Les relations “spéciales” USA-UK à l’épreuve d’un traité

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Il y a un cas difficile entre Américains et Britanniques, – un parmi d’autres mais celui-là, précisément, particulièrement important, pesant et complexe à résoudre. Il s’agit de la ratification pendante du traité sur la libéralisation des transferts de technologies d’armement, conclu entre Bush et Blair (voir le 10 juillet 2010).

Colin Clark, dans DoDBuzz, avait déjà signalé l’agacement des Britanniques “qui perdent patience”, le 20 juillet 2010. Il donne d’autres précisions sur cette situation toujours bloquée, le 6 septembre 2010. Clark signale que le Premier ministre Cameron a rencontré le sénateur Kerry, qui préside la commission des relations extérieures du Sénat, lors de sa visite à Washington en juillet dernier. «We hear that Kerry pledged David Cameron in late July that he would do his very best to shepherd the treaty through the Senate before it left for the August recess. Of course, that didn’t happen, but we hear that other activities are under way.»

@PAYANT Le “Of course” de Colin Clark (“Bien entendu, rien n’est arrivé…”) est révélateur du climat qui accompagne la marche forcée et très longue de ce traité au Congrès. Lorsqu’il fut conclu, en juin 2007, comme un “dernier coup” entre les deux dirigeants anglo-saxons qui s’étaient si bien entendus (Blair quittait le 10 Downing Street le 30 juin 2007), certains, dans leur entourage, envisageaient qu’il serait ratifié par le Sénat US à la fin 2007. Il s’agissait bien entendu (“of course”) d’une prévision totalement utopique. Cela fait maintenant plus de trois ans que le traité est perdu dans les couloirs et les commissions du Sénat, malgré le soutien affiché des chefs des deux partis.

Deux forces s’opposent, d’une façon passive mais efficace, à sa ratification. D’une part, il existe certainement, de la part de certaines sénateurs, dans les deux partis, une opposition conceptuelle au traité, dans la mesure où ce texte implique une disposition structurelle permettant au Royaume-Uni d’être quitte de certaines procédures de contrôle US sur le transfert des technologies. (Il y a notamment un assouplissement considérable des exigences ITAR de contrôle des technologies une fois qu'elles sont exportées, – ces exigences étant pour l'instant complètement radicales.) Ces procédures sont draconiennes et répondent à une préoccupation presque paranoïaque de la bureaucratie de sécurité nationale pour la protection des technologies liées aux systèmes d’arme et à la défense nationale en général. Cette préoccupation est constante et reste fortement alimentée par le climat existant d’une manière structurelle, de protection de la sécurité nationale. Il s’agit d’une barrière qui est de type systémique, c’est-à-dire sans tenir compte de l’identité des récipiendaires des transferts. D’autre part, il y a tout l’appareil bureaucratique, d’une puissance formidable, existant aussi bien au Congrès qu’au Pentagone, pour freiner de façon draconienne cette sorte de procédure. Il s’agit là d’un aspect fondamental de la paralysie du pouvoir aux USA, qui s’exerce sur tous les domaines, et plus encore sur celui de la sécurité nationale dans les conditions exposées ici. (On voit que les deux facteurs se renforcent réciproquement.) Quand on a à l’esprit la façon dont le Congrès, même avec le parti du président majoritaire, a constitué un frein formidable à l’activité de l’administration durant ces deux dernières années, on imagine la force des pesanteurs qui s’opposent à la ratification. Qu’il s’agisse dans ce cas du Royaume-Uni ne change rien à l’affaire, dans la mesure où il est question d’un cadre d’action uniquement interne au fonctionnement du pouvoir US, ou à la paralysie du pouvoir US pourrait-on dire.

Par conséquent, on voit que ce traité n’est pas considéré d’un point de vue politique mais d’abord d’un point de vue bureaucratique. Or, il a une importance politique majeure. Il s’agissait d’une tentative ultime de Bush-Blair de pérenniser dans un texte important l’alliance complètement intégrée de sécurité nationale entre les USA et UK que les deux hommes avaient établie durant leurs six années de coopération. (Les mémoires de Blair ont confirmé l’importance de cet aspect de la politique USA-UK, dans l’atmosphère créée par 9/11, importance à laquelle Bush et Blair croyaient avec force.) Le projet n’était pas différent d’une véritable ambition d’intégration des forces et des ressources de sécurité nationale des deux pays, c’est-à-dire une sorte d’“annexion” de UK par les USA dans ce domaine. Aujourd’hui, la chose est entrée dans une phase cruciale.

Du côté britannique, une grande “revue stratégique”, avec de nouvelles orientations, va prochainement arriver à son terme. On peut douter qu’elle tienne compte d’une façon structurelle et pérenne du cadre que voulait établir ce traité, vu son sort incertain, et la quasi-certitude où l’on est que sa ratification ne sera pas sérieusement examinée avant les élections de novembre, – c’est-à-dire pas avant le nouveau Congrès de 2011, si même son sort est examiné. Il faudrait une énorme surprise, fort improbable on l'a vu, s’il en était autrement (s’il était ratifié avant novembre).

D’autre part et, sans doute, d’une manière irrésistible en fonction des contraintes chronologiques, il semble bien que les Britanniques aient changé leurs dispositions et leur position par rapport aux projets de Blair (Bush-Blair) jusqu’en 2007. Une complète intégration avec les USA ne les intéresse plus guère et ils veulent garder les mains libres pour d’autres coopérations, notamment avec la France. Les relations “spéciales” avec les USA ont subi de sérieux aménagements dans le sens où elles sont beaucoup moins “spéciales”. On pourrait avancer que, si même le traité était ratifié aujourd’hui par le Sénat, les Britanniques l’utiliseraient beaucoup moins qu’il n’était pas prévu par Blair, et qu’ils ne se sentiraient pas liés par lui. (Ce point est d’ailleurs un aspect subsidiaire qui fait que le parcours du traité au Sénat devrait être rendu encore plus difficile, puisque l’un de ses avantages du point de vue US tendrait à disparaître.)

A contrario, l’absence de ratification du traité, voire même les seules conditions de restriction où il est examiné ont un effet négatif sur certains attitudes conjoncturelles, portant sur certaines négociations en cours, du côté US. Il est certain que le très complexe et très important cas de la commande éventuelle de JSF par le Royaume-Uni est largement influencé par le sort et la signification nouvelle du traité. L’absence du traité, ou bien un traité considéré d’un point de vue minimal, compliquent d’une façon notable le parcours de l’éventuelle commande de JSF par les Britanniques. Dans ce cas, la question cruciale des transferts de technologie est en effet fortement compromise, et cela s’ajoute aux autres difficultés considérables qui accompagnent l’évolution du dossier. En un mot, à cause du traité, par le biais notamment du programme JSF, on se trouve dans une période décisive pour l’évolution de la coopération USA-UK pour les prochaines décennies. L’alternative s’impose de plus en plus dans des termes radicaux. Ou bien le projet Blair-Bush arrive à maturité, même d’une façon très diminuée mais en sauvegardant l’esprit, – et il faudrait beaucoup de nouveau, très vite, du côté du traité. Ou bien la nouvelle orientation des Britanniques telle qu’on en perçoit l’intention se concrétise, renforcée par l’hypothèse du sort malheureux ou paralysé du traité, et l’on se trouve dans une situation non seulement différente de l’“esprit” Bush-Blair, mais pas loin d’être antagoniste. On voit combien ce traité tient une place charnière, également d’un symbolisme très fort à côté de ses aspects pratiques importants, pour l’évolution des relations stratégiques USA-UK.


Mis en ligne le 9 septembre 2010 à 04H44

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