Il y a 14 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
467Sous ce titre, bien choisi (voir le 28 novembre 2011), Philippe Grasset recense les nouveaux champs d'affrontement entre puissances et acteurs géostratégiques tels qu'ils sont identifiés en cette fin de novembre 2011. Résumons, en simplifiant beaucoup, les trois points suivants:
• Le début d'un tête-à-tête entre unités militaires navales américaines et russes au large des côtes syriennes. Il est notamment marqué par l'arrivée du porte-avions russe Amiral Kouznetzov (avec son groupe de combat) dans cette zone, vers laquelle ont déjà convergé le USS George H.W. Bush et plusieurs destroyers lance-missiles de la VIème flotte opérant en Méditerranée-Est. La dictature syrienne, appuyée par une main-mise sur le Liban, représente encore une sorte de clef de voute équilibrant les rapports de force dans la région: entre chiites et sunnites, partisans et adversaires d'Israël, amis et adversaires de l'Amérique. Qui aurait désormais intérêt à précipiter sa chute? Et comment serait-elle remplacée?
Manifestement, la Russie ne se désintéresse pas de la question. Peut-on alors parler d'une relance de la guerre froide? Certainement pas à ce jour, mais d'un clivage de plus en plus net entre deux ensembles: Syrie-Russie-Iran d'une part, Occident au sens large (USA, Israël, rejoints par l'Union européenne – avec une France curieusement en pointe) d'autre part. La Turquie semble vouloir se positionner entre ces deux ensembles, de même que les monarchies du Golfe. Celles-ci en tous cas se comportent comme si désormais les USA n'étaient plus en état d'assurer seuls leur protection à l'égard de l'Iran et le cas échéant des “révolutions arabes”. Elles se rapprochent pour ce faire du Pakistan et même de la Chine, officialisant ainsi le rôle de ces deux nouveaux acteurs dans un milieu politique où grandit l'incertitude.
• La poursuite d'un tête-à-tête économique mais aussi éventuellement militaire entre la Chine et les USA dans le Pacifique. Comme nous l'avons indiqué dans un article précédent, le dernier forum économique Asie Pacifique a montré la volonté des Etats-Unis de réaffirmer leur leadership économique et militaire dans cette partie du monde, face à la Chine. Celle-ci n'a pas ouvertement réagi, mais il est apparu clair que les autres Etats de la zone avait pris acte d'un affaiblissement militaire américain irréversible, quoique puisse prétendre Obama. Ils seront donc tentés de renforcer leurs propres moyens de défense, ceci dans un climat de compétition économique accrue, tant avec la Chine qu'avec l'Amérique.
La Chine pour sa part ne pourra certainement pas abandonner la partie. Elle ne renoncera pas à ses ambitions. Verra-t-on un climat de guerre froide s'instaurer entre elle et l'Amérique, qui de son côté reste actuellement assez puissante pour défendre voire renforcer sa présence auprès de Taïwan et en mer de Chine méridionale? Il ne s'agit sans doute pas encore de guerre froide, mais on pourrait s'en rapprocher, dès le moment où Pékin jugerait ne plus avoir besoin de ménager les Etats-Unis. Ce sera le cas, malgré le poids du portefeuille chinois en bons du trésor américain, si s'accentue le désordre politique et économique de l'Amérique. Les positions que prendront dans un tel climat des acteurs majeurs comme l'Inde et le Pakistan seront là encore très importantes. Ces deux puissances semblent de plus en plus tentées d'affirmer leurs distances avec l'Amérique, mais elles peuvent difficilement choisir ouvertement l'autre camp, c'est-à-dire celui de la Chine et de la Russie.
• L'incertitude croissante concernant l'avenir des différents pays ayant subi de près ou de loin les effets du printemps arabe. Celui-ci semble pour le moment donner lieu à un printemps des partis islamistes dits modérés. Il est probable que les régimes sortis de ces élections ne s'opposeront pas directement aux Etats Unis ni aux pays européens. Mais comme ces derniers ne sont pas en mesure de leur apporter une aide sérieuse, la situation pourrait changer avec l'accroissement inévitable de leurs difficultés économiques. Même si les gouvernements islamistes arabes conservent une certaine modération, ils seront vite débordés par la prolifération de groupes armés, au Moyen Orient et surtout en Afrique du Nord, se rattachant à un islamisme de combat. Ils choisiront alors leur camp, comme semble l'avoir fait depuis longtemps l'Algérie, en affirmant une arabisation renforcée. Ils retrouveront sans doute alors à leurs côté la Turquie, le puissant Pakistan, et sans doute aussi l'Iran, voire pourquoi pas la Chine.
Les théoriciens du nouveau monde multipolaire ne s'inquiéteront pas. Ils diront que les tensions actuelles sont conformes à leurs prévisions plutôt optimistes . Un climat généralisé d'affrontement-négociations entre différents pôles succède à la paix armée des dernières décennies, qui était maintenue par l'équilibre entre les deux superpuissances. On peut espérer que ce climat ne donne pas lieu dans les prochaines années au scénario du pire, une guerre nucléaire qui ne pourrait absolument pas rester locale. Cependant il suffirait de peu pour qu'un tel événement éclate, ne fut-ce que par une imprudence de manipulation, involontaire ou provoquée par un partisan de la politique du pire.
Mais on peut craindre aussi que le monde multipolaire ne sorte prochainement de son relatif équilibre actuel, sous l'influence de deux facteurs, indépendants ou pouvant se juxtaposer. Le premier serait le développement, au cœur même du pouvoir économique et financier qui aujourd'hui domine le monde et dont le centre est à Wall Street, d'une contestation interne venue des 99% de populations refusant désormais la domination de ce pouvoir. Or celui-ci, poussé aux extrêmes, a les moyens de résister et ne se laissera sûrement pas éliminer. Une bonne petite-grande guerre permettrait de ramener l'ordre dans les rangs.
A plus long terme, les catastrophes viendront d'elles-mêmes, du fait du réchauffement climatique. Aujourd'hui à Durban, les experts du GIEC, dont plus personne aujourd'hui ne s'aventure à dénier la scientificité, prévoient des hausses inévitables de température pour le siècle, entre 3° à 5 ° centigrades. On sait les conséquences que cela aurait en termes de destructions des territoires les plus riches de la planète, de migrations et de conflits, ceci d'ailleurs bien avant 2100. Or les gouvernements s'accordent désormais sur une chose, leur incapacité à promouvoir un protocole de Kyoto plus rigoureux. On laissera chaque puissance décider de faire ce qu'elle jugera le plus favorable, entre l'intérêt général et ses intérêts propres.
Dans les deux cas, comme toujours, l'Europe n'a pas de position propre, non plus que les moyens de se faire entendre si par hasard elle en avait.
Qu'en conclure, provisoirement ou pour un plus long terme? Peut-être que les systèmes anthropotechniques que nous sommes, à quelque échelle que ce soit, peuvent éventuellement observer le monde, mais que les voies d'un passage à l'acte rationnel global qui assurerait la survie elle-même globale de tous, n'apparaissent pas. Autrement dit, la seule rationalité globale qui se dégage ressemble à celle de la lutte pour la vie entre espèces dans la nature, avec élimination d'une grande partie des compétiteurs. Ce serait l'actuelle manifestation d'un déterminisme métahistorique à l'œuvre depuis 4 milliards d'années.
Les environnementalistes de choc diront que cette élimination serait une bonne chose. Avec les raretés qui s'annoncent, il faudrait disent-ils que 80% de l'humanité disparaisse. Le mieux serait que ce soit dans le cadre de suicides massifs et socialement bien encadrés. Faut-il se battre pour faire partie des 20%, ou se résigner à disparaître ? Il semblerait que beaucoup de personnes sensées, et pas nécessairement les vieillards, envisageraient sereinement cette dernière perspective.
Jean-Paul Baquiast
Forum — Charger les commentaires