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626230 octobre 2022 (19H05) – On papote plus que jamais, “à l’Ouest”, c’est-à-dire dans le bloc-BAO, autour de l’emploi du nucléaire tactique (par les Russes-aux-abois, of course). C’est un bruit de fond devenu assourdissant, dont la faute est toute entière imputée à la Russie qui n’a jamais dit une seule fois qu’elle envisagerait d’utiliser précisément le nucléaire, et précisément le nucléaire tactique en Ukraine. La faute en est à la Russie qui n’a pas dit ce qu’on dit qu’elle a dit ! A la fin !
(Même si elle le pense, comme toutes les nations à capacité nucléaire qui envisagent constamment une planification de l’emploi des armes nucléaires de toutes natures, – comme on dit, “en cas de malheur”, – “même si...”, elle n’en dit mot.)
Cette façon de hurler à l’agression nucléaire, – présentée intentionnellement, communicationnellement et dialectiquement, – de la part d’un adversaire qui ne l’a jamais fait dans l’actuelle séquence, qui n’y songe pas et dit n’y pas songer, est un des aspects les plus fascinants de cette foire au simulacre, de cette “salade de mensonges” qu’est ‘Ukrisis’. Il s’agit d’une sorte de bruissement sans fin, d’affirmations sans fin, de certitudes proclamées, du genre “à moi on ne la fait pas...”. Plus vous vous taisez, plus vous parlez ; plus vous déniez, plus vous vous confirmez.
Et puis, il y a le sérieux, le dur...
Je soupçonne d’abord, disons pour clarifier la situation, que les gens informés et mesurés, disons ceux qui savent ce que l’emploi du nucléaire veut dire dans une vérité-de-situation catastrophique, je soupçonne que ces gens sont parfaitement au courant, et cela depuis le printemps 2018 officiellement avec la présentation des nouvelles armes hypersoniques russes par Poutine, de quel déséquilibre catastrophique est fait le pseudo-équilibre stratégique nucléaire régnant à l’origine.
Récemment encore, Larry Johnson expliquait la chose, commençant par décrire la situation qui régnait, non seulement durant les années 1990 comme il l’écrit, mais au moins depuis1962 (crise des missiles de Cuba) et 1964 (énoncé de la doctrine MAD [‘Mutual Assured Destruction’] par le secrétaire à la défense McNamara, dans un discours fondamental à Ann Harbor) :
« J’hésite à écrire ceci car je ne veux pas laisser au lecteur l'idée que je soutiens l'utilisation des armes nucléaires. Ce n'est pas le cas. Mais le peuple des États-Unis, grâce à des dirigeants politiques ineptes et corrompus, vit dans l'illusion que nous sommes toujours dans le monde stratégique qui existait dans les années 1990, lorsqu'il était entendu qu'une attaque nucléaire de première frappe par les États-Unis ou la Russie contre l'autre entraînerait une réponse imparable qui laisserait les deux pays dévastés et confronterait le monde à un possible hiver nucléaire. En d'autres termes, la destruction mutuelle assurée.
» Mais ensuite, George W. Bush est arrivé. En juin 2001, George W. Bush a abrogé unilatéralement le traité sur les missiles antibalistiques [ABM]... »
Cette mesure absurde fut prise par les USA, même avant l’attaque 9/11, parce qu’ils venaient de découvrir, sous l’inspiration brillante de GW Bush, qu’ils écrivaient l’Histoire comme ils voulaient parce qu’ils étaient ‘The Empire of the World’ (comme on s’en souvient bien, n’est-ce pas : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité »). Par conséquent, rien d’étranger à eux (de “supra-impérial”) ne pouvait prétendre les contraindre, et cela avant même l’attaque du 11-septembre. Finalement, cette attaque ne fit qu’acter catastrophiquement la transmutation d’une psychologie US devenue métaphysiquement folle entre son inculpabilité et son indéfectibilité. Par conséquent, plus de contraintes “supra-impériale”, donc plus de traité ABM ! Et Johnson de nous expliquer :
« À la suite des attentats du 11 septembre, l'administration Bush a opté pour une politique antiterroriste perverse, marquée par l'invasion de l'Afghanistan et l'entrée en guerre contre l'Irak. La nouvelle politique de CT [Contre-Terrorisme] a fait passer la politique de défense du gouvernement américain de la construction et du déploiement du système de défense contre les missiles balistiques, qui était le rêve de Bush et Cheney dans les 8 premiers mois de leur administration, à la lutte contre le terrorisme et à la restructuration de la défense nationale. Les milliards de dollars qui auraient pu être dépensés pour un nouveau système ABM ont été engloutis dans des efforts militaires inconsidérés en Afghanistan, en Irak et dans d'autres pays du tiers-monde. »
Les Russes, on le sait, n’ont pas suivi cette voie. Il est vrai qu’ils n’avaient que faire d’un Irak ou d’un Afghanistan. Ils cherchaient plutôt à protéger leur sécurité réduite en bouillie par les années 1990, notamment en fonction des nouvelles données suscitées par l’abandon du traité ABM. Il s’ensuivit une longue successions de divers systèmes sol-air à grandes capacités (S-300 modernisés, S-400), jusqu’à des capacités anti-missiles balistiques intercontinentaux maximales (S-500 et au-delà). Parallèlement, pour faire renaitre une force de frappe crédible, ils développèrent de nouvelles technologies dont l’hypersonique est la plus fameuse :
« La guerre en Ukraine a donné à la Russie une scène pour présenter certaines de ses armes avancées, comme le Kinzhal hypersonique. Ce missile a touché des cibles en Ukraine avant que les alertes au raid aérien ne se déclenchent. Andrei Martyanov explique :
» “De nombreux vrais professionnels ont eu le souffle coupé lorsque le Dagger (Kinzhal) a été dévoilé. [...] Plus précisément, aucun système de défense aérienne moderne ou futur déployé aujourd'hui par une flotte de l'OTAN ne peut intercepter ne serait-ce qu'un seul missile présentant de telles caractéristiques. [...]” »
Cela n’est qu’un aspect de la situation actuelle des “relations” stratégiques nucléaires entre la Russie et les USA. Si l’on prend un plan plus général, c’est-à-dire le domaine que maîtrisait magistralement MAD durant la Guerre Froide, – mais hélas qui n’existe plus !, – cela donne ceci, qui donne des frissons au Pentagone alors que l’énorme bombe à retardement d’‘Ukrisis’ continue à rouler avec diverses catégories de fous qui prennent la parole (Zelenski, neocons, voire les wokenistes eux-mêmes) :
« Voici donc la question cruciale : les États-Unis peuvent-ils bloquer un missile nucléaire ?
» Une nouvelle étude parrainée par l'American Physical Society conclut que les systèmes américains d'interception des missiles balistiques intercontinentaux ne peuvent être utilisés pour contrer une frappe nucléaire, même limitée, et qu'il est peu probable qu'ils soient fiables dans les 15 prochaines années.
» Si vous êtes un planificateur militaire russe, vous vous rendez compte que MAD n'est plus une réalité. Dans le cas où la Russie estimerait être confrontée à une véritable menace existentielle de la part de l'Occident à la suite d'une frappe nucléaire, même tactique, l'armée russe pourrait présenter au président Poutine un plan viable qui détruirait la réponse nucléaire américaine avec des dommages limités (bien qu'horribles) pour la Russie. Je ne suggère pas que la Russie s'en sortirait indemne. Mais la Russie, avec un système intégré de défense contre les missiles balistiques testé sur le terrain, aurait plus de chances que de chances de survivre à un échange nucléaire avec les États-Unis. »
Au Forum du Club Valdaï vendredi, il y eut une question posée à Poutine sur l’usage du nucléaire tactique en Ukraine, et le président russe prit quelques secondes, avec un air terrible qui fit monter la tension puis il eut une réponse en forme de plaisanterie sur l’inutilité de la chose, quasiment sa propre indifférence pour une telle hypothèse, qui déclencha les rires.
Aux USA, à des milliers de kilomètres de là, Biden, en commentateur avisé, plissa les yeux et observa que Poutine trompait son monde, et il dit, lui Biden, que, – “après tout, s’il n’a pas l’intention d’en user, Poutine, alors pourquoi en parle-t-il tout le temps ?” Le vrai, évidemment, est que tout le monde à l’Ouest dit que Poutine parle tout le temps de l’utilisation des armes nucléaires tactiques en Ukraine alors que lui, Poutine, n’en parle jamais. J’avoue être parfois saisi de stupéfaction admirative par la capacité qu’ils ont de parler à propos de cette voix-là qui parle comme si elle avait vraiment parlé et dit ce qu’ils n’ont jamais pu entendre puisqu’elle ne l’a pas dit ! Vous vous y retrouvez, vous ?
En même temps, et comme pour clarifier le brouillard boueux et bouseux qui s’épaissit, le Pentagone publia au début de la semaine une nouvelle version de sa National Nuclear Strategy où, pour la première fois, il déclare qu’il existe des cas de “menaces” (russe ou chinoise, précisons pour eux) qui justifieraient l’usage du nucléaire en premier. C’est une première.
Mercouris remarque que ce document a été préparé ces derniers mois, disons cette dernière année, donc certainement depuis l’automne 2021. Et voilà qu’en janvier 2022 les cinq principales nations nucléaires et membres permanents du Conseil de Sécurité signaient un document commun affirmant que la guerre nucléaire ne pouvait être menée, parce qu’elle conduirait à une destruction inimaginable. Pendant ce temps, le Pentagone travaillait à son nouveau document sur l’utilisation du nucléaire en premier, c’est-à-dire le déclenchement de la guerre nucléaire. Et alors, Mercouris ?
« ... probablement ce document a-t-il été réalisé sous l’impulsion du groupe de neocons dont cette administration a parsemé la bureaucratie du Pentagone », poursuit Mercouris...
« et sans que les militaires soient nécessairement au courant ! »
Un autre point d’attention sur cette extraordinaire agitation occidentale et otanesque autour des armes nucléaires dont tout le monde dénonce le fait inadmissible que Poutine en parle tant sans en dire un mot, qu’il en a nécessairement l’idée de s’en servir, – bien, il y a un autre point qui concerne la Finlande. Il y a quelques mois, lorsque la Finlande annonça qu’elle voulait entrer dans l’OTAN, elle affirma d’une même ravissante voix qu’il ne serait pas question pour autant d’y stationner ni des troupes, ni des armes nucléaires US. Aujourd'hui, cette promesse s'est envolée, et la ravissante première ministre (j’ai un faible pour elle, ma parole) nous dit qu’après tout, même si cela n’est que conceptuel, – mais bon, après tout, oui oui...
« La Finlande, candidate à l’entrée dans l’OTAN expose sa position sur le dépliement d’armes nucléaires [US]
» La première ministre finlandaise, Sanna Marin, n'exclut pas que le bloc dirigé par les États-Unis déploie des armes de destruction massive dans le pays nordique. »
Mercouris expose combien une telle situation ressemblerait au prémisse de la crise des missiles de Cuba, lorsque les USA déployèrent des missiles à têtes nucléaires ‘Jupiter’ sur la frontière soviétique de la Turquie, déclenchant du côté soviétique l’enchaînement qui conduisit droitement au déploiement de missiles nucléaires russes sur l’île de Cuba, et à la “crise des fusées de Cuba”. Poursuivant son idée, Mercouris expose qu’il ne reste que quelques mois, et en même temps des changements importants aux USA avec les élections du 8 novembre, pour éviter un enchaînement irréversible vers ce qu’on devine bien entendu comme devant être un affrontement nucléaire.
Son acolyte Christoforou soulève un autre lièvre : et si l’OTAN (c’est-à-dire Zelenski) est battue en Ukraine ? Stoltenberg vient de dire que si la Russie gagnait, ce serait une défaite pour l’OTAN (c’est-à-dire la fin de l’OTAN), le contraire de ce qu’il affirmait il y a quelques mois, – exactement comme la charmante Senna Marin, n’est-ce pas, – lorsqu’il (Stoltenberg) ne faisait absolument pas de l’OTAN une partie au conflit, – donc, ni victoire ni défaite...
Comment se sortiront-ils de ce labyrinthe ? Il n’y a pas de sortie à un tel labyrinthe ! Pour une raison simple, outre l’absence de Kafka :
« “Aujourd'hui, nous ne serions pas en mesure de trouver un homme politique dans une nation occidentale de la même envergure que Kennedy”. »
Alors, comme on dit en rugby, il faut botter en touche, ce qui est souvent le contraire du sens qu’on donne à l’expression, ce qui est souvent une façon de renverser l’axe du jeu pour trouver d’autres voies de sortie d’un encalminement d’une situation de confusion où l’on se trouvait... Alors l’on décide de “botter en touche” avec ce que cela implique de regroupements divers et de remises en ordre. Il nous faudra un jour ou l’autre sortir de l’Ukraine et étendre la vastitude du conflit, – pas nécessairement par les armes, – au-delà de ce théâtre. Encore une fois et une fois encore, c’est à la situation américaniste que nous faisons et que je fais allusion avec force et une fois de plus ; non pas pour trouver une solution en Ukraine, là n’est pas le nœud gordien, mais pour susciter une aggravation décisive de la situation sur place, aux USA même, et provoquer au cœur du cœur de cette immense puissance un choc tellurique dont le Système ne se relèvera pas.
Car l’enjeu n’est pas l’Ukraine, bien entendu ; car l’enjeu est le Système, comme maître Poutine nous l’a obligeamment expliqué vendredi. Pourtant, on ne peut pas imaginer une seconde qu’une masse d’une telle puissance que l’Amérique puisse se fendiller, se fracturer, se rompre ? Le peut-on ? On ne le peut, la chose est absolument évidente, parce que cette idée-là est au-delà de notre piètre imagination. Mais c’est cela ou bien le conflit nucléaire... Et c’est à cette évidence de départ justement que je veux en (re)venir.
Le conflit nucléaire, comme on l’a vu plus haut, c’est le rêve des neocons au bout de leur folie et c’est le cauchemar des militaires qui savent que c’est la fin de leur propre existence structurelle et de leurs illusions quasiment spirituelles. Pour cette raison, je suis porté à croire que la principale bataille du pouvoir qui se trouve au service du Système, comme clef du Système, se fera entre les militaires et les neocons, ouvrant les vannes de multiples autres affrontements... Tout sera alors emporté, comme un torrent.
Parce que cela ne peut durer ainsi... Je suis de ceux qui pensent que cela ne peut durer ainsi ; et si ce n’était cela sa raison d’être, alors de quel usage utile serait la pensée ? La pensée doit être de la sorte qui projette la nécessité du mieux.