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145213 mars 2009 — Il y a indiscutablement des marques d’une mobilisation contre Obama par tous les moyens, du côté républicain et de centres idéologiques ou de puissance d’argent proches des républicains, – et, d’autre part, une radicalisation générale des positions en fonction de ces tensions antagonistes. C’est notamment ce que signale, d'une façon générale, Anatole Kaletsky, tel que nous le citons aujourd’hui sur notre Bloc-Notes. (Mais il s’attache, lui, aux effets de l’affrontement sur la situation au département du trésor.):
«American politicians simply don't seem to understand the existential threat that their economy is now facing. Instead of uniting to deal with a national emergency far more threatening to their way of life than the terrorist attacks of 9/11, they have responded by dividing more sharply than ever into hostile partisan camps.
»Efforts to revive economic activity and to stabilise the financial system that are clearly indispensable on the basis of any economic analysis, whether Keynesian or monetarist or plain business-sense, have been denounced on the Right for interfering with free markets and on the Left for feather-bedding bankers. Instead of rallying around in a moment of crisis, many Americans are openly expressing their hope that the new President will fail and the economy collapse. Candidates for key Treasury posts have been viciously attacked in the media and Congress for trivial tax and administrative infractions inadvertently committed many years ago or simply for having once worked on Wall Street. As a result, these jobs have become almost impossible to fill.»
Il nous apparaît assez acceptable de considérer que le budget du président, y compris avec sa présentation très volontariste, sinon menaçante, cela suivant la dure bataille du “plan de stimulation” au Congrès, peut être pris comme l’événement cathartique, constituant le facteur qui ouvre complètement ouvert le champ à la bataille. Désormais, pour les différents milieux washingtoniens dépendant de la doctrine américaniste intégriste, des reaganiens aux néo-conservateurs, des idéologues du marché à Wall Street, Obama est identifié ou tend à être identifié au mieux comme un “libéral” politique (c’est-à-dire un progressiste), au pire comme un “socialiste” ou l’équivalent d’un “French president”.
Ci-après, nous détaillons quelques-uns de ces axes de l’attaque contre Obama. Ainsi rapprochés, ils permettent de dessiner la vigueur du mouvement, de l’expliquer, de lui donner sa cohérence et d’envisager sa puissance.
• Depuis plusieurs semaines, les “talk-shows” radiodiffusés de la droite radicale, type Rush Limbaugh, véhiculent la thèse selon laquelle Obama est responsable de la chute de Wall Street et, implicitement, de la crise de bout en bout, au moins depuis son déclenchement dans sa phase explosive il y a six mois (depuis le 15 septembre 2008, disons), et même auparavant, depuis son installation comme candidat démocrate. Cette thèse gagne en popularité dans les milieux républicains, – selon à peu près ce schéma (sur Think Progress, le 3 mars):
«The Wall Street Journal claimed today that “Obama’s policies have become part of the economy’s problem.” Laura Ingraham said today that Obama’s policies “are not giving us the confidence we need to get back into the market.” Rush Limbaugh and Sean Hannity touted the line as well, but added that the market’s problems started when Obama was nominated to be the Democratic Party’s candidate for president in the middle of last year:
»LIMBAUGH: “To say that Obama has been in office only one month is not accurate from an effect on the world and an effect on the country standpoint. Barack Obama has been the controlling political authority on the economy for six months.”
»HANNITY: “Now if we go back to May 6th when it was apparent that he was going to probably be the Democratic nominee the stock market was over 13000, and if we go to October just before the election…the stock market was, what, around the 11000 plus mark.”»
• Limbaugh, que d’aucuns désignant comme le véritable inspirateur du parti républicain aujourd’hui, va encore plus loin dans l’expression de sa thèse, lorsqu’il déclare (dans RAW Story, le 8 mars): «President Obama campaigned for two years. His policies were announced that long ago. He won the Democrat nomination last August, six months ago. Every smart money guy, every smart money woman on Wall Street and around the world knew Obama was a shoe-in to be president six months ago... So the economy stopped. The stock market started tanking. They knew Obama was going to win.»
• Ben Bernanke, le président de la Federal Reserve, a été nommé par Bush le 1er février 2006. Depuis que Tim Geithner a été nommé secrétaire au trésor le 21 novembre 2008, il a été largement spéculé que Lawrence Summers, nommé à la tête du National Economic Council auprès d’Obama, serait choisi pour succéder à Bernanke le 1er février 2010. Bernanke est ainsi nettement identifié du côté républicain, et peu ami de la politique et de l’administration Obama. De ce point de vue, ses interventions très optimistes sur la situation économique depuis quelques jours peuvent être perçues comme faisant partie d’une attaque politique, de type “préventif”, contre l’administration Obama. Bernanke affirme que la situation sera rétablie aux USA avant la fin de l’année, mais à la condition que le gouvernement applique une politique financière adéquate. Cette évaluation ouvre la voie à une mise en évidence du succès de la doctrine du marché en cas de confirmation, à une mise en accusation de l’administration Obama pour n’avoir pas conduit “la politique financière adéquate” en cas d’échec. Le Times de Londres du 10 mars signale une de ces interventions de Bernanke:
«Shares surged in New York today after Ben Bernanke, the Chairman of the US Federal Reserve, declared that the recession could end this year. In a speech to the Council on Foreign Relations, a Washington think-tank, Mr Bernanke gave the most upbeat assessment yet of the global economic meltdown, saying that the gloom could be nearing a close. “I think there is a good chance the recession will end later this year and 2010 will be a period of growth,” he said. […]
»However, Mr Bernanke warned that an exit from recession was dependent on the successful efforts of the US Government to help financial markets to operate more normally again. His comments are in sharp contrast to an earlier bleak assessment from the International Monetary Fund (IMF), which dubbed the global financial crisis the “Great Récession”.»
• La politique de lutte contre le réchauffement climatique d’Obama déclenche des résistances extrêmement vives de la part des mêmes milieux identifiés plus haut. L’administration Obama semble particulièrement craindre une “révolte” dans ces milieux, jusqu’à avancer cet argument pour avertir que les USA pourraient ne pas suivre la politique préconisée, – selon Rajendra Pachauri, chef de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) de l’ONU (dans le Guardian du 11 mars): «The head of the UN body charged with leading the fight against climate change has conceded that Barack Obama will face a “révolution” if he commits the US to the deep carbon cuts that scientists and campaigners say are needed. Rajendra Pachauri, head of the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), said domestic political constraints made it impossible for the US president to announce ambitious short-term climate targets similar to those set by Europe. And he questioned the value of a new global climate deal without such a US pledge.» Effectivement, cette question de la lutte contre le réchauffement climatique est traitée dans les termes les plus extrêmes, même par des républicains qui ne sont pas engagés dans cette affaire; on cite ici Patrick Buchanan qui, le 10 mars, expédie cet aspect de la politique Obama d’une phrase qui ne s’embarrasse ni de nuance, ni d’attention extrême pour la réalité: Obama «wants a cap-and-trade system to deal with a global-warming or climate-change crisis many scientists believe is a hoax.»
• Ce même Buchanan qui, le 20 février, était proche de tresser des lauriers à Obama pour les prémisses de sa politique extérieure, au nom de sa propre opposition au courant belliciste, fait, dans le texte cité du 10 mars, une critique apocalyptique d’Obama, soudain redevenu un va-t-en guerre à l’image de Lyndon B. Johnson, l’homme du Vietnam. Buchanan représente un courant d’opinion important chez les conservateurs, jusqu’alors hostile à l’extrémisme bushiste. Son changement brutal d’orientation, avec l’absence de courtoisie et de loyauté intellectuelles qui va avec, mesure effectivement le choc subi par les républicains depuis l’annonce du budget d’Obama.
• On en est même à accuser Obama de changer la psychologie du citoyen, comme une sorte de démiurge épouvantable. C’est Fox.News, qui n'a peur de rien, qui s’en charge; la thèse est qu’Obama laisse l’économie s’effondrer par la bourse (voir Limbaugh), pour pouvoir mieux lancer son “agenda social” qui va transformer la psychologie US du bon citoyen aimable pour le système, en une sorte de révolutionnaire type-socialiste, sans doute “à la française”… C’est retourner la thèse chère aux mêmes républicains, social-darwinistes des années 1920 et 1930, sur la “social fabric”, pour “fabriquer” un homme, citoyen américaniste bien plus qu’américain, correspondant aux besoins de la production, de l’organisation du travail, du fonctionnement de Wall Street, etc. (RAW Story à nouveau, le 8 mars.)
«Fox commentator Brit Hume attempted to make a case that Obama is using the contracting economy as an excuse to push a “reckless” social agenda, and that if he had only confined himself to dealing with the banking crisis instead, both Wall Street and consumers would now be confident and ready to return to business as usual.
»“It's kind of a bear market within a bear market,” Hume suggested. “The market was already down tremendously over the previous year. And I think most people entered this period of the new Obama administration thinking that it probably was bottoming out and that he would give – by his very presence and by what he would offer, real hope – and it would at least change the psychology a bit. It has changed the psychology it seems – for the worse. And I think he does bear responsibility for that.”»
• Enfin, on mentionnera l’“affaire Freeman”, avec l’intervention tonitruante et grotesque du Lobby (pro-israélien), très proche des républicains extrémistes.
Ce commentaire doit évidemment être placé à la suite de celui que nous faisions le 9 mars, comme son complément, pour avancer dans la définition de la position intérieure d’Obama. La violence des réactions des républicains répond également à la dureté des propos d’Obama s’adressant à l’establishment ou à des bureaucraties, mais impliquant aussi dans sa critique virulente le statu quo dont les républicains sont partie prenante. La situation décrite ici, selon le point de vue radical qui se dessine chez les républicains, n’est pas loin de répondre, après tout, aux vœux de Robert Reich, décrivant l’action d’Obama comme “révolutionnaire”.
Quoi qu’il en soit de ces positions respectives, la remarque essentielle qui les caractérise est leur radicalisation extrêmement rapide, par conséquent la radicalisation de l’opposition qui s’installe. C’est un formidable événement, qui implique d’abord que la crise monstrueuse de septembre 2008 n’a pas réussi à faire l’essentiel, – à déclencher le réflexe d’unité nationale. Quelle que soit la valeur des conclusions qu’il en tire pour son propre camp (les doctrinaires libre-échangistes), Kaletsky a raison lorsqu’il remarque: «Instead of uniting to deal with a national emergency far more threatening to their way of life than the terrorist attacks of 9/11, [American politicians] have responded by dividing more sharply than ever into hostile partisan camps.» (La question de l’unité nationale est essentielle dans le cas US, dans une crise qui menace un système et une doctrine économique qui constituent la colonne vertébrale de ce pays, puisqu'en effet les USA dépendent fondamentalement pour leur cohésion de ce système et de cette doctrine. Cela vaut pour eux bien plus que dans aucun autre pays. Ce que Kaletsky reproche justement aux politiciens US, c’est de ne pas mesurer cet enjeu.)
Pire encore que n’avoir pas réussi à faire l’unité nationale à l’occasion de la crise, les partisans politiciens de Washington l’utilisent comme instrument de leur action radicale, sans aucun souci réel de la résoudre pour le “bien commun”, – ou disons, pour être plus réalistes, pour le bien du système. La crise est “instrumentalisée” au profit de leur critique, pour servir au triomphe de leurs idées qui se confond bien souvent avec des intérêts particuliers du plus bas étage. Qu’un Limbaugh soit intronisé comme “penseur” de la droite activiste républicaine, malgré les efforts émollients de Time pour relativiser l’affaire en une querelle interne et écarter le soupçon du système en général, nous en dit beaucoup sur ce système, sur son degré d’abaissement, d’aveuglement, de corruption généralisée, aussi bien vénal que psychologique.
Est-il temps de désigner une “méchant” (le camp républicain, of course) et un “gentil” (on devine qui)? C’est aller vite en besogne; c’est oublier que les démocrates se sont affichés complices des républicains bushistes pendant toute la période 9/11; c’est oublier que BHO lui-même n’est pas blanc comme neige. Par contre, il est vrai que les éléments de la bataille se mettent en place et que le parti républicain, ses relais et ses habitudes, y développent une rhétorique meurtrière et déstabilisatrice contre le président; c’est l’odeur de sang classique de ces "guerres civiles politiciennes”. Le temps arrive où, dans le désordre et l’affrontement partisan, sur fond de crise effrontée dont on nous dit d’une part qu’elle va se résoudre toute seule, d’autre part qu’Obama la manipule pour changer l’innocent agneau américaniste en une sorte d’obamien-bolchévique, on commencera à pouvoir se compter, et, éventuellement, à se reconnaître.
Plus que jamais vaut le constat, que nous faisions le 11 mars, à un autre propos: «Obama est perçu comme luttant à la fois contre la crise et le système (et, par conséquent, crise et système sont mis en équivalence, le système engendrant la crise)… […] La confiance du public dans Obama accompagne la perte de confiance dans le système… […] On peut avancer l’hypothèse que la fortune d’Obama n’est pas liée au sort du système mais à l’opiniâtreté de sa lutte contre le système.» C’est à cette lumière qu’on pourrait comprendre les sondages paradoxaux, qui voient le maintien d’une forte popularité d’Obama (plus de 60%), mais une grande méfiance vis-à-vis de sa politique; le public US est moins intéressé par une politique donnée, qui s’inscrit dans le système avec ses positions diverses, que par un homme à qui il puisse déléguer sa charge de contestation du système (même si, dans le même temps, ce public US critiquerait cette attitude contestatrice, – il ne faut pas craindre la contradiction).
Dans tous les cas, ce que nous indiquent ces déchirements intérieurs, qui présagent une “guerre civile politicienne” à côté de laquelle l’épisode Clinton des années 1993-2000 fera figure de hors d’œuvre, c’est que la crise US spécifique a de moins en moins partie liée dans son destin avec la crise systémique qui secoue le monde (et les USA). Cette crise systémique de septembre 2008 n’est qu’une partie de la crise US. Si l’on admettait l’hypothèse de sa résolution éventuelle, on observerait que cela n’amènerait certainement pas un rétablissement du calme et de la concorde à Washington. Au contraire, elle ferait se multiplier les affrontements politiciens, plus que jamais “instrumentalisée” par l’un ou l’autre parti. La pièce qui se joue est du pur bas empire, ou empire décadent, à vitesse soutenue.
Quoi qu'il en soit, on peut mesurer le chemin parcouru depuis la transition presque parfaite d'Obama, son inauguration, les rêveries “bipartisanes” et de rassemblement national qui y présidèrent. Washington poursuit son chemin vers le désordre, la discorde civile et l'irresponsabilité catastrophique.
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