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892Les relations israélo-américanistes sont devenues un sujet officiel de préoccupation. Le problème est désormais dans les mains et dans les esprits des experts non moins “officiels”. Il s’agit du monde académique prétendument indépendant du complexe mais qui veille à commenter la situation du monde selon les intérêts du complexe. Les experts israéliens font en général partie de ce cercle, puisque l’establishment militaro-stratégique israélien peut être considéré, en un sens, comme une annexe du Pentagone. Le problème israélo-américaniste évoqué plus haut devient alors le problème des relations stratégiques entre Israël et les USA, qui sont elles aussi “en crise”.
Un récent billet du Monde, le 22 juillet 2009, rapporte les inquiétudes d’experts israéliens, ceux du “principal institut d’analyse stratégique israélien”, l'Institut d'études sur la sécurité nationale (INSS) liée à l'université de Tel-Aviv. «Pour eux, Israël et les Etats Unis s'acheminent vers “une collision” en raison de l'impasse où se trouve le processus de paix avec les Palestiniens et la Syrie».
Suivent diverses considérations et observations d’experts respectables de l’INSS, portant sur les divers aspects de la “crise” en question. La préoccupation est grande. Un rapport de l’INSS sur la question la synthétise. «“La perspective d'une collision avec Washington est très préoccupante, les responsables du département d'Etat en sont déjà à évoquer de possibles sanctions économiques”, a affirmé à l'AFP l'un des auteurs du rapport, le général de réserve Shlomo Brom.»
Concernant les “relations stratégiques”, qui constituent le corpus essentiel des relations Israël-USA puisqu’elles portent sur la coopération et la coordination en matière de politique de sécurité, le constat est qu’elles se trouvent au point mort, avec une précision qui nous intéresse particulièrement.
«Tout en estimant que les “divergences avec Washington ne mettaient pas en question l'engagement fondamental des Etats-Unis pour assurer la sécurité d'Israël”, Shlomo Brom a relevé leur impact négatif sur la coopération stratégique entre les deux pays. Selon lui, ces tensions pourraient avoir pour conséquence un refus américain d'accéder à la demande d'Israël d'installer des systèmes d'avionique israéliens sur des avions F-35 qu'Israël veut acquérir aux Etats Unis.
»“Le dialogue stratégique entre les deux pays est au point mort”, dans la mesure où ce dialogue se déroule entre le président américain Barack Obama et M. Netanyahu, a poursuivi ce chercheur.»
C’est, à notre connaissance, la première fois que le différend Israël-USA sur le JSF (F-35), qui est largement documenté par ailleurs, est haussé à ce niveau d’une conséquence directe de la crise des relations stratégiques entre les deux pays. On peut dire qu’il s’agit d’une interprétation, puisque le différend a précédé la crise politique qui ne date que de l’arrivée au pouvoir d’Obama. Mais l’interprétation est convaincante, jusqu’à transformer effectivement une querelle au départ technique en une crise stratégique.
Actuellement, les discussions Israël-USA sur le JSF sont présentées comme évoluant vers leur résolution parce qu’Israël a accepté de présenter aux USA une requête pour une commande de 25 exemplaires du F-35, sans doute (pas de précision à ce propos) dans les conditions imposées par les USA (pas d’électronique israélienne à bord du F-35, contrôle exclusivement US de la gestion de l’électronique de l’avion). Mais cette évolution pourrait aussi bien être, à notre sens, une confirmation de la crise plutôt que le contraire; les USA voulaient qu’Israël commande 75 à 100 JSF (pour $15-$20 milliards, et avec toutes les restrictions) et Israël n’envisage pour l’instant qu’une commande de 25 avec la promesse d’une commande supplémentaire de 50-75. Selon les normes et usages des relations entre les deux pays et en fonction du climat qu’on décrit, cela va plutôt dans le sens d’une confirmation de la crise.
… Cela y va d’autant plus qu’il y a donc ces déclarations de Brom, de l’INSS, un ancien général de la force aérienne israélienne qui reste un des relais du point de vue officiel israélien. Son interprétation de l’affaire du F-35 comme un signe de la crise stratégique plus que comme une querelle technique est l’indication de l’aggravation du cas, et, surtout, de l’apparition d’une politique et d’une stratégie exprimées en tant que telles dans la gestion du programme par les USA. Jusqu’alors, l’appréciation du JSF comme un programme de domination politique et stratégique des USA était une hypothèse, certes largement cohérente et substantivée par la simple expérience et une réflexion normale. Désormais, l’appréciation passe au niveau de l'interprétation quasi-officielle. L’observation de Brom fait du F-35/JSF un instrument officiel de la politique et de la stratégie extérieure du Pentagone. Elle ouvre, pour ce programme colossal, la voie de l’interprétation politique officielle et transporte effectivement son développement, pour le domaine de la coopération avec les pays non-US qui sont acheteurs potentiels, dans le champ politique et stratégique; et, selon l’appréciation de Brom à nouveau mais aussi à la lumière de nombreux cas pendants caractérisés par des polémiques potentielles, nous parlerions plutôt du déplacement du développement du JSF “dans le champ de l’affrontement politique et stratégique”.
Il est désormais nécessaire de s’attendre à voir fleurir, dans cette affaire du JSF, divers cas d’affrontements. Ils seront renforcées, comme avec l’évolution de l’interprétation du cas israélien, par le fait que les querelles qui surgiront seront soutenues par leur aspect technique, d’une bureaucratie US absolument intransigeante sur différents aspects du programme (notamment la maîtrise de ses technologies). Le programme JSF va désormais interférer directement dans les relations politiques et stratégiques des USA avec différents pays “amis” et “alliés”, puisque chaque refus ou chaque hésitation d’un pays “ami” ou “allié” à commander le JSF aux conditions US sera interprété comme une marque d’hostilité et traitée comme telle. Nous avons aujourd’hui le cas israélien, nous pourrions demain avoir le cas britannique, en attendant d’autres. Le JSF a été conçu, notamment à partir de l’attaque du 11 septembre 2001 et de l’affirmation hégémonique US qui a suivi, comme la confirmation stratégique et au niveau de l’armement de cette hégémonie à laquelle tout le monde était destiné à se soumettre. Mais cette hégémonie est aujourd’hui gravement contestée. Le JSF pourrait alors, d’outil de l’allégeance qu’il était, devenir un des outils les plus marquants de la discorde.
Mis en ligne le 24 juillet 2009 à 09H44
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