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25 novembre 2005 — Mercredi, le Financial Times (FT) a publié trois textes qui nous annoncent l’échec quasiment effectif des négociations entre les Etats-Unis et deux pays anglo-saxons (le Royaume-Uni principalement et l’Australie), sur l’exemption de la législation ITAR. (Nous avons donné de l’annonce du FT un petit écho le 23 novembre dans notre Bloc-Notes.) Ces négociations durent depuis cinq ans. Elles sont fondamentales. Leur échec est un événement important, par conséquent ignoré en général sauf par notre fidèle FT.
(Pour ITAR [International Trafic in Arms Regulations], voyez notre texte sur l’affaire des C-295 espagnols pour le Venezuela, actuellement bloqués par les USA conformément à la législation ITAR.)
Le FT examine successivement l’événement de l’aboutissement négatif des négociations, le rôle du député Henry Hyde dans cette affaire et les commentaires qu’il importe de tirer de cet échec.
L’événement lui-même est présenté de cette façon: « The UK looks set to lose its five-year battle to win a waiver on strict US arms export controls after being told by Bush administration officials that political opposition on Capitol Hill to the transfer of sensitive technologies had become insurmountable. US and UK officials say they are now trying to come up with ways to strengthen military technology co-operation without having to change the US export law, the International Traffic in Arms Regulations.
» The US promised five years ago to grant an Itar waiver to the UK and Australia and the delay has emerged as one of the most contentious issues between the US and UK since the Iraq war. »
Dans ses divers développements, le FT ne peut que constater à la fois l’importance de cet échec probable et l’impossibilité où les Britanniques se trouvent d’espérer un déblocage d’une situation tenue de main de fer par l’action concentrée des pouvoirs US. L’inquiétude et l’amertume du FT sont telles que le commentaire du vénérable journal va jusqu’à envisager des solutions alternatives au sacro-saint alignement inconditionnel sur les USA, — jusque et y compris, en venir à tresser des lauriers à une initiative européenne, chose bien inhabituelle pour notre quotidien saumon.
A notre sens, il s’agit d’abord et pour l’instant de “menaces cosmétiques”, basées sur les lieux communs habituels (le merveilleux volume de dépenses US et les terribles maladresses européennes dans ce domaine). Il n’empêche, elles servent à mesurer le degré d’exaspération britannique, feutrée certes mais bien réelle (une phrase comme: « Nor can Britain's military ties with the US be considered forever immutable after the cold war » est d’une audace touchant presque au sacrilège, bien inhabituelle dans les pages du FT): « In the light of this increasingly awkward technological dependence on the US, it is just as well the UK government is currently reviewing how to preserve a minimum strategic defence capability in Britain. Nor can Britain's military ties with the US be considered forever immutable after the cold war. Their bilateral relationship may yet be damaged by problems in Iraq, while the practical future of their multilateral relationship — Nato — now largely rides on whether the alliance shows it can cope in pacifying Afghanistan.
» In this context, it was good to see European Union governments agree this week, even if only in a voluntary code of conduct, to open more of their military procurement to cross-border bidding, as happens in the civil sphere. The 25 member states together spend about half what the US pays out on defence but get far less than half the US bang for their euro because they fail to exploit the potential economies of scale the EU provides. »
Un autre point notable est la propension des commentateurs britanniques, relayant les avis de leurs officiels, selon laquelle le principal coupable dans cette affaire est le Congrès, avec le terrible Henry Hyde, président de la commission des relations internationales de la Chambre. C’est là un espoir habituel pour les partisans passionnés et désespérés des special relationships. Le pouvoir (les pouvoirs) américaniste(s) entretient (entretiennent) cette illusion avec l’habileté que dispense la routine : il s’agit de reporter l’intransigeance montrée dans une négociation sur un autre centre de pouvoir que celui qui négocie.
La structure éclatée du pouvoir américaniste en général, plus particulièrement aujourd’hui où la crise affaiblit l’exécutif et renforce l’éclatement, renforce encore l’efficacité de la manœuvre. Dans les négociations sur les armements, l’administration se défausse en général sur le Congrès. En plus, cette manœuvre présente l’avantage de n’être pas infondée. Le Congrès, avec le terrible Henry Hyde, n’a jamais été aussi intransigeant. Cela implique d’ailleurs que toutes les trouvailles faites pour contourner le Congrès (« US and UK officials say they are now trying to come up with ways to strengthen military technology co-operation without having to change the US export law, the International Traffic in Arms Regulations ») se heurteront toutes, de la même façon, à un Hyde ou l’autre, ou à un Duncan Hunter ou l’autre, dans le cadre de la législation ITAR ou pas. Cette situation perdure depuis un demi-siècle et ne fait que s’aggraver. Entre le début des négociations il y a cinq ans et l’actuelle situation de rupture, la position US (Congrès) s’est très fortement durcie.
Quelques remarques supplémentaires :
• Ce n’est pas un hasard si l’échec des négociations se dessine alors que les Européens progressent sur la voie d’un marché intérieur de l’armement (comme le signale le FT: « In this context, it was good to see European Union governments agree this week, even if only in a voluntary code of conduct, to open more of their military procurement to cross-border bidding, as happens in the civil sphere. »). Les Européens affirment que cette évolution n’implique nullement un protectionnisme anti-américain. Les Américains sont absolument sûrs du contraire. A terme, ils n’ont pas tort : la dynamique pousse irrésistiblement dans le sens de cette évolution. Il y a une situation où les deux parties alimentent, par leurs suspicions réciproques, la marche vers le protectionnisme, avec une remarquable avance pour les Américains dont le système est structurellement protectionniste.
• Le probable échec des négociations sur ITAR implique pour les Britanniques une situation inextricable pour leur coopération avec les Américains. C’est évidemment le cas du JSF. Dans ce programme, les Britanniques n’ont absolument plus aucune chance d’obtenir les transferts de technologies qu’ils réclament et qui est la condition quasiment sine qua non d’un usage satisfaisant de ces avions de combat. L’hypothèse de l’analyste Robert North se trouve de plus en plus confortée.
• Un échec dans les négociations ITAR représente un revers majeur pour la coopération anglo-américaine. Il pourrait placer les Britanniques dans cette situation dont ils ont horreur et qu’ils ont toujours voulu écarter : devoir choisir, c’est-à-dire s’éloigner des Américains pour tenter de mieux s’intégrer dans l’ensemble européen et sauver ce qui peut l’être de leur base technologique.