Les surprises de la globalisation

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Les surprises de la globalisation


16 août 2005 — Même s’il enfonce des portes largement béantes depuis le 11 septembre 2001, le discours du ministre singapourien de la défense Teo Chee Hean, le 15 août, a le mérite de nous signaler la chose (les portes béantes) d’une façon claire et nette. Le discours nous dit simplement que l’un des résultats de la globalisation est d’avoir rendu la circulation des armes de destruction massive plus facile. Le terrorisme en profite abondamment, dit Teo Chee Hean.

(Ci-dessous, quelques extraits marquants de son discours, par AFP relayée par Defense News. Le ministre parlait pour l’ouverture d’un exercice de cinq jours impliquant 13 pays, — dont les USA, la France, le Royaume-Uni, le Japon, — dans le cadre de la Proliferation Security Initiative [PSI] proposée par les USA pour, justement, stopper la circulation des ADM.)


« “The terrorists aim for disruption on a dramatic scale, so the destructive power of WMD has a clear attraction,” [Teo Chee Hean] said.

» “Should the terrorists ever succeed in using WMD in their attacks, it is not just the physical consequences that would be catastrophic. The psychological impact, in terms of the fear that would permeate across the globe, would be equally profound.”

» Teo said globalization has made it easier for terrorists to acquire WMD and they would do anything to get hold of such weapons.

» “With globalization has come the dense network of linkages across the world to enable the speedy and free flow of goods, people and ideas. These linkages are necessary for economic growth,” Teo said. “But they have also created more conduits and opportunities for proliferators to do their nasty business … proliferation is truly a global enterprise.” »


Ces quelques extraits nous en disent beaucoup sur l’état d’esprit de nos dirigeants et sur leur perception conformiste du monde, autant que sur la réalité du monde telle qu’elle s’est imposée. Tout cela, en effet, s’appuie sur un axiome dont il est inutile de discuter la valeur ontologique : la globalisation telle qu’elle se réalise aujourd’hui est quelque chose qui, non seulement ne peut être arrêtée, modifiée, réorientée, — mais, par-dessus tout, quelque chose qui n’est rien d’autre que notre destin, notre façon d’être, notre “nous collectif”. (La globalisation est, bien entendu, le mot-code pour “américanisation du monde” ; cela va sans dire, et cela va un petit peu mieux en le disant…)

Lorsque, parlant des “liens” (des chaînes?) imposés par la globalisation, Teo Chee Hean explique que « These linkages are necessary for economic growth », il dit une sottise considérable qui est pourtant tenue comme une de ces vérités premières dont la contestation vous enverrait au bûcher. Il n’y a rien de plus facile que de concevoir un million d’autres moyens pour la croissance économique que la globalisation made in USA qu’on nous impose, avec son cortège extraordinaire d’injustices inutiles, de malheurs et de sottises ; pour concevoir ces “autres moyens”, il suffit d’accepter l’idée de leur possibilité, d’accepter de développer cette idée en explorant ces “moyens” et d’accepter de s’en donner les pouvoirs et les moyens. Rien de tout cela n’existe : la globalisation est d’abord un enfermement de l’esprit dans l’idée qu’en dehors d’elle, rien n’est concevable.

Le rôle du responsable politique consiste donc aujourd’hui à constater les dégâts causés par l’application d’une doctrine inepte qu’on lui a appris à ne jamais mettre en doute, selon un mode de pensée s’apparentant directement à la scholastique du Moyen-Âge (celle-là, au moins, avait indirectement la vertu de la plus grande hauteur de l’objet qu’elle protégeait, qui était la matière de la présence divine sur terre). Teo Chee Hean nous avertit donc d’un des dangers, par ailleurs évidents, de la globalisation: la prolifération des ADM. Le paradoxe est que cette prolifération est, aujourd’hui comme hier et même avant-hier, une hypothèse hystérique et rien d’autre. Elle existe depuis 60 ans et ne s’est jamais réalisée. (La première hypothèse alarmiste à propos de la bombe atomique date de 1946, aux USA, et concerne le vol de cette arme par une organisation non gouvernementale, terroriste ou illégale, et la menace d’un largage/tir de cette arme sur une ville US. Un long article du magazine Life d’octobre 1946 détaillait le scénario de l’installation d’une base secrète en Afrique, avec bombes atomiques et fusées porteuses, du fait d’une organisation terroriste visant évidemment New York, — car quelle autre cible imaginer, pour un publiciste américaniste?)

Teo Chee Hean a donc raison de parler, à propos d’une éventuelle attaque terroriste par ADM, du « psychological impact, in terms of the fear that would permeate across the globe,… » En réalité, cet impact psychologique existe déjà, il précède la cause, l’attaque par ADM, il s’en passe amplement. La globalisation des ADM n’a pas besoin d’être faite, elle existe déjà dans la pensée de nos élites et suscite une peur effectivement extraordinaire, entraînant une avalanche de mesures sécuritaires qui cadenassent nos vies. Leur politique existe comme si cette prolifération était réalisée.

La seule réussite incontestable et éclatante de la globalisation, aujourd’hui, est celle des élites (sauf rares exceptions) et, plus précisément, de leur psychologie. La seule globalisation réalisée est celle de la trouille universelle de nos élites. Celles-ci n’existent plus que par l’affirmation d’un danger apocalyptique que tous leurs actes tendent d’ailleurs à favoriser indirectement. Le véritable terrorisme est la globalisation en général, et la globalisation de la psychologie de nos élites en particulier. Le résultat devrait être qu'un jour, un terroriste finisse par comprendre qu'il est temps de satisfaire ces phantasmes et de passer à l'acte.