Les sondages dans l’incertitude de l’électeur insaisissable

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Les sondages sont, par définition, une “photographie de l’instant”. Mais il s’agit d’un “instant” qu’on juge général: la “photographie de l’instant” concerne en principe tout l’électorat et non pas les seules personnes sondées. A cause du phénomène d’une certaine stabilité de l’électorat dans les démocraties occidentales facilitée par la manipulation des moyens de communication, les sondages sont aussi considérés, d’une façon stricto sensu non scientifique et irrationnelle mais pourtant admise comme acceptable, comme quelque chose qui s’approche d’une prévision. Disons que la coutume d’une époque médiatique souvent virtualisée conduit à cette attitude presque inconsciente mais très puissante.

La campagne des primaires aux USA est en train peut-être de contribuer à la modification importante de cet inconscient. Il y a eu d’abord la surprise du New Hampshire, avec la victoire non prévue par les sondages de Clinton chez les démocrates. Les jours précédant le Super Tuesday ont fortement accru cette tendance, d’autant que l’événement a eu un impact médiatique et public sans précédent, aux USA et dans le monde. Le désordre des sondages par rapport à la réalité constatée avec le New Hampshire a gagné les sondages eux-mêmes qui ont donné des prévisions de vote très différentes.

Le site dailykos.com mettait en évidence, lundi soir un cas limité mais d’une importance réelle puisqu’il concernait l’Etat de Californie (370 délégués). Il concernait également les démocrates (Clintion-Obama), qui voit une course très disputée, “dans un mouchoir”, et qui pourtant enfante des résultats statistiques extraordinairement contrastés et contradictoires, qui sont le contraire d’une course “dans un mouchoir”.

Il s’agit de deux résultats publiés en même temps, quelques heures avant l’ouverture du scrutin, pour la Californie, de deux instituts de sondage très sérieux.

• Reuters/Zogby : 49% à Obama, 36% à Clinton.

• Survey USA : 52% à Clinton, 42% à Obama.

A de tels niveaux de divergence, il est moins temps de mettre en cause des aspects techniques et méthodologiques qu’un phénomène humain qui prend désormais un aspect majeur. Dans une compétition aussi ouverte et passionnée que les primaires actuelles, le fait déjà parfois constaté d’une certaine volatilité de l’électorat s’est amplifié jusqu’à menacer la substance même de la “science” statistique. Se combinent dans cette campagne deux phénomènes, chacun d’eux exacerbé et les deux s’exacerbant l’un l’autre:

• La formidable activité de la communication, qui répand continuellement des interventions, des commentaires, des manifestations excessives des candidats, dans un sens ou l’autre, avec des effets immédiats sur les candidats eux-mêmes et sur l’électorat.

• La passion qui accompagne cette campagne influe avec force, à ce stade de la campagne, sur la volatilité de l’électorat. Se combinent l’effet médiatique et les opinions mêmes des électeurs sur les candidats, qui changent effectivement très rapidement et très souvent, voire qui dissimulent leurs choix.

Les sondages deviennent alors encore plus qu’une “photographie d’un instant”. Ils sont la photographie d’un “instant” dont la réalité elle-même est sujette à caution puisque les électeurs sont devenus insaisissables par eux-mêmes. Cet instant, même en étant un “instant”, c’est-à-dire un espace de temps, n’a plus guère de valeur statistique pour la situation générale de l’“instant”. Des électeurs aussi changeants, s’ils sont réduits à l’échantillonnage envisagé, ne peuvent plus donner une certaine certitude de représenter une opinion générale même de cet “instant”.

Il s’agit d’un facteur d’incertitude important. Les candidats sont en train de retrouver les situations d’incertitude d’avant le développement sophistiqué des sondages, mais dans une situation générale pourtant caractérisée par une communication intense et la prolifération des sondages dont on sait l’aspect de plus en plus aléatoire. C’est une situation de relativité complète de la situation politique dans un contexte de surinformation où il est extrêmement difficile de distinguer une information crédible parce que l’information est elle-même devenue complètement relative. Cette situation évolue moins en faveur de candidats surprises parce que les favoris sont trop puissants (notamment au niveau de la communication) pour être déboulonnés de cette position. Mais cela déstabilise les favorise entre eux, par rapport à leurs affrontements personnels. Cela ajoute à l’incertitude de la situation politique en affaiblissant les favoris entre eux, en influant sur leurs positions (montée aux extrêmes), plus que modifier la situation connue des uns par rapport aux autres. Le résultat général est le désordre plus que des bouleversements politiques identifiés lorsqu'ils se produisent (c'est-à-dire que ces bouleversements, lorsqu'ils ont lieu, s'effectuent de façon souterraine et apparaissent lorsqu'il est trop tard pour réagir par rapport à eux). Il s'agit du désordre à l’intérieur du système. Cette tendance spécifique confirme la tendance générale de l’époque d'un système de moins en moins contrôlable par ceux qui en dépendent.


Mis en ligne le 6 février 2008 à 09H06