerrier.

C’est dire, plus encore que je n’ai dit en introduction, combien je tiens Graham comme un homme très dangereux à cet égard, comme un véritable “messager du Mal” dans cette époque toute entière maléfique. Pourtant, je vais vous en dire du bien.

Hier, se tenait sans doute la journée la plus importante de cette incroyable saga américaniste qu’est la confirmation par le Sénat du juge Brett Kavanaugh comme Juge à la Cour Suprême, avant celle du vote d’aujourd’hui de la commission sénatoriale des affaires juridiques, pûis celle du Sénat en entier. Vraiment, ce spectacle nous en dit bien plus que de longs argumentaires sur l’état du pouvoir de l’américanisme qui se déchire dans une guerre civile impitoyable, où règnent le cynisme, la haine, le simulacre et la dissimulation derrière les fausses et insupportables vertus des corrompus et des corrupteurs des perceptions et des psychologies.

(A l’heure où j’écris ce texte, on ignore encore tout du vote, même si les pronostics sont que Kavanaugh sera confirmé. Peu importe puisque ce n'est pas le sujet.)

Certes, peu m’importe Kavanaugh, sa nomination ou pas, sa culpabilité ou pas dans les affaires évidemment sexuelles qui ont fleuri au moment de cette audition, comme dans une symphonie bien ordonnée, comme des brins de muguet sortant de terre au 1er mai. Ce qui m’importe ici c’est l’incroyable traitement qui lui a été appliqué, sous forme d’un McCarthysme postmoderne d’une violence, d’une obscénité, d’une impudeur extraordinaires, toutes ces choses qui portent la marque d’une décadence s’oubliant en un effondrement de toutes les valeurs. (Voir les interventions des sénateurs FeinsteinCrokerLeahyDurbin, tous démocrates bien entendu. Et certes, si la situation était renversée, les républicains feraient de même.) 

...Et c’est à la suite de l’intervention de Durbin que l’on vit Graham entrer en scène : pendant autour de quatre minutes, Graham, au comble de la fureur, a reproché avec une justesse infaillible et des mots tonnés comme un Bossuet en chaire, leur comportement aux sénateurs démocrates, comme

« le plus anti-éthique, le plus scandaleux que j’ai rencontré depuis que je suis en politique ».

Quelques heures plus tard, sur FoxNewsil dira que ce fut

« l’un des plus grands moments de ma carrière ».

Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, quelque valeur qu’on attribue à ces divers facteurs, à tous et à chacun d’entre eux, et même si l’on ne leur attribue que la pensée du simulacre ou de l’arrogance, – le Sénat, le système de l’américanisme, la Cour Suprême, les dépositions sous serments, le sénateur Lindsey Graham, etc., et puis la corruption, les institutions moquées, la vanité aveugle  de l’hybris, l’entropisation de la modernité dont l’Amérique est à la fois le nom et la Gloire, – quoi qu’il en soit, reste que ces quatre minutes sont admirables parce que c’est un moment de Vérité, ce que je nomme, une vérité-de-situation sans aucun doute.

Voici donc les termes du problème : Graham le hurleur de guerre, le neocon parfumé, le double et le jumeau de McCain, l’homme dont les fissures de l’âme permettent au Mal de l’investir, cet homme en cet instant renverse complètement notre jugement si l’on veut juger loyalement et justement. Sans qu’il réalise précisément le terme du raisonnement, il nous dit la vérité qui est aussi, si l’on accepte toutes les implications du cas, la vérité du système de l’américanisme. Ainsi doit-on conclure que cet homme, qui a si complètement le Mal en lui lorsqu’il pousse aux guerres les plus affreuses et les plus honteuses, en cet instant écarte “le Mal qui est en lui” et, par conséquent, il ne peut en aucun cas être apprécié comme “mauvais en soi”.

Aussitôt je pense à la formule de Plotin qui revient si souvent sous ma plume. Elle m’est infiniment précieuse car, en plus de rencontrer mon sentiment en profondeur, elle me donne la puissance dialectique qui permet en ces temps où triomphe le Mal d’évoluer intellectuellement et moralement le plus aisément et le plus droitement possible au milieu des innombrables ambiguïtés et contradictions des situations, comme un navire habile à la manœuvre navigue, par gros temps, dans un champ d’écueils et de rocailles. Ainsi armé, comme un navire est gréé, on se sent plus fort pour observer et comprendre ce tourbillon crisique et ses apparentes incohérences, contradictions, paradoxes... Voici l’être qui, malgré toutes ses proximités du Mal, n’est jamais “mauvais en soi”...

« Car on pourrait dès lors arriver à une notion du mal comme ce qui est non-mesure par rapport à la mesure, sans limite par rapport à la limite, absence de forme par rapport à ce qui produit la forme et déficience permanente par rapport à ce qui est suffisant en soi, toujours indéterminé, stable en aucun façon, affecté de toutes manières, insatiable, indigence totale. Et ces choses ne sont pas des accidents qui lui adviennent, mais elles constituent son essence en quelque sorte, et quelle que soit la partie de lui que tu pourrais voir, il est toutes ces choses. Mais les autres, ceux qui participeraient de lui et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi. »