Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
441
8 mai 2007 — Pour avoir une mesure inhabituelle des réactions extérieures à l’élection de Sarkozy, une consultation des réactions russes est intéressante. On y trouve un réel pragmatisme de l’appréciation, ce qui rapprocherait le plus de ce qu’on qualifierait d’une vision “objective”. La vision russe est à la fois dégagée de toute fièvre idéologique comme on trouve chez les Anglo-Saxons et dans certains pays européens ; à la fois intéressée, à cause de l’importance pour la Russie des rapports avec la France ; à la fois très mesurée dans la forme et dans l’esprit, selon les habitudes de commentaire des Russes, avec un côté volontairement dépouillé, presque terne, qui permet d’échapper aux pressions et à la vision très passionnée de cette élection.
Ci-dessous, nous citons quelques extraits de quelques réactions recueillies par l’agence de presse Novosti, qui nous paraissent illustrer la vision russe de l’élection française, bien entendu avec une référence évidente à la politique et aux intérêts nationaux russes.
• Le président de la Douma, Boris Gryzlov, estime que l’élection n’apportera pas de changement dans les relations de la France avec la Russie, et surtout aucune dégradation. C’est là la vision quasiment officielle de la Russie : «Le haut niveau des relations (russo-françaises) est confirmé aussi bien sur le plan bilatéral qu'à travers la collaboration au sein de nombreuses organisations internationales.»
• Le premier vice-président de la Douma Oleg Morozov (du parti Russie Unie, comme Gryzlov) a une vision plus marquée lorsqu’il estime qu’avec ce nouveau président, «la politique étrangère de la France sera plus pro-américaine et moins indépendante». Il nuance aussitôt cette appréciation de cette façon : «Au cours d'un entretien avec des journalistes, Oleg Morozov a également souligné qu'il ne prévoyait pas de détérioration des relations russo-françaises, en raison notamment de l'extrême pragmatisme de Nicolas Sarkozy qui, selon M.Morozov, devrait s'efforcer de raisonnablement équilibrer la balance.»
• Autre vice-président de la Douma, autre avis, celui de Vladimir Jirinovski, leader du Parti libéral démocrate russe (LDPR). Il voit «une politique équilibrée, sans accorder de priorités évidentes en direction des Etats-Unis ni de l'Union européenne.» Précision de Jirinovski, qui démarque nettement Sarkozy de Royal : « … les rapports russo-français ne seront pas marqués par des changements brusques, ce qui aurait bien eu lieu en cas de victoire de Ségolène Royal. “Je suis sûr que ce sera une politique purement française: aucun déséquilibre sérieux en direction de l'Union européenne, des Etats-Unis ou de la Russie (...). Nous verrons encore si des nuances viennent marquer la politique extérieure et intérieure de la France au cours de l'année à venir. Je pense que tout restera à peu près comme du temps de Chirac.”»
• Enfin, un commentaire d’un journaliste de l’agence Novosti, Vladimir Simonov. Ce commentaire nous semble exprimer en détails la perception russe de l’élection.
«En Russie, les bulletins d'information diffusant dimanche des reportages depuis Paris ont été marqués par une audience record. Pour Moscou, la réélection de Jacques Chirac pour un troisième mandat consécutif aurait été une issue idéale pour la campagne présidentielle en France. Mais puisque c'est impossible, les milieux politiques russes ne cachent pas leur jubilation face à la victoire de Nicolas Sarkozy.
»En effet, l'expérience historique nous apprend ceci: l'URSS, puis la Russie a traditionnellement moins de mal à trouver un terrain d'entente avec la droite et les conservateurs qu'avec la gauche et les démocrates. Historiquement, les socialistes français se méfient de Moscou. (…)
»Fille fidèle de son parti, Ségolène Royal a plus d'une fois accusé les autorités russes de tous les péchés. D'où cette conclusion faite par beaucoup de responsables politiques russes: si la candidate socialiste remporte l'élection présidentielle, une voix critique de plus s'élèvera dans le monde pour dénoncer la situation des droits de l'homme en Russie.
»Nicolas Sarkozy a lui aussi émis quelques critiques. Mais, dans tous les cas de figure, la victoire du leader de l'Union pour un mouvement populaire est, aux yeux de Moscou, une réalité plus compréhensible et prévisible, une réalité qui s'inscrit dans la série des changements qui sont intervenus ces derniers temps dans le milieu des amis étrangers de Vladimir Poutine: Angela Merkel a succédé à Gerhard Schröder, et Romano Prodi à Silvio Berlusconi.
»Pour Moscou, ces changements n'ont pas tourné en catastrophe: la coopération avec l'Allemagne et l'Italie se poursuit, peut-être même de manière plus dynamique que par le passé. Parfois, le pragmatisme s'avère plus utile que les accolades.»
Les Russes ont-ils raison? Ils nous présentent l’image d’un président conservateur, prudent, pragmatique, qui assumera l’essentiel des engagements français. Après avoir souligné l’aspect volontairement retenu et largement bienveillant des commentaires russes, on doit ajouter qu’ils ne sont pas de pure forme. Lorsque les Russes veulent exprimer droitement une critique sans fard, ils le font sans hésiter (Poutine à Munich, le 10 février, avec son discours anti-US qui n’a pas d’équivalent à notre époque en fait de force critique).
Il semble donc bien que les Russes pensent nettement que Sarkozy n’apportera pas de changement notable dans la politique extérieure française, — le «Je pense que tout restera à peu près comme du temps de Chirac» de Jirinovski. Cela nous paraît un jugement acceptable et raisonnable, tant les politiques sont aujourd’hui dictées par les structures existantes (ou inexistantes). L’indépendance structurelle extrêmement forte de la France, tant dans l’esprit que dans les moyens, dicte la politique française.
Ce que les Russes ne peuvent apprécier, — comme nous-mêmes et comme tout le monde, — c’est le rythme et les circonstances de cette politique. Sarkozy se présente comme un homme d’action, ce qu’il est d’ailleurs ; par conséquent, il doit agir. Son élection s’est faite dans cette fièvre et cette passion qui nécessitent des actes une fois l’événement accompli. D’autre part, l’“image” qu’il a donnée de lui, qu’il a cultivée lui-même et qu’on a cultivée à son propos, le montre comme un homme de rupture. Certains, surtout dans les milieux anglo-saxons, estiment au contraire des Russes qu’il va apporter un changement fondamental (pro-libéral, pro-US) dans la politique française. Tous ses actes, surtout les premiers de sa présidence, vont être accompagnés d’interprétations radicales, d’exigences très fortes, dans des sens très différents, sans aucun doute fortement antagonistes.
C’est évidemment à ce niveau de l’effet, de l’éclat et des conséquences d’interprétation, que les choses vont s’affirmer fortement. En retour, on pourrait assister à des affirmations politiques qui n’ont rien de révolutionnaires parce qu’elles vont de soi et qu’elles sont en général non-dites mais qui seront perçues comme révolutionnaire dans le cadre où elles seront faites et parce qu’elles seront dites. Dans l’hypothèse assez probable où Jirinovski a raison («Je pense que tout restera à peu près comme du temps de Chirac»), l’éclat et l’importance seraient dans les circonstances où la réaffirmation de cette politique classique et même banale (pour la France) aurait lieu. A partir de là pourraient naître des circonstances et des événements inattendus.
Sarkozy est un personnage explosif. Nous ne parlons pas de sa substance, à propos de laquelle nous avons déjà émis de nombreux doutes et qui reste à explorer ; nous parlons du personnage politique fabriqué pour la circonstance que nous observons, selon les canons de l’époque, qui sont médiatiques et virtualistes. Par conséquent, dans certaines circonstances le nouveau président français provoquera des explosions, qu’il le veuille ou non. S’il était plus habile que simplement ambitieux comme il le paraît à beaucoup, ce pourrait même être une méthode de gouvernement. (Depuis Roosevelt et la Grande Dépression, les Américains en ont fait effectivement une méthode presque inconsciente en dénonçant ou en inventant des “Ennemis” mobilisateurs : c’est le gouvernement paroxystique. D’une certaine façon, de Gaulle utilisait cette méthode essentiellement dialectique en variant beaucoup plus que les Américains l’argument selon les circonstances. Mais il le faisait certainement en toute conscience, parfois avec machiavélisme, — ce qui, en l’occurrence, n’est certainement pas un défaut mais une habileté tactique.)
Forum — Charger les commentaires