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80225 novembre 2011 – Les partisans de Ron Paul ont fait grand cas, avec enthousiasme, de l’édition du 23 novembre 2011 du Drudge Report, le site de Matt Drudge, fameux chroniqueur d’un radio talk show connu pour son goût du sensationnel et ses excès divers. (A première vue, cet enthousiasme est un peu énigmatique. Si Drudge est un extrémiste proche des républicains, plutôt sur leur droite, adversaire d’Obama et partisan théorique d’une réduction des dépenses publiques, il est surtout d’une tendance très agressive, comme une sorte d’extrémiste néoconservateur, pour ce qui concerne les matières de politique extérieure, de terrorisme, de guerres extérieures, – à ce point, complète antithèse de Paul.)
Ce qui a remué les partisans de Paul, c’est que, ce 23 novembre, Drudge a mis en exergue un article du Christian Science Monitor (CSM) du 18 novembre 2011 expliquant que Ron Paul ne pouvait plus être tenu comme un candidat négligeable, c’est-à-dire un non-candidat, et qu’au contraire il pouvait très bien l’emporter à la primaire de l’Iowa qui constitue un test fondamental pour les candidats à la désignation de leur parti. (Un sondage effectué dans l’Iowa juste avant le débat entre les candidats républicains du 21 novembre place Ron Paul en première position pour cette “primaire” du 3 janvier 2012 avec 25% des voix.) Comme on voit, c’est moins la tendance politique de Drudge qui est appréciée que son “flair” en matière de communication pour débusquer les sujets qui vont devenir importants… Ici, l’“ascension“ de Ron Paul en l’occurrence.
Un des lecteurs commentateurs de l’annonce faite sur le site Dailypaul.com (les nouvelles quotidiennes de la campagne de Paul), le 23 novembre 2011, commentait :
«Matt Drudge knows how to spot a trend – and how to help create a buzz. Here are my thoughts on him leading The Drudge Report with a 2-day old story on Ron Paul when he had tens of thousands of other post-debate stories to choose from. Bottom line: Drudge can tell which way the wind is blowing. […]
»So it’s noteworthy that following Tuesday debate in Washington, the top story on the internationally famous Drudge Report was a well-written Christian Science Monitor analysis of Ron Paul’s chances in the Jan. 3 Iowa Caucuses and beyond. What is especially interesting is that even though Drudge had post-debate stories from the entire Web to choose from, he chose a two-day old piece that focuses on how it is “too soon” to write Paul off…»
Tout cela ne concerne pas simplement l’agitation d’un microcosme rassemblé autour de Ron Paul, mais plutôt l’extension d’une tendance, qui se signale par divers signes (l’article du CSM, quotidien d’audience nationale, en est un, bien sûr), et qui contribue, et contribuera de plus en plus à faire de la candidature de Ron Paul le point central du caractère éventuellement explosif, mais certainement dissolvant, de la campagne présidentielle de 2012. D’autres articles apparaissent, notamment pour fustiger l’attitude de certains journalistes vis-à-vis de Ron Paul, comme celui-ci, de l’influent Glenn Greenwald
De puissants éléments (relativement) “annexes” contribuent à renforcer cette tendance, comme les révélations autour du rôle de la Federal Reserve. Ce qui importe ici, c’est moins le contenu de ces révélations, leur signification, leur rôle dans la crise financière, ce que cela nous “apprend” (ou “confirme”, plutôt) du rôle de la Federal Reserve, que l’exploit accompli par le député Ron Paul. C’est bien cela et rien d’autre qui devrait nous arrêter.
En coordination avec le sénateur Sanders, indépendant de tendance “socialiste” du Vermont, et le représentant Barney Frank, démocrate de gauche à la Chambre, Ron Paul a pris en main l’attaque contre la Federal Reserve, à partir d’une position marginale, sans aucune aide quelconque, contre la tendance générale au Congrès. Il a réussi à prendre en main une commission spécialement mise en place (avec le soutien de Frank, président de la commission des finances de la Chambre jusqu’en janvier 2011) pour attaquer la Fed. Qu’il ait obtenu ce qu’il a obtenu mesure ses capacités formidables, tant de conviction que de manœuvrier, que de spécialiste autant des questions financières que des pratiques et procédures institutionnelles.
Pour autant, il existe une réelle déconnexion entre les succès de Ron Paul tels qu’on les observe et la campagne électorale de Ron Paul, dans tous les cas au niveau de la dialectique. Le cas de la Federal Reserve est exemplaire ; si Ron Paul dénonce le monopole de la Fed et évoque ses intentions radicales à l’encontre de la même Fed, il s’abstient en général d’entrer dans les détails explosifs qu’on connaît désormais. D’une façon plus générale, pour sa campagne prise comme un tout, Ron Paul se contente de poursuivre l’énoncé de ses grands principes, appuyé sur une base populaire qui ne cesse de s’élargir, y compris vers des segments politiques tels que le mouvement Occupy sans pourtant tenter de s’en approprier quelque contrôle que ce soit. Tout se passe comme si Ron Paul procédait à la fois avec une extrême prudence et une mesure très précise de ce qu’il peut dire et de ce qu’il ne veut pas dire, c’est-à-dire, en vérité, selon une technique dialectique exactement inverse à celle d’un candidat marginal ou d’un candidat classé dans l’extrême ou l’autre d’une marge du Système. (En général, un tel candidat a naturellement tendance à utiliser une dialectique maximaliste, pour attirer à lui l’attention que son statut marginal ne lui permet pas d’avoir.)
Il y a donc certains silences de Ron Paul qui constitue une sorte de mystère Ron Paul. Tout se passe comme si Ron Paul disposait d’une conviction et d’une certitude de disposer d’un réel potentiel d’affirmation, électoral ou autre, mais qu’il ne voulait pas en faire état d’une façon trop voyante, notamment grâce à sa dialectique et à ses arguments, pour éviter telle ou telle réaction de l’establishment.
…D’un autre côté, l’hypothèse de cette réaction pourrait n’être pas spécifique à lui-même (à sa candidature) mais concerner la situation aux USA en général. On en a déjà eu l’écho lors d’une déclaration de Ron Paul, que nous avions rapportée le 22 août 2011 :
«Ron Paul has recently said that H.R. 645 (The National Emergency Centers Establishment Act) could lead to Americans being incarcerated in detention camps during a time of martial law, Infowars reported on August 20. “Yeah, that's their goal, they're setting up the stage for violence in this country, no doubt about it,” responded Paul. […] Congressman Paul has warned about preparations for martial law before, telling the Alex Jones Show, “They're putting their back up against the wall and saying, if need be we're going to have martial law”.»
La question qui se pose alors, à la lumière de ces inquiétudes, concerne le projet spécifique de Ron Paul. On répondra logiquement (sans tenir compte du réalisme ou non de ces propositions et en admettant que la situation est aujourd’hui assez fluide pour qu’une idée totalement irréaliste aujourd’hui devienne simplement réaliste demain) : il s’agit de la nomination comme candidat républicain, voire de l’élection comme 45ème président des Etats-Unis… Peut-être y a-t-il d’autres hypothèses.
Portons notre attention dans une autre direction. Il s’agit du site Liberty Bell, site britannique d’orientation libertarienne, soutien inconditionnel de Ron Paul (mais sans lien institutionnel avec lui, à notre connaissance), adversaire acharné de la Federal Reserve et de l’oligarchie de l’“anglosphère” tout en étant d’orientation ultra libre-échangiste et anti-interventionniste. Nous dirions qu’il est assez rare que Liberty Bell prenne position sur un grave problème US, un grave problème structurel aux USA, sans être plus ou moins en phase avec Ron Paul (répétons-le pour notre compte, – sans qu’il y ait pour cela consultation avec Ron Paul, en aucune façon).
Un texte très récent de Liberty Bell doit arrêter notre attention. Il est d’un des plus éminents collaborateurs US du site, Ron Holland, libertarien notoire qui publie également activement sur le site libertarien US LewRockwell. Ce texte, du 24 novembre 2011, donne comme titre : «State Sovereignty: America's Final Solution to Tyranny» ; on comprend qu’il s’agit de la souveraineté des Etats de l’Union et de la tyrannie du gouvernement fédéral. Ron Holland écrit :
«At the end of this article is a copy of the proposed state sovereignty amendment that Ron and Donnie Kennedy are promoting as the final solution to federal abuse. They believe that anything less will only continue the course of federal supremacy and the ultimate destruction of real American liberty. I sadly agree with them.
»Just following Congress, the 2012 presidential campaign and the inability of citizens to influence government policy makes it clear to every American how broken the US political system has become. A few powerful interests run the entire show and the American people are being forced down a dark road to economic destruction. History shows us that Washington is immune to conventional national political action under the present system. What can freedom loving Americans do?»
Holland examine les diverses possibilités de lutte contre ce que nous nommerions, nous, “la tyrannie du système de l’américanisme”, ou, plus vite dit, “la tyrannie du Système”, et il conclut à autant d’impasses. Il en vient donc effectivement à la proposition la plus radicale : «There is only one effective, democratic and peaceful tool left to Americans to defend their liberties and restore the original republic of our founding fathers. It is the right of state sovereignty and nullification, so effectively explained by Tom Woods in his book Nullification: How To Resist Federal Tyranny in the 21st Century.»… Le terme de “nullification” est un terme constitutionnel US qui reconnaît à un Etat de l’Union le droit de repousser une loi fédérale, une contrainte fédérale, etc., parce qu’il la juge inconstitutionnelle, c’est-à-dire en bref une disposition qui reconnaît la souveraineté d’un Etat de l’Union comme principe prépondérant par définition. (Bien entendu, c’est une disposition extrêmement polémique, dont l’une des conséquences a été d’entretenir des querelles conduisant à la Guerre de Sécession.)
Holland renvoie à Tom Woods, auteur de Nullification: How To Resist Federal Tyranny in the 21st Century (publié en janvier 2011), à son site, à sa théorie de l’application actuelle de la “nullification”, et, au-delà, à un appel pour soutenir Ron Paul dans l’Iowa et dans le New Hampshire, qui sont les deux premières élections primaires importantes. (Le moyen en question est dénommé “SuperVoter Bomb”, et représente une intervention pressante par les réseaux sociaux auprès de républicains recensés dans ces deux Etats.)
Arrêtons-nous là dans les détails et les dédales des interventions et des techniques diverses que peuvent imaginer les uns et les autres, pour nous tourner et aller dans une direction qui est de constater que toutes ces observations conduisent à décompter, dans le chef de ces divers groupes, réseaux, etc., deux objectifs parallèles : d’une part, soutenir Ron Paul contre l’establishment, par tous les moyens possibles ; d’autre par, faire avancer, également par tous les moyens possibles, l’idée de la “nullification”, c’est-à-dire l’idée de la souveraineté des Etats, – laquelle comprend, dans les textes et chartes diverses mentionnées, simplement le droit de faire sécession des USA, avec comme conséquence éventuelle et implicite ultime la dislocation et la dissolution de la puissance fédérale. La question qui se pose alors est de savoir si ces deux objectifs n’en forment pas qu’un seul, et si le principal intéressé n’est pas lui-même au courant de la chose. Cela ne serait pas impossible, simplement par logique négative et réactive, par exemple avec cette simple question : peut-on imaginer qu’il soit possible qu’un président, – n’importe lequel, y compris le “président Ron Paul”, – soit aujourd’hui capable de dompter le Système jusqu’à l’obliger, par exemple, à abandonner l’essentiel de son réseau de près d’un millier de bases à l’étranger, de se retirer d’Afghanistan, de cesser les multiples interventions armées illégales qu’il effectue dans plus d’une centaine de pays, etc. ? (Encore ne s’agit-il qu’un des multiples domaines de l’intervention nécessaire de cet hypothétique président pour reprendre le contrôle du Système.)
Dans ce cas, on en viendrait aisément à imaginer que la candidature Ron Paul, effectivement envisagée comme telle par Ron Paul lui-même, a d’abord comme objectif de réaliser un rassemblement populaire important, sinon massif ; éventuellement d’obtenir une investiture et, au-delà, une élection ou pas, tout cela, avec la possibilité à chaque étape du processus ou la possibilité jusqu’à la finalité du processus, d’avoir assez de légitimité pour tenter de proclamer la “nullification” et l’illégitimité de l’administration fédérale, – dito, du Système…
Voilà une hypothèse d’un complot, dirait-on, – mais nous n’en approuverions pourtant pas la terminologie. La chose (la candidature de Ron Paul, moteur de la séquence) est à ciel ouvert, ce qui est contraire à tous les complots. L’opération elle-même évolue quasiment de génération spontanée et selon des buts ouvertement affirmés ; plus la campagne électorale avance, plus tous les candidats s’avèrent d’une si repoussante médiocrité qu’il semble de plus en plus concevable qu’aucun d’entre eux puisse stopper Ron Paul si celui-ci effectuait une percée dès les premières primaires, comme on commence déjà à l’annoncer pour l’Iowa… Or, l’on comprend alors combien, à la fois, il deviendrait possible que Ron Paul soit un candidat parfaitement éligible, et combien, s’il était élu, il lui serait absolument impossible d’appliquer son programme. Tout cela, Ron Paul ne peut l’ignorer, tout comme il ne peut ignorer qu’on ne peut apprivoiser ou diriger le Système pour le changer car, finalement, pour le changer il faut le vaincre et, pour le vaincre, il n’y a d’autre possibilité que de le briser. Ainsi, le soi-disant complot n’en est-il pas un, mais simplement une dynamique inéluctable, s’apparentant à la dynamique d’autodestruction du Système. En fait de complot(s), c’est plutôt dans le sens inverse qu’il faudrait le ou les chercher, – ou comment, pour Ron Paul, éviter les complots contre lui… D’où ses divers silences, ou ce qu’on peut considérer comme tels, comme autant de mesures tactiques pour l’avancement de sa campagne ?
Aujourd’hui comme hier, et aujourd’hui plus que jamais, tout se joue avec le sort des USA. Le système de l’américanisme tient le cœur du Système, son destin est nécessairement celui du Système. La fin du système de l’américanisme, si elle avait lieu, ne signifierait pas une “nouvelle phase”, une “nouvelle époque”, une “nouvelle période géopolitique” mais bien la fin du Système tel qu’il est et la fin d’un cycle. Rien n’est plus important… Cela mérite un peu d’attention portée au parcours du vieux député du Texas, éventuel instrument du destin, – et plus intéressant comme tel qu’éventuel futur président des USA.
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