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Au moment où le Pape termine son voyage aux Amériques, et notamment avec son passage en amérique Latine (Guatemala et Mexique), il nous paraît intéressant de publier une réflexion sur “la question catholique et les rapports avec les USA”, parue dans notre livraison du 10 juillet, Volume 17, n°20.
Cette analyse est fortement politique et renvoie essentiellement à l'évolution des rapports entre les USA eet l'Europe ; c'est-à-dire que nous la plaçons beaucoup plus dans une optique Ouest-Ouest (pour ne pas parler d'Est-Ouest, qui signifie autre chose) que dans une optique Nord-Sud où beaucoup veulent placer la succession du Pape si elle désigne un cardinal d'Amérique Latine. La raison en est qu'à notre sens, la seule possibilité d'une évolution du monde par rapport à la puissance américaine, une évolution où la religion catholique pourrait jouer un rôle, passe par l'Europe ; d'autre part parce que la religion catholique, même si elle est aujourd'hui majoritairement extra-européenne, même si elle choisit un Pape non-européen comme successeur de Jean-Paul II, dépend d'une culture, d'une infrastructure et d'un dessein temporel fondamentalement européens.
C'est avec cette appréciation à l'esprit qu'il faut lire la chronique ci-dessous.
[Cette publication est à lier avec un autre texte, que nous éditons aujourd'hui, dans la rubrique Faits et Commentaires, sur les spéculations à propos de la succession de Jean-Paul II.]
@SURTITRE = Et si Malraux avait raison ?
@TITREDDE = Un quiproquo préoccupant
@SOUSTITRE = Le reste du monde regarde, fasciné, ce qu'il croit être la manifestation impeccable et irrésistible de la plus grande puissance du monde. Quiproquo.
Depuis le 11 septembre 2001, le reste du monde, ou ROW pour Rest Of the World, regarde ce qu'il juge être le déchaînement de la puissance américaine, c'est-à-dire de la plus grande puissance concevable dans l'histoire du monde. Il regarde ce déchaînement comme si cette puissance était une révélation étourdissante, comme si, avant le 11 septembre, il n'était pas déjà en train d'observer le déchaînement de la puissance américaine depuis l'arrivée des républicains musclés de GW, de la même façon, et comme si, avant l'arrivée de GW, du temps de Clinton et d'une Madeleine Albright déchaînée, et de l'attaque contre Milosevic, il n'était pas déjà en train d'observer le déchaînement de la puissance américaine, et ainsi de suite en remontant dans les années qui viennent de s'écouler depuis la fin de la Guerre froide, et même au-delà, depuis le débarquement des G.I.'s à Omaha Beach, premier “déchaînement de la puissance américaine” accessible à notre mémoire, que nous redécouvrons régulièrement grâce à la magie de Spielberg et compagnie.
C'est-à-dire qu'à chaque déchaînement de la puissance américaine, ou ce qu'il être croit être tel, ROW a l'impression de découvrir un phénomène nouveau et extraordinaire. Cette répétition du même phénomène crée, à chaque fois, l'impression d'une nouveauté complète et, par là, l'espèce de considération extasiée pour ce qui semble être la magie de la puissance américaine qu'on semble découvrir comme une sorte de génération spontanée. ROW est gouverné, dans son évaluation de la puissance américaine, par l'hébétude, si ce n'est, à certains moments, la stupeur pure et simple (tous ces termes sont pris ici dans le sens pathologique).
On sait ce que nous pensons qu'il est raisonnable de penser de la puissance américaine, comme chaque jour la montre dans les innombrables opérations américaines de par le monde, cette puissance qui ne semble efficace que lorsqu'elle se trompe et attaque par erreur un paisible village afghan où l'on célébrait un mariage en tirant des coups de feu en l'air (30-40 morts selon les bilans de cette “bavure” américaine). Les opérations en Afghanistan, présentées comme un exceptionnel succès assurant comme une évidence le caractère unique de la puissance américaine, représente effectivement quelque chose d'unique, — une campagne où les “erreurs” ont largement prédominé, où les victimes civiles innocentes par tir direct dépassent dans un rapport de 10 à 1 les combattants talibans ou (si rarement) les terroristes d'Al Qaïda, et tout cela avec un appareil militaire général célébré jusqu'à l'ivresse pour sa puissance d'information dans l'identification des cibles et sa capacité de précision dans l'attaque de cibles. Il faut effectivement hébétude et stupéfaction du jugement pour continuer à nous présenter cela comme une puissance exceptionnelle, sinon par ses faiblesses qui paraissent incroyables au regard des investissements colossaux qui lui sont consenties. Certains pourraient croire que la “bêtise à front de taureau” se trouve aussi bien du côté des experts non-américains jaugeant la puissance américaine que de l'autre côté.
Alors, quelle est la recette de la puissance américaine ? Car il serait aussi vain et de complète mauvaise foi d'en nier l'effet que de continuer à en affirmer la réalité. C'est dans ce paradoxe qu'on trouve la réponse à notre question : le considérable effet d'une puissance américaine qui n'existe pas telle qu'on la définit. La puissance américaine d'influence, par contre, est quelque chose qui ne peut être discutée. La réalité est que la puissance américaine est toute entière rassemblée dans sa capacité de projection d'une image complètement fausse, et, par conséquent, dans sa capacité de suscitation des comportements les plus vils et les plus condamnables.
L'image de la puissance américaine ne crée rien en elle-même mais elle met les autres en état de susception, pour employer un mot qui, dans la liturgie catholique, indique « le fait de recevoir (les ordres) ». L'élément religieux de la hiérarchie catholique qui donne sa gloire à cette situation peu glorieuse en elle-même étant absent, le comportement présent étant défini selon des références qui en sont exactement son contraire comme la liberté, l'affirmation démocratique et ainsi de suite, qui apparaissent ainsi complètement trahies, l'effet est qu'on débouche effectivement sur des comportements qui ne peuvent être définis que par des traits renvoyant à la plus grande trivialité possible : lâcheté, compromission, mensonge, démission, etc. C'est présentement ce qui caractérise le comportement de la plupart des appareils politiques des nations et groupes de nations constituant ROW. Le degré que nous avons atteint est mesuré par le fait que l'Europe est perçue comme la seule puissance potentielle capable de s'opposer à la force de suscitation de la projection de l'image de l'Amérique, — alors que cette Europe est jugée si durement, avec tant de mépris, par nombre d'Européens lucides, et avec toutes les raisons du monde, pour son état de susception générale face à l'Amérique.
@CHAPTER FINAL = Il y a là, sans aucun doute, une situation “magique” dans le mauvais sens de ce terme, qui relève de la magie d'une certaine façon, et liée effectivement à l'effet de magie que crée la manipulation des images. C'est-à-dire qu'il s'agit d'une situation malsaine, déséquilibrée, et nullement de l'effet naturel du rapport des forces. Nous vivons, non pas une situation de sujétion tactique ou fataliste à l'empire, mais une situation de sursis continuel entre un état d'hébétude qui nous fait croire à l'existence de l'Empire (et de son ordre, par conséquent, auquel il importe de se soumettre) et la possibilité continuelle d'un retour à la réalité qui est celle d'une puissance nihiliste et déstructurante. Cette situation complexe ne cesse de créer des paradoxes et de fabriquer des contradictions.
@TITREDDE = Fureur séculière
@SOUSTITRE = A côté de cette attitude complètement stupéfiée par la puissance américaine, il y a une fureur grandissante de la part de ROW, particulièrement des meilleurs amis.
... A côté de cette attitude vis-à-vis des Américains qu'on décrit comme à la fois hébétée et stupéfiée, il y a une attitude, qui n'est pas nouvelle, qui est récurrente et correspond à cette situation de sursis continuel que nous avons mentionnée, qui est exactement le contraire de la situation de sujétion.
Elle prend, ces dernier temps, des allures extrêmes et préoccupantes, bien sûr au gré du “maximalisme indifférent” américain (maximalisme américain indifférent aux effets qu'ils provoquent dans les espaces extérieurs). Il y a une attitude d'exaspération, de colère et même de fureur, qui se développe à l'encontre des Américains, venue principalement chez les Européens (ce qui confirme le rôle qu'on leur attribue de principaux opposants potentiels) et, parmi eux, particulièrement chez les Britanniques.
La période commençant le 25 juin a été échevelée à cet égard. On en fait rapidement le détail pour en relever le foisonnement, — avec le discours de Bush sur le Moyen-Orient (élimination d'Arafat décidée), l'hostilité US à la Cour Pénale Internationale (CPI), la manipulation US (qualifiée de « chantage » selon un mot d'une audace inaccoutumée de Javier Solana) du fait politique et stratégique de la présence de soldats US dans les forces de peace-keeping, la mise en place des tarifs protectionnistes sur l'acier, des motifs d'agacement annexes comme l'erreur de l'attaque d'un innocent village afghan par les forces aériennes US. Les réactions européennes, particulièrement britanniques, à ces actions américaines, ont été remarquablement vigoureuses. Les commentaires britanniques ne prennent plus de gants aujourd'hui et Blair a du mal, certains jours, à ne pas être débordé, voire emporté lui-même dans le flot de critiques anti-US venues de son camp. (Il est manifeste que c'est le cabinet du Premier ministre lui-même qui organise certaines “fuites” qu'on retrouve, sous le couvert de l'anonymat mais à partir de sources identifiées, dans les colonnes des journaux britanniques, et qui sont particulièrement violentes pour les Américains. Ainsi en est-il de ce texte du Guardian du 29 juin critiquant férocement le comportement militaire US en Afghanistan).
Nous plaçons quelquefois nos textes d'analyse de la perception européenne de l'Amérique dans un contexte rhétorique à consonance religieuse. C'est le cas plus haut, lorsque nous parlions de “susception”, désignant le fait d'attendre des ordres de sa hiérarchie catholique. Et nous n'en sommes pas si loin lorsque nous parlons d'image, et de projection d'image pour définir le caractère essentiel de la puissance américaine. C'est donc dans ce sens que nous orientons notre analyse de ces réactions très critiques de l'Amérique de ces derniers jours, venues des Européens, qui valent bien les réactions tout aussi virulentes, également venues des Européens, qui suivirent le discours de GW sur l'« axis of evil ».
Pour nombre de dirigeants européens, il y a, dans l'action des Américains, rien de moins que la rupture d'un contrat, et d'un contrat que nous qualifierions de séculier, là aussi en insistant sur l'interprétation religieuse a contrario de ce terme. La fureur européenne vis-à-vis de l'attitude anti-CPI des Américains est une indication précieuse. Cette fureur ne s'apaise pas, elle ne fait qu'enfler, à mesure que se confirme la réalité de l'opposition américaine ; elle est d'autant plus forte à Londres que le CPI est, selon le terme de Peter Oborne, du Spectator, « a particular New Labour brainchild ».
On ajoutera à cela des constats à faire sur le terme plus long, notamment à l'ONU. Une source diplomatique européenne observe pour nous, après un voyage d'information à New York, au sein des structures et des délégations de l'ONU, que « la présence américaine y est toujours aussi forte, notamment dans le domaine essentiel du militaro-politique. Tout espoir de bâtir une coalition alternative, de tendance internationaliste, face à l'activisme américain, est aujourd'hui complètement infondé. Malgré que l'Amérique fasse ouvertement profession d'amoindrir au maximum toute capacité d'action de l'ONU, cette ONU lui reste acquise. Quant aux délégations des membres, elles acceptent toutes cette idée d'un leadership américain sans partage, même à l'ONU ». Que signifient ces constats sinon l'acte de décès des conceptions internationalistes avec à terme une perspective fondamentalement supranationale ? Un responsable diplomatique européen, instruit de ces réalités onusiennes, a ce mot sarcastique et désolé : « Nous ferions mieux d'oublier l'idée d'une autorité ou d'un gouvernement mondial au moins pour les deux ou trois prochains siècles. »
@CHAPTER FINAL = Quittons les réalités immédiates des rapports de force pour élargir notre horizon. Que constatent les Européens aujourd'hui, eux qui sont majoritairement internationalistes, centristes (même quand ils sont de droite), idéologiquement et économiquement libéraux ? Simplement qu'ils ont perdu leur chef de file, l'Amérique internationaliste de FDR, de George Marshall (l'homme du Plan), de l'OTAN et de l'ONU, — et même, certains l'espéraient, l'Amérique de Bill Clinton, dernier espoir des Européens libéraux. Ce que découvrent, ou commencent à découvrir les Européens, c'est l'évidence que l'unilatéralisme de George Bush est une sorte agressive et militariste de l'isolationnisme traditionnel américain ; et, encore plus,— c'est nous qui l'ajoutons, — de l'isolationnisme traditionnel des premiers immigrants, ceux d'avant-1776, déjà réformistes chrétiens radicalistes, intégristes, puritains et protestants, réformistes anti-papistes. (Celui qui mettra le plus de temps à s'apercevoir de la profondeur religieuse de la querelle, c'est le brave Tony Blair. Bien sûr, cette perspective dynamite son projet de “pont” USA-Europe. Il est probable que ce retard de lucidité lui coûtera son poste.) D'où cette fureur européenne devant ce qui est perçu, in fine mais combien profondément, comme la rupture d'un contrat établi au sein du monde occidental, entre l'Europe et l'Amérique, entre 1945 (et même depuis 1941 et la Charte de l'Atlantique) et 1949, avec la fondation de l'OTAN.
@TITREDDE = Persistance radicale
@SOUSTITRE = En effet, nous sommes dans l'analyse religieuse du conflit transatlantique. Pour comprendre cette querelle, il faut solliciter des mots d'un autre temps. C'est une querelle schismatique.
Nous poursuivons donc la réflexion introduite plus haut, sur la réalité du pouvoir à Washington. A 10 mois de distance, ce qui doit particulièrement arrêter les Européens, c'est la persistance d'une réaction qu'on pouvait juger temporaire, et due à l'émotion de l'événement du 11 septembre. La poussée intégriste religieuse américaine, au départ de la droite évangéliste et réformiste, cette poussée ne se dément pas. Avec des hommes aux plus hautes fonctions (GW lui-même, Ashcroft), elle établit une nouvelle vision qui se traduit par ce qui paraît être un unilatéralisme débridé et primaire mais qui est d'abord de l'isolationnisme spirituel, avec la simplicité grandiose que donne ce domaine — non pas America First mais America Alone ou America Elsewhere. Matthew Parris, du Times de Londres, se demande : « Combien de temps faudra-t-il pour que les gens à Islington, Barnsley, Edimbourg et, bien sûr, à Bruxelles, pour que les Européens comprennent que la Maison-Blanche n'est pas ignorante de nos points de vue, mais qu'elle y est indifférente ? »
L'important, pour nous, est bien de mesurer la profondeur et l'importance des racines de cette nouvelle situation, et la floraison qu'elle promet. Le soutien américain à Israël, à 150% si c'est possible, du jamais vu auparavant, n'est du ni à une réaction au terrorisme, ni à l'activisme des juifs américains, mais au fait majeur que le radicalisme évangéliste chrétien, jusqu'alors méfiant d'Israël et même franchement hostile dans sa frange antisémite, a totalement modifié sa position. Évolution tactique, parce qu'Israël est un allié de choix dans une guerre religieuse qui, pour l'instant, affronte l'Islam. Ce “pour l'instant” justifie que nous parlions de tactique ; car le véritable instant de vérité de cette situation se trouve dans les rapports USA-Europe, là où se traitent toutes les affaires du monde.
L'état de susception de l'Europe n'est pas du, comme on le dit souvent à l'emporte-pièce (et nous-mêmes, parfois), au simple effet de la décadence. Il reste à nous prouver que l'Europe s'estime en état de décadence. (L'est-elle plus que l'Amérique, par exemple ? On peut discuter.) Elle est accusée de l'être, surtout par ceux qui la jugent trop faible, trop dans cet état de susception vis-à-vis des USA, mais il s'agit d'une accusation qui repose finalement sur une circonstance politique. Au contraire, les représentants les plus notoires de l'establishment européen affirment haut et fort leur prétention moralisatrice, leur affirmation d'un “modèle” d'organisation pour le reste du monde. Même les Britanniques, qu'on juge cyniques et nihilistes à cet égard, y croient plus qu'on ne le pense. Il y a une réelle part de sincérité dans les conceptions “libérales-impérialistes” de Tony Blair et les thèses de Robert Cooper (voir dd&e, Vol17, n<198>14, rubrique de defensa et sur notre site dedefensa.org) ont tout le sérieux d'un haut-fonctionnaire très en vue dans la hiérarchie du Foreign Office. Cela donne la mesure de la réaction mentionnée plus haut, de déception vis-à-vis de l'évolution US d'abandon de l'internationalisme, de l'unilatéralisme désormais suivi comme politique.
On peut donc commencer à apprécier que la querelle en cours de développement entre les deux rives de l'Atlantique, — car c'est ainsi que nous la jugerions, du point de vue de sa dynamique, — peut se définir comme pas loin d'évoluer vers une querelle entre schismatiques (bien entendu, chacun accusant l'autre d'être le schismatique de la querelle). Ce n'est pas rien (et cela rejoint la conclusion de notre Analyse sur les civilisations dans ce numéro, ceci expliquant cela, — Analyse publiée sur notre site).
@CHAPTER FINAL = Cette circonstance explique à merveille l'aspect vague, insaisissable de la querelle et, en même temps, la sensation qu'on éprouve d'être en présence d'une dynamique inéluctable, que rien ni personne ne peut arrêter ; cette sensation, aussi, de ne plus voir le monde de la même façon, de ne plus percevoir de façon identique. Elle explique le caractère pathétique de slogan, pas d'autre mot, et avec la vacuité qui va avec, de l'argument qui plaide pour la poursuite des relations transatlantiques. Elle explique enfin le calvaire qu'est devenue, pour le Royaume Uni, et particulièrement pour son PM Tony Blair qui en est de plus en plus isolé, la poursuite obstinée, bien dans la façon britannique lorsque les Britanniques commettent une erreur, des soi-disant Special relationships.
@TITREDDE = L'hypothèse romaine
@SOUSTITRE = Dans l'hypothèse envisagée, l'Europe va se trouver pressée par une exigence radicale qu'elle ne pourra rencontrer, et qui la forcera à chercher des alliés, — un allié ...
Comment l'Europe libérale, laïque, formée aux idées de liberté du XVIIIe siècle, pourrait-elle poursuivre des relations équilibrées avec une Amérique qui serait en train d'oublier le tamis des “Lumières” pour en revenir au purisme, au simplisme de ses origines du XVIIe siècle ? C'est à ce point où l'état de susception n'est plus acceptable, lorsque la hiérarchie dont on attend les ordres (l'Amérique) devient soupçonnable à merci d'être schismatique et proche de plonger dans l'obscurantisme. (Ces jugements, du point de vue libéral.)
Mais nous sommes dans le royaume bien terrestre, même si c'est le Royaume de Dieu, là où la force paye, continue à payer. Les Américains nous le démontrent chaque jour, comme ils nous montrent également (pour qui sait voir) que la notion de “force” doit être étudiée de plus près ; point seulement la puissance brute, et même cette puissance plus douteuse qu'on ne croit, mais d'abord l'influence, on l'a vu. L'Europe soumise à cette influence se trouve devant le dilemme qu'on répète sempiternellement, mais le comportement de l'Amérique l'aidera dans le choix qu'elle sera obligée de faire. Mais l'Europe est trop faible aujourd'hui, par sa propre conviction, pour espérer transformer ce malaise qui grandit en une opposition décidée à l'emportement américain. Il lui faut des alliés. Elle n'en trouvera pas dans le reste du monde, qui observe la scène transatlantique sans risquer une seconde de s'y aventurer.
La situation hypothétique que nous traçons est la description de la forme que prendrait un mouvement que nous jugeons irréversible, qui est le déclin américain. « La vraie question n'est pas de savoir si l'hégémonie US décline, mais si les USA peuvent trouver une façon de décliner gracieusement, avec un minimum de dommages pour le monde et pour elle-même », écrit Immanuel Wallerstein, de Yale University (Foreign Policy, juillet-août 2002) : l'option que nous examinons, celle de la poussée religieuse, est le terme du déclin brutal de l'alternative envisagée par Wallerstein. Dans cette perspective, l'Europe devra trouver un allié dans le domaine où la pression se fera sentir. Cet allié, c'est l'Église de Rome, l'Église catholique. Cette puissance soft pourrait jouer, vis-à-vis des USA, le rôle qu'elle joua vis-à-vis de l'URSS dans les années 1980, en élisant un pape polonais. Elle tient dans sa manche le formidable atout de la puissance montante du catholicisme hispanique, au Mexique et aux USA. C'est selon cette perspective qu'il faut observer la possibilité qu'on évoque de l'élection d'un pape d'origine hispanique, direct ou deuxième successeur de Jean-Paul II selon la stratégie qu'adopterait l'Église.
@CHAPTER FINAL = Perspective étrange, ressuscitant une référence à un passé qui semblait enfui à jamais, dans un temps où l'affrontement avec le terrorisme ne craint pas cette référence et accentue encore son crédit nouveau. Enfin, cette perspective s'inscrit dans un courant où des réflexions nouvelles envisagent le retour à des valeurs conservatrices, dans un sens culturel et traditionnel dont l'Église catholique est porteuse et nullement dans le sens faussement droitier de courants libéraux prisonniers de leur option moderniste et économiste.
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