Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1316Depuis le 18 mars, on a beaucoup parlé d’une version du F-15 Eagle que propose Boeing: le F-15SE, avec Silent Eagle pour SE. Boeing a présenté une maquette grandeur nature du F-15 avec des modifications intégrant un pourcentage important de technologies furtives et de modifications améliorant la furtivité de l’avion (réduisant sa signature-radar).
(Le F-15 est un vieux et vénérable avion combat, conçu et produit par McDonnell Douglas jusqu’à l’absorption de McDD par Boeing en 1996. Son développement a commencé en 1969, dans le cadre du programme FX qui intégrait les enseignements opérationnels du Vietnam, et le premier déploiement opérationnel du F-15 en unité constituée a eu lien en 1976. C’était un temps où il fallait moins d’un quart de siècle pour envisager de parvenir à un avion de combat opérationnel.)
Le 23 mars 2009, le site suisse du quotidien 24 heures, présente sur son blog consacré aux nouvelles aéronautiques, et avec un enthousiasme louable, la proposition de Boeing pour cette nouvelle version du F-15. Nous citons une partie du commentaire, qui nous paraît bienvenue dans la mesure où elle présente avec optimisme certaines possibilités d’intervention du F-15SE pour l’USAF elle-même, alors que toute la présentation du F-15SE, tant du constructeur que des commentateurs US, ne concerne que l’exportation.
«Le F-15 Eagle silencieux est conçu pour répondre aux besoins anticipés de la crise à des fins de coût-efficacité concernant des technologies de furtivité. Cette ultime version du F-15 permet avec un coût abordable de répondre aux futurs besoins de survie d’un avion de combat. […]
»Rien qu’aux Etats-Unis, le report d’achat des F-22, soit (350 appareils) devrait donc permettre la modernisation de 50% des F-15 encore en service (environ 170 à 195 appareils). Les clients potentiels du F-22 soit le Japon, la Corée du Sud et Israël, ne pourront en réalité pas remplacer l’ensemble de leur flotte de F-15 et se tourneront visiblement vers une modernisation de type F-15SE, on peut estimer que 200 à 250 appareils seraient concernés en plus de la flotte US.
Deux autres clients potentiels sont Singapour qui devrait conserver quelques F-15 malgré l’arrivée du F-35 et l’Arabie Saoudite qui conservera également cet avion pour épauler l’Eurofighter (sous réserve d’une autorisation d’exportation du Pentagone pour ce dernier!). […]
»Boeing a donc parfaitement analysé la problématique de coût du F-22 Raptor mais l’arrivée de la crise actuelle et la contraction des moyens militaire tant aux USA qu’à l’étranger, on donc poussé l’avionneur américain à réagir aux besoins aérien en terme de technologie et de coûts. Cette solution semble être un bon compromit permettant ainsi de maintenir la production au ralentit du F-22 tout en améliorant les qualités de survies des “Bon vieux F-15”!
»Si cette recette de crise s’avère être rentable et efficace, il ne sera pas impossible qu’elle s’applique d’ici quelques années avec le F/A-18! Peut-être pourront alors découvrir le Silent Hornet?»
Répétons que l’intérêt du commentaire est d’envisager l’intervention du F-15SE au niveau US directement, de l’U.S. Air Force. Lockheed Martin (LM) a réagi avec une certaine acidité à la nouvelle du F-15SE, faisant remarquer que la technologie furtive était quelque chose qui devait s’intégrer fondamentalement dans un véhicule, dès sa conception, et orienter sa conception, et non pas s’ajouter à un avion déjà complètement “figé” dans un dessin et une structure. Cet argument théorique fondamental des partisans de la technologie furtive devient de plus en plus spécieux sinon catastrophique, disons à mesure que les difficultés du JSF (après celles du F-22) s’empilent et qu’on peut apprécier les pénalités dues à l’intégration impérative et directive de tout le reste de la technologie furtive.
Le F-15SE est potentiellement bien autre chose qu’une tentative annexe de renouveler et de prolonger le F-15 en profitant des conditions de la crise. La conception du SE précède largement la crise financière mentionnée dans le commentaire et remonte aux plus récents avatars du JSF (2006-2007) et à la réduction de la commande du F-22 Raptor, puis au début, à l'automne 2007, de la crise du vieillissement de l’USAF (des F-15, justement). Le SE n’est pas une version “au rabais”, “par raccroc”, etc.; c’est une affaire sérieuse, comme en témoigne son prix unitaire, autour de $100 millions (l’appréciation n’est qu’à moitié ironique; il est vrai qu’un projet trop bon marché par rapport aux références du Pentagone n’a aucune chance de connaître un destin sérieux). Il est généralement reconnu que l’USAF a suivi le sérieux des travaux et devrait admettre sans faire trop de difficultés que le SE a des capacités furtives significatives; certains ajoutent que l’USAF, ou une partie de l’USAF, notamment l’ancienne direction (le chef d’état-major et le secrétaire à l’USAF) chassée par Gates en juin dernier, a “inspiré” ces travaux… Dans ce cas, le F-15SE est effectivement un avion destiné à “faire attendre” le F-22 en production ralentie, sans laisser le JSF prendre cette place. Mais tout cela est également de la théorie car on voit mal comment le JSF pourrait “prendre la place” de quiconque alors qu’il est si loin d’occuper la sienne propre.
D’une certaine façon, le F15SE est au F-15 ce que le F-16C/D Block 60 est au F-16 de Lockheed Martin (LM). La différence est que LM n’a rien fait pour promouvoir cette version, développée pour les UAE il y a une dizaine d’années, pour contrer le Rafale français. Le Block 60 est considéré, même par les Français qui ont beaucoup de contact avec les EAU puisqu’ils y négocient une éventuelle vente de Rafale, comme un F-16 d’une génération supérieure au F-16, disons au moins de la génération 4,5 (entre la quatrième génération qu’est le F-16 et la cinquième génération qu’est le F-35). LM a bloqué le Block 60 parce que cet avion est une “concurrence raisonnable” du F-35, dans la logique US – encore plus à la lumière de la crise aujourd’hui. Bien entendu, Boeing a une attitude complètement opposée à celle de LM, pour ce qui est de la promotion du SE.
Mieux, plus encore : le lancement du F-15SE correspond à la maturation de la crise de l’USAF. On peut donc envisager de considérer cette version (éventuellement, de concert avec le F-16C/D Block 60) comme une “option de crise”, c’est-à-dire une alternative à tous les programmes pourris de modernisation de l’USAF. «Poursuivons l’analogie avec la crise, observe une source industrielle européenne. Les programmes F-22 et F-35 apparaissent de plus en plus comme les “toxic assets” de Wall Street. Ils pourrissent tout et on ne sait comment s’en débarrasser. Le F-15SE, ou d’autres du même type, voire le Block 60 si LM est forcé de lui ouvrir la voie, pourraient apparaître comme les “bail out” de l’USAF, pour sauver l’USAF…»
Le F-15SE a donc, selon nous, une double signification. C’est le premier signe de la crise tangible de l’USAF, et une indication a contrario du désordre inextricable qui règne dans la programmation de cette même USAF. C’est aussi une première indication très sérieuse selon laquelle l’USAF pourrait être obligée, à cause de la crise financière et budgétaire générale des USA et de ses impacts sur le Pentagone, d’abandonner sa politique immémoriale d’amélioration qualitative systématique, d’une façon pour elle humiliante, en revenant à un de ses plus vieux programmes. Si le F-15SE doit être disponible à $100 millions en 2011, il est maintenant de plus en plus acquis, par contraste, que l’USAF n’espère plus avoir des JSF avant 2015-2016 à un prix unitaire proche des $200 millions, – et cela au mieux, sans tenir compte de difficultés et de problèmes qui semblent inévitables pour un programme si instable et si incontrôlable, qui n’en est pas encore à 2% de son programme d’essais en vol. Quant à la suite du programme F-22, son destin est si incertain et si lié à la politique qu’on ne peut guère envisager d’options significative pour l’instant.
Si le F-15SE a un destin national (en plus des espoirs à l’exportation), ce sera celui de marquer le déclin extraordinaire de la puissance de l’USAF, en revenant, pour son rééquipement d’urgence, à un avion vieux d’un tiers de siècle. Là-dessus, on pourrait commencer à spéculer sur ce qui pourrait advenir au programme SE lui-même dans ce cas, puisqu’il tomberait alors dans les griffes de la bureaucratie qui n’aurait de cesse de l’“améliorer” et d’imposer les habituelles augmentations de coûts…
Mis en ligne le 25 mars 2009 à 12H22