Les “sécurités” du Système

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La criminalité et l'insécurité sont des facteurs en augmentation très rapides aux USA. Cela n'est pas spécifique aux USA mais les USA présentent le tableau le plus spécifique de l'action du Système sur cet aspect de notre vie quotidienne et de la situation en général.

Sur CounterPunch, ce 26 décembre 2010, Linh Dinh nous donne un aperçu très intéressant de deux facteurs principaux de cette évolution. (Linh Dinh est écrivain et poète, – son dernier roman, Love Like Hate.)

• D’une part, il y a les conditions de la crise économique aux USA, qui conduisent à des coupes sombres dans les dépenses publiques. Les effets sont extrêmement préoccupants, d’abord pour ce qui concerne les effectifs des forces de sécurité.

«As we police the world and become more of a police state each day, basic police functions are being neglected here at home. In Detroit, seven out of ten murders are unsolved. In Oakland, the police will no longer respond to a host of crimes, including burglary, theft, embezzlement and extortion. The problem is mostly manpower. Atlantic City has axed 60 cops this year, on top of 13 who retired without being replaced. Last year, Camden was rated as the second most dangerous city in America. Two years ago, the most deadly. Faced with this, Camden is about to lay off half of its cops. Flint, MI, has also fired nearly half of its police. Its murder rate is at record high. In Illinois, more than 300 policemen have been let go in 2010.

»With unemployment getting higher and higher, there will be less tax revenues, meaning more cops will be laid off even as crime rises. In Newark, 167 cops have been let go. With more murders and carjackings, the National Guard has been proposed as a solution, yes, the same National Guard that occupied Newark’s streets with tanks during the 1967 riot, where 26 people were killed and 725 injured.

• L’autre aspect, d’autre part, est celui du rôle que jouent l’armée et ses exigences de recrutement. Le phénomène d’incorporation de membres de gangs de jeunes dans l’armée est réellement important, avec les conséquences qu’on imagine lorsque ces engagés arrivent au terme de leur temps.

«In this gun and tofu economy, returning vets can also join gangs, or rejoin the ones they were already in. According to a 2007 report, “Gang-Related Activity in the US Armed Forces Increasing,” nearly all the major American street gangs are represented in our military. Gang members enlist to learn urban warfare tactics, steal weapons, sell drugs or recruit new members. After years of fighting two major wars, it’s hard to make recruiting quotas, I’m sure. Judges have also offered convicted gang members the option of joining the military instead of going to jail… […]

»Everywhere you look, there are smoking guns. Whether in Kandahar, Fallujah or Salinas, California, all these well-trained, well-armed men shooting at each other from all directions are a ka-ching nirvana for our military industrial complex. The more mass murders, the happier the CEOs and investors. As for collateral damages, well, better luck next life, dudes! If we don’t starve the Pentagon, carnage will be our last growth industry.»

Notre commentaire

@PAYANT Linh Dinh est un écrivain et un poète, un artiste, donc une sensibilité intéressante pour percevoir les choses courantes qui forment les situation fondamentales. Les remarques qu’il fait dans ce court article viennent de voyages qu’il vient d’effectuer au travers des USA pour réunir de la documentation pour un futur ouvrage. Il s’agit donc d’un travail d’artiste qui se fait également sociologue, et observe la situation sociale des USA d’un œil dégagé des entraves des certitudes statistiques. L’intérêt de son travail est de mettre en évidence les deux facteurs “sociaux”, – mais que nous qualifierions plutôt de “systémiques”, – qui sont à la base de la détérioration de la situation publique aux USA. Comme on l’a dit, la criminalité et l'insécurité sont en cause essentiellement, mais il s’agit, plus profondément, de fragmentation et de dissolution d’une société, ou de ce qui prétendait être une société ; donc, en réalité, la poursuite accélérée de la fragmentation et de la dissolution qu’on signale.

Les deux causes principales telles qu’elles nous sont présentées par Linh Dinh sont l’économie de crise et la militarisation extérieure. Par “économie de crise”, nous n’entendons pas “économie en crise” mais économie qui engendre nécessairement la crise sociale, l’alimente, est alimentée par elle, l’alimente à son tour, etc. Certes, il s’agit de l’inégalité foncière de cette économie hyper-capitaliste mais, plus encore, c’est-à-dire de façon bien plus fondamentale, il s’agit d’une économie absolument individualiste, qui rejette toute notion de “bien public” et encourage de ce fait comme une vertu la fragmentation sociale. C’est la caractéristique des USA dès leur origine et dans leur fondement. L’économie, comme le reste du pays, n’a jamais été conçue comme le produit d’une collectivité rassemblée par l’histoire et par un destin commun, mais comme un moyen de poursuivre et de verrouiller des situations de puissance et de fortune existantes déjà au niveau individuel, ou bien au niveau des groupes d'intérêts privées et autres organisations et réseaux, et d’en faire naître d’autres, toujours aux mêmes niveaux mentionnés (individuel, groupements, etc.). L’idée de “bien public”, avec intervention éventuelle d’une puissance publique en faveur de défavorisés ou de victimes de circonstances, est fondamentalement absente. L’inégalité, dans ces conditions, va de soi, mais comme une conséquence et non comme une cause. La situation actuelle atteignant l’extrême de “l’économie de crise”, les dépenses publiques, ou plutôt les rares “dépenses de bien public” inévitables qui subsistent (sécurité, police, pompiers, etc.), sont touchées de plein fouet. Du coup, dans cette société absolument déstructurée et atomisée, et en cours de dissolution, l’augmentation de la criminalité s’ensuit comme un rapport direct de cause à effet.

L’originalité de la situation est l’intervention de la militarisation du Système, avec les guerres extérieures, qui sont plongées dans la corruption, le gaspillage, l’indiscipline derrière des apparences formelles (voir notre F&C du 28 octobre 2010). Cette “militarisation” pouvait être perçue au départ d’un bon œil par les partisans du Système et de l’américanisme. C’était une sorte de moyen de promotion pour les pauvres, les immigrés récents, etc., selon le prestige entretenu autour de l’armée, quant à ses vertus formatrices, de promotion, etc. (et patriotiques, bien entendu, c’est-à-dire de fidélisation au Système). Mais la réalité militaire, on l’a vu, équivaut à celle de la société civile, en pire encore : parcellisation, individualisme, corruption, énormes budgets sans contrôle réel, repli sur les intérêts de groupes, construction systématique d’une fausse réalité (virtualisme). Du coup, l’armée devient une sorte d’école de formation ou de perfectionnement pour les gangs des jeunes dans les villes US, et contribue d’une façon non négligeable et éminemment originale à l’effondrement progressif du système par désintégration des quelques structures sociales (de sécurité) encore existantes.

En effet, dans ce schéma, ce sont bien les seules structures sociales nécessaires au Système qui sont menacées, puisqu’il s’agit de la sécurité, donc du contrôle des populations. On pourrait ajouter, par exemple, que les prisons, qui sont comme on le sait très nombreuses et très peuplées (les USA ont le record du monde absolu dans ce domaine, est-il besoin de le répéter…), débauchent actuellement du côté de leur population carcérale puisque, là aussi, l’argent public manque. Ce sont autant d’adversaires du Système qui sont ainsi remis en liberté plus ou moins conditionnelle (tous ne sont pas criminels, la justice US ne s’embarrassant pas de cette sorte de détails, mais tous deviennent des ennemis du Système). On voit que c’est donc tout l’appareil de la sécurité qui est touché ; sécurité dite “nationale” ou dite “civile”, mais sécurité d’abord pour contrôler les populations et les contenir, protéger les puissances d’argent, etc., – bref, pour assurer la sécurité du Système et ses conceptions les plus fondamentales.

Tout cela est en train d’être miné comme par des termites, mais des termites extrêmement rapides. Comme on le remarque une fois encore, la plus grande puissance contre le Système, c’est la puissance du Système elle-même.


Mis en ligne le 28 décembre 2010 à 08H12