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361J’ai retitré mon livre sur la destruction de la France au cinéma en insistant sur le conflit entre le Général (penser au fameux épisode du Prisonnier rebaptisé en France) et Audiard, l’Audiard du début des années soixante. Après il baisse un peu les bras quand même. Il faut bien vivre et l’âge d’or ne dure jamais longtemps.
Chez Audiard et son antigaullisme du 18 juin il y a comme chez Kerillis la conviction qu’on est face à une énorme escroquerie qui va marcher, essentiellement (je l’ajoute), grâce à la télé, à la radio (l’appel…) et à la propagande scolaire et politique – on ne change pas une équipe qui gagne depuis mettons 1870 et Gambetta (voyez mon texte sur Gambetta et Zelinski). La cinquième république achève d’enterrer et de liquider le vieux pays encore vivant dans les films de Guitry, Pagnol ou Rouquier (Farrebique, à comparer avec l’apocalyptique Biquefarre tourné une génération après) et Audiard pense avoir saisi le truc, aussi bien dans les Tontons que dans Vive la France.
J’ai un faible pour trois opus majeurs dans l’œuvre disons polémique et politique d’Audiard : les tontons, les vieux de la vieille et Vive la France. Le cave ne tient pas la route en la matière malgré cette envolée de Gabin qui nous précise à quelle sauce CBDC les banquiers centraux nous mangeront. Leur kolkhoze fleuri anti-carbone aura tôt fait de nous régler notre compte. Dans les vieux de la vielle, le trio infernal des pépés qui vont vers une EHPAD encore tenu par des bonne sœurs (au début du gaullisme il y avait encore des bonnes sœurs, quand on vous dit que le gaullisme c’est notre hyper-modernité dont d’ailleurs tous se réclament)
Et comme on parlait de Gabin :
« Pauvre con ! Le droit ! Mais dis-toi bien qu'en matière de monnaie les États ont tous les droits et les particuliers aucun ! »
Si les faux-monnayeurs ne peuvent plus faire confiance aux Etats...
J’aime aussi la rébellion des petits vieux combattants dans le classique du vénérable Grangier (un des plus méprisés de nos cinéastes, et ce n’est pas un hasard) d’autant que j’ai leur âge maintenant. On ne murit plus du reste, on devient un vieil adolescent et la comparaison avec Gabin ou Fresnay ne tourne pas à notre avantage. Mais on a aussi peu envie de se laisser casser les sabots comme on dit :
« JEAN GABIN : Y z'ont, y z'ont, y z'ont qu'y sont chez eux ! Pis qu'y z'ont passé l’âge de s'laisser casser les sabots par des opinions étrangères et conifiantes ! V'là c'qu'y z'ont !... »
Comme on sait en France les opinions sont devenues très conifiantes et très étrangères. On relire le Parlez-vous franglais d’Etiemble (esprit peu suspect d’anarchisme de droite) publié aux débuts de l’époque gaulliste.
Je rappelle que le meilleur rôle de jeunesse de Gabin c’est celui de Ponce-Pilate dans l’incomparable Golgotha de Duvivier (Le Vigan y est divin, vraiment) tourné dans notre magique Algérie française et interdit de séjour en Amérique par les moghols d’Hollywood (merde, mais pourquoi donc ?).
Mais le grand moment des Vieux c’est bien sûr quand ils règlent leur compte à nos apprentis-footballeurs pas encore trous remplacés par l’Afrika Korps. Un ban pour le doublé de connard alors :
Audiard devait passer pour misogyne auprès de nos abrutis alors que ses femmes sont phénoménales, à commencer par Françoise qui eut même une carrière hollywoodienne (elle est géniale en reine-mère dans Saraband for dead lovers, un des films les plus importants du monde dont une scène masquée est copiée plan par plan par Kubrick). Ses femmes sont des rebelles traditionnelles (le genre Vera Miles chez John Ford) et il ne faut pas leur marcher sur les pieds car elles ont des manières. On a la scène géante qui m’a inspiré mon livre quand Dominique Davray (géniale et triste dans Cléo de cinq à sept, qui montre en 1963 un Paris déjà crépuscule, vérolé par la bagnole cheap et le… terrorisme) explique l’arrivée de la bagnole et de la télé. Car on ne peut rien faire contre la technique et l’informatique et l’euro numérique nous boufferont comme devant.
On a retrouvé le texte, ce texte surhumain, évolien même, qui se suffit à lui-même :
« Chère Madame, on m’a fait état d’embarras dans votre gestion, momentanés j’espère. Souhaiteriez-vous nous fournir quelques explications?
– Des explications, Monsieur Fernand, y’en a deux : récession et manque de main d’œuvre. C’est pas que la clientèle boude, c’est qu’elle à l’esprit ailleurs. Le furtif par exemple, a complètement disparu.
– Le furtif?
– Le client qui venait en voisin. »Bonjour Mesdemoiselles, au revoir Madame »..; Au lieu de descendre après le dîner y reste devant sa télé pour voir si, par hasard, y serait pas un peu l’Homme du XXème siècle ! Et l’affectueux du Dimanche? Disparu aussi ! Et pourquoi? Voulez-vous me dire?
– Encore la télé?!
– L’auto, Monsieur Fernand, l’auto !
– Vous parliez aussi de pénurie de main d’œuvre ?
– Alors la Monsieur Fernand, c’est un désastre. Une bonne pensionnaire ça devient plus rare qu’une femme de ménage. Ces dames s’exportent… Le mirage africain nous fait un tort terrible. Si ça continue, elles iront à Tombouctou à la nage ! »
Comme on sait c’est plutôt Tombouctou qui est venu à la nage.
Audiard le remarque en se marrant dans Vive la France : la décolonisation a produit l’invasion de la France. On est passé dit-il de cinq à 300 restaus chinois en dix ans par exemple. Aujourd’hui ils sont cinq mille en région parisienne ; il faut dire qu’il y en a cinq mille partout, cf. Debord encore : « le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. »
J’aime assez aussi cette envolée de Dame Dominique :
« – J’dis pas que Louis était toujours très social, non, il avait l’esprit de droite. Quand tu parlais augmentation ou vacances, il sortait son flingue avant que t’aies fini, mais il nous a tout de même apporté à tous la sécurité. »
La base chez Audiard c’est la peur de l’Etat modernisé et des impôts et des interdictions de tout poil qui vont avec. Ce libertarien avait tout compris. Gabin s’est réfugié en Amérique du Sud comme on sait dans le Cave (en fait il est au Champ de courses à Cannes !), quand cette Amérique du Sud était encore une terre libre, y compris en matière sexuelle (Keyserling en personne en parle très bien quelque part). Et cela donne cette passe (sic) superbe : - Il est giron ton petit sommelier (NDLR : une superbe métisse) ! – Si tu veux, je peux te le bloquer pour la sieste !
Evidemment les tontons marquent une défaite double : face à l’Allemand retors qui les trahit comme toujours (c’est Medvedev qui parle du retour du nazisme avec le fritz crétin-démocrate Merz) et face aux jeunes qui sont américanisés, pédantisés par les études (Molière toujours) et qui touchent au grisbi avec des mains pas propres : aujourd’hui comme on sait ces citoyens du monde numérisés ne connaissent plus le liquide.
Un petit bijou verbal du maître-lutteur Ventura :
– Patricia, mon petit, je ne voudrais pas te paraître vieux jeux et encore moins grossier…L’homme de la pampa parfois rude, reste toujours courtois… Mais la vérité m’oblige à te le dire: Ton Antoine commence à me les briser menu!
Ajoutons que la culture célinienne de Don Miguel lui interdisait tout optimisme : il avait fait tout dire à Gabin dans le Président sur l’Europe totalitaire et ploutocratique qui advenait (et ce en pleine rodomontade souverainiste gaulliste) ; et cela donne :
« Tout le monde parle de l’Europe… mais c’est sur la manière de faire cette Europe que l’on ne s’entend plus. C’est sur les principes essentiels que l’on s’oppose…
Pourquoi croyez-vous, Messieurs, que l’on demande à mon gouvernement de retirer le projet de l’Union Douanière qui constitue le premier pas vers une Fédération future ?
Parce qu’il constitue une atteinte à la souveraineté nationale ? Non pas du tout ! Simplement parce qu’un autre projet est prêt… »
Gabin ajoute pour ceux qui n’auraient pas compris :
« Si cette assemblée avait conscience de son rôle, elle repousserait cette Europe des maîtres de forges et des compagnies pétrolières. Cette Europe, qui a l’étrange particularité de vouloir se situer au-delà des mers, c’est-à-dire partout… sauf en Europe ! Car je les connais, moi, ces européens à têtes d’explorateurs ! »
Soixante ans après ils n’ont toujours pas compris. C’est vrai que les cons ça ose tout finalement. Ça ose ne jamais rien comprendre – c’est tellement fainéant. Voir Goscinny. Je serai bien content quand Macron leur pompera quarante milliards tantôt avant de se faire réélire. Surtout les retraités, pompe-les Manu : c’est les anciens footballeurs qui accablaient les vieux guerriers d’Audiard.
Ah, ce foot, ce cyclisme pour septuagénaire harnaché comme un personnage de George Lucas…
Relisons Léon Bloy sur le sport :
« Je crois fermement que le Sport est le moyen le plus sûr de produire une génération d’infirmes et de crétins malfaisants. L’examen de quelques lignes d’un journal de sport suffit pour se former une très ample conviction. Pour ce qui est de mon « sport favori » votre ignorance montre clairement que vous n’avez rien lu de moi ce qui ne peut m’étonner, le sport et la lecture étant tout à fait incompatibles. Ceux qui m’ont lu savent que l’unique sport qui m’a particulièrement séduit depuis mon adolescence est la trique sur le dos de mes contemporains et le coup de pied dans leur derrière. »
Et comme je disais que les femmes sont des reines chez Audiard je vais citer Ginette Leclerc, ex-femme du boulanger, vous savez celle qui aime le bâton de berger mais qui a (encore) peur du curé :
« Quand ils rouvriront il sera trop tard. Tu trouveras plus personne capable de tenir convenablement une taule. T’auras du standard mais les manières seront perdues. »
Allez, on va terminer sur une note gaulliste, celle du désespoir gaulliste que nous aimons tant et que nous aimons savourer avec Debré :
« Le Général redit son analyse. Ce qui paraît le frapper le plus c’est le fait que les sociétés elles-mêmes se contestent et qu’elles n’acceptent plus de règles, qu’il s’agisse de l’Eglise, de l’Université, et qu’il subsiste uniquement le monde des affaires, dans la mesure où le monde des affaires permet de gagner de l’argent et d’avoir des revenus. Mais sinon il n’y a plus rien (p. 122). »
Je trouve qu’il a raison même si Guizot l’avait dit avant : enrichissez-vous.
https://www.youtube.com/watch?v=aaCv5XK6i34
http://tontons.flankers.free.fr/Audiard.html
https://www.dedefensa.org/article/sur-michel-audiard-et-son-antigaullisme
https://www.dedefensa.org/article/la-destruction-de-la-france-au-cinema
https://www.pandoravox.com/politique/les-lecons-du-president-quand-jean-gabin-parlait-deurope.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Davray
https://anardedroite.wordpress.com/2013/04/03/michel-audiard/
Audiard antigaulliste : le cinéma et la destruction de la France, Nicolas Bonnal