Les trois coups sont frappés

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Les trois coups sont frappés


3 février 2007 — Au théâtre, on frappe trois coups pour annoncer l’ouverture de la pièce. Selon notre symbolique, le rapport IPCC/GIEC (Intergovernmental Panel on Climate Change/Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) qui couronne la conférence sur la crise climatique de Paris pourrait résonner comme le troisième coup, après le rapport Stern et le tournant de Davos. Bien sûr, cette pièce-là est plutôt une tragédie, celle de la crise climatique ; et notre classification est symbolique, pour l’avantage de l’image.

(Cette symbolique effectivement pratique pour l’image de la chose pourrait être contestée. On pourrait y ajouter un quatrième coup frappé, celui de l’intervention du fameux Bulletin of Atomics Scientists annonçant le 17 janvier qu’il lie au danger nucléaire qui menace l’espèce, qu’il suit depuis 1947, le danger du réchauffement climatique. Cette position du Bulletin symbolise et concrétise la prise de position de la communauté scientifique dans ce qu’elle a de plus prestigieux et de plus influent. Pour elle aussi, la crise est là, urgente, extraordinairement grave, — la crise systémique par essence. Disons alors que “les quatre coups sont frappés”? Cela a moins d’allure.)

Le rapport IPCC/GIEC confirme l’urgence de la crise, achève de lancer la mobilisation planétaire selon des normes connues. Chacun y prend sa place. Chirac, bien entendu, est en première ligne. Le Monde parle d’une croisade dont le «chevalier vert s'appelle Jacques Chirac». Le discours chiraquien fut à mesure : «Le temps est à la révolution. La révolution des consciences. La révolution de l'économie. La révolution de l'action politique […] La planète souffre. [...] La nature souffre. [...] Nous sommes au seuil de l'irréversible.» Qu’importe, ces mots pompeux et grandiloquents ne le sont pas complètement puisqu’ils ont un sens, puisqu’ils s’appliquent à une matière pressante et réelle. Lorsque Chirac parle d’une «révolution des consciences [qui doit] rendre possible la révolution de l'économie» et de la nécessité d’évoluer vers «une transformation radicale de nos modes de production et de consommation», il rejoint l’idée que la crise climatique a évidemment une dimension politique immédiate, et une dimension politique très large avec des implications mettant en cause le système qui nous conduit et l’idéologie qui l’inspire.

Il y a là, désormais, une dynamique en marche. Nous insistons depuis longtemps sur la nécessité d’intégrer la crise climatique dans les conditions politiques des crises qui touchent notre civilisation, qui se résument effectivement dans la crise générale du “système qui nous conduit et [de] l’idéologie qui l’inspire”. Il faut rechercher tous les indices et les signes qui vont dans ce sens, pour mieux comprendre les conditions de cette intégration. L’un des plus importants est sans contestation possible la position des USA, avec la diversité qui la caractérise.

• Une administration fédérale arc-boutée sur son refus de considérer la moindre mesure restrictive du fonctionnement de l’économie. Sur ce point comme sur tant d’autres, les mots chiraquiens («Le temps est à la révolution. La révolution des consciences. La révolution de l'économie. La révolution de l'action politique») constituent un anathème. L’administration GW n’est révolutionnaire que dans le sens voulu par les néo-conservateurs de la révolution démocratique en Irak et autour, dans le Moyen-Orient, — et cette révolution-là a un sens économique, en cherchant à imposer le capitalisme radical, sans restriction, donc ennemi total de restrictions pour lutter contre la crise climatique.

Le lien entre le chaos irakien et les menaces de la crise iranienne d’une part, et la crise climatique d’autre part, est établi d’une façon claire, dans le sens d’une exclusion réciproque, d’un antagonisme mortel. Pour GW et son groupe, la Long War contre la terreur, avec ses points de fusion irakien et iranien, est l’ennemie mortelle de la crise climatique, par la concurrence de priorité et d’énergie, et peut-être, et même sans aucun doute, la concurrence idéologique que cela suppose. La Long War est l’expression apocalyptique de la défense inconditionnelle du système ; la crise climatique est l’expression apocalyptique, — potentielle hier, en train de s’affirmer aujourd’hui, — de la mise en cause du système. A cet égard, répétons-le, les mots pompeux et grandiloquents de Chirac ont leur place parce qu’ils ont un sens.

(GW évolue-t-il sur la crise climatique ? Il a bien été obligé de reconnaître que la crise climatique existe, dans son discours sur l’Etat de l’Union. Pour le reste, il s’en tient au refus de toute mesure régulatrice et restrictive. La technologie fera l’affaire, et rien d’autre. Le commentaire de George Monbiot du 30 janvier, dans le Guardian, de son côté, fait l’affaire : «Don't be fooled by Bush's defection: his cures are another form of denial. The president's avowed conversion on climate change is illusory. He is just drumming up new business for his chums.» Ce point est essentiel : même si la crise climatique existe, la priorité reste l’économie, à tout prix.)

• Le deuxième aspect de cette diversité américaniste mérite plus de développement. Il touche au cœur d’une crise latente des USA, à l’heure de la crise constitutionnelle centrale qui se développe, sous la pression de la crise irako-iranienne. Cela fait beaucoup de pressions (et de crises) et il est bienvenu de s’attarder à l’un de ces points de tension qui est en train de se développer rapidement. Il s’agit de la crise centrifuge de dévolution qui menace de s’étendre à partir de la crise climatique, que les pouvoirs régionaux et le pouvoir législatif envisagent d’une façon diamétralement opposée à la voie choisie par le gouvernement fédéral. Cette menace, alimentée par les pressions fusionnelles des crises washingtoniennes actuelles, qui isolent le pouvoir fédéral et le mettent en état d’antagonisme avec le reste, est pleine de potentialités déstabilisatrices. Elle annonce une crise spécifique.

Surprise, surprise, — oh non, pas tant que ça, — ce sont les Britanniques qui en sont les pyromanes… Nous voyons cela par ailleurs.