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115215 septembre 2009 — «The off-exchange derivatives market is still the Wild West», explique Sheila C. Bair, présidente de la Federal Deposit Insurance Corporation., à propos de Wall Street, un an après. C’est dans un article d’un New York Times tout de même un peu surpris, ce 12 septembre 2009, sous le titre «A Year Later, Little Change on Wall St.». “Tout de même un peu surpris”; on veut dire par là qu’après un tel cataclysme – bon anniversaire, Wall Street – tout continuant, comme on dit, “business as usual”, on en viendrait à se tourner vers la “main invisible” qui guide amicalement “le marché”, comme pour l’interroger. D’un autre point de vue, plus cynique ou plus fataliste – qui cela peut-il surprendre?, demandera-t-on. Tout de même, il faut du souffle pour ne rien changer (le “little change” du titre est une forme de style) après cette chose du 15 septembre 2008. On aurait presque envie de dire, parlant à Wall Street et dans le creux de l’oreille: “Bravo, l’artiste”.
Les “trois singes de la sagesse”, nous dit Wilkipédia, «sont un symbole représenté par trois singes, dont chacun se couvre une partie différente du visage avec les mains : le premier les yeux, le deuxième les oreilles et le troisième la bouche. Ils forment une sorte de maxime picturale: “Ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal”. À celui qui suit cette maxime, il n'arrivera que du bien.» Puisque nous sommes dans une époque virtualiste avec un zeste de gâterie orwellienne, nous dirons que les “trois singes” nous représentent l’attitude de Wall Street, de la direction du monde, de ses élites, de sa pensée: “Ne rien voir de sage, ne rien entendre de sage, ne rien dire de sage”. Ainsi en est-il de la situation, un an après.
Le New York Times nous fait donc un décompte de cette situation extraordinaire, un constat d’une situation qu’on pourrait qualifier, l’ironie un peu lourde, de pérenne…
«One year after the collapse of Lehman Brothers, the surprise is not how much has changed in the financial industry, but how little.
»Backstopped by huge federal guarantees, the biggest banks have restructured only around the edges. Employment in the industry has fallen just 8 percent since last September. Only a handful of big hedge funds have closed. Pay is already returning to precrash levels, topped by the 30,000 employees of Goldman Sachs, who are on track to earn an average of $700,000 this year. Nor are major pay cuts likely, according to a report last week from J.P. Morgan Securities. Executives at most big banks have kept their jobs. Financial stocks have soared since their winter lows.
»The Obama administration has proposed regulatory changes, but even their backers say they face a difficult road in Congress. For now, banks still sell and trade unregulated derivatives, despite their role in last fall’s chaos. Radical changes like pay caps or restrictions on bank size face overwhelming resistance. Even minor changes, like requiring banks to disclose more about the derivatives they own, are far from certain.
»Coming on the same weekend as the 11th-hour bailout of the giant insurer American International Group, and the sale of Merrill Lynch, Lehman’s failure was the climax of a cataclysmic weekend in the financial industry. In the days that followed, nearly everyone seemed to agree that Wall Street was due for fundamental change. Its “heads I win, tails I’m bailed out” model could not continue. Its eight-figure paydays would end.
»In fact, though, regulators and lawmakers have spent most of the last year trying to save the financial industry, rather than transform it. In the short run, their efforts have succeeded.»
Le compte-rendu est impeccable et nous fixe bien sur l’état des choses. C’en est à un point que certains commentateurs, ou certaines interprétations, voire certaines affirmation d’une ferme résolution tendent à nous faire penser qu’Obama lui-même jugerait que assez c’est assez... C’est le fidèle rapport que nous en faisait le Guardian, hier 14 septembre 2009: «Barack Obama will mark the first anniversary of the collapse of Lehman Brothers by demanding tighter financial regulation to avoid a repeat of the crisis. Obama will use a 30-minute speech in Wall Street today to reiterate the need for a fundamental shakeup of the banking sector, three months after he announced proposals for reform.» (Tout de même, aujourd’hui, BHO est revenu sur son audace. A nouveau, il nous dit qu’il ne faut pas trop toucher aux émoluments des banquiers.) Dans la même rubrique, on classerait la menace de Sarkozy de claquer la porte du G20 si on ne met pas bon ordre à cette situation insupportable (à propos des bonus de Wall Street et du reste) – façon pour le président français de fêter l’anniversaire du 15 septembre 2008 («Nicolas Sarkozy is threatening to walk out of next week’s G20 summit in Pittsburgh if the other nations fail to agree on curbs bankers' bonuses, the Elysée Palace said today», selon le Times du 14 septembre 2009).
Mais la situation est pathétique, si l’on prend encore une autre façon de voir, moins politique dans le genre politicien, moins sarcastique dans le genre fataliste, plus liée à l’évidence du bon sens. Cette façon de voir est pathétique et même proche du tragique en un sens, approchant les situations historiques les plus rocambolesques et les plus insupportables qu’on puisse concevoir. La situation, comme nous en préparions l’entendement dans ce cas, est bien observée, parfaitement exprimée dans cette dimension à la fois simple et tragique, par Dylan Ratigan, de MSNBC, qui fait une chronique, le 13 septembre 2009, sur Huffington.Post: les Américains pris en otage. (Et le reste, dirions-nous, puisque nous sommes tous amarrés à cette gigantesque péniche pourrie jusqu’à l’os de l’américanisme dansant sa danse macabre sur le macadam de Wall Street – Macadam cowboy, comme dirait madame Sheila C. Bair. Bref, le philosophe d’origine corse devra réviser son édito 9/11 pour 9/15 et nous confier: “ Nous sommes tous des otages américains”.)
«The American people have been taken hostage to a broken system. [...]
»It is a system that so far has forced the taxpayer to provide the banks with the use of $14 trillion from the Federal Reserve, much of the $7 trillion outstanding at the US Treasury and $2.3 trillion at the FDIC. A system partially built by the very people who currently advise our President, run our Treasury Department and are charged with its reform. And most stunningly – it is a system that no one in our government has yet made any effort to fundamentally change. [...]
»It has become startlingly clear that we as a country, and I as a journalist, had made a grave error in affording those who built and ran those banks and insurance companies the honorable treatment of being called capitalists. When in fact the exact opposite was true, these people were more like vampires using the threat of Too Big Too Fail to hold us hostage and collect ongoing ransom from the US Government and the American taxpayer. […]
»Why is this? Who does our Government work for? How much longer will we as Americans tolerate it? And what, if anything, can we do about it?
»As we approach the anniversary of the bailouts for our banks and insurers – and watch the multi-trillion taxpayer-funded programs at the Federal Reserve continue to support banks and subsidize their multibillion bonus pools, we must ask if our politicians represent the interests of America? Or those who would rob America of its money and its future?
»As a country, we must demand that our politicians stop serving those whose business models are based on systemic theft and start serving those who seek to create value for others – the workers, innovators and investors who have made this country great.»
Une suggestion, Dylan Ratigan: “Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons!”, bla bla bla… Parfois, ça marche. Enfin, passons à autre chose. Certes, ce sont des vampires, des suceurs de sang, pas des capitalistes. Mais si tout cela – vampires, suceurs de sang et capitalistes – ne faisait qu’un? Rien n’est jamais tout à fait simple dans l’argumentation lorsqu’elle prétend défendre un principe alors qu’elle en attaque avec tant de virulence justifiée les effets les plus évidents, les plus inéluctables, même si l’indignation, la fureur, l’exaspération sont dans ce cas marquées du sceau d’une grande sincérité. Par conséquent, vous ne ferez pas la révolution, comme les autres d’ailleurs. Pourtant, partout gronde la fureur révolutionnaire. Alors, que faire?
Fallait-il commémorer 9/11 ou 9/15? Ground Zero est toujours Ground Zero et la fable officielle est toujours aussi moquée et mâchonnée, et même de plus en plus. Comme l’écrit fort justement le site WSWS.org le 11 septembre 2009: «The least credible of 9/11 stories is the official one…» (Ou, si vous voulez: la seule certitude à propos de 9/11, c’est que la version officielle est fausse.) Bref, il y a débat, polémique, etc., comme si quelque chose de nouveau pouvait apparaître dans un événement qui est devenu une polémique historique majeure; rien n’a pu faire entrer 9/11 dans la normalité qui eût été d’accepter la version officielle.
Pour 9/15, rien de semblable. Tout le monde est d’accord, sans polémique nécessaire, et le coup de tonnerre du 15 septembre 2008 retentit toujours aussi fortement, les traces du cataclysme restent exactement en l’état, comme une plaie ouverte et qui refuse de se fermer, encore moins de cicatriser. Le cas le plus extraordinaire dans la situation présente, c’est l’extraordinaire contraste entre le comportement de Wall Street, comme si rien ne s’était passé, et le chœur général qui ne cesse pas, devant les décombres, réclamant que les choses changent puisque le cataclysme a tout changé. Ainsi en est-il de cette étrange situation: tout est paralysé – autant le changement radical que le retour à la normale. Certes, rien n’est réformé à Wall Street et tout continue comme avant mais, à côté, rien n’arrive à dissiper le fumet du scandale historique que représente cette situation de Wall Street, et il nous est insupportable que tout continue comme avant. 9/15 ne parvient pas à passer et la crise semble également paralysée dans l’entretien d’elle-même – paradoxe de ces crises créées par la “structure crisique” du monde et qui, au lieu de déclencher un bouillonnement de désordre et bruit, semblent se figer, comme paralysées, dans cet état étrange de ”bouillonnement immobile”. 9/15 n’entrera pas dans l’Histoire en l’état, il faut que quelque chose d’autre se passe.
Ainsi en est-il de tous les événements majeurs aujourd’hui, qui, paralysés paradoxalement dans leur dynamique de crise, sont en attente de leur dimension historique. La situation afghane, en un sens, est devenue semblable à la situation de 9/15 et de la crise que rien ne parvient, ni à boucler, ni à la faire traiter comme un événement majeur demandant réparation.
Depuis 9/15 règne une complète stupéfaction. D’une part, stupéfaction qu’il soit devenu aussi évident que tout est conforme au pire que l’on pouvait envisager, d’autre part, stupéfaction que rien ne vienne changer ce pire que l’on veut remettre en place, d’autre part encore, stupéfaction que rien ne se passe pourtant de décisif ni dans un sens ni dans l’autre. La sagesse, puisqu’il est question des “trois singes”, n’a pas déserté notre gouvernement du monde, elle s’est littéralement transformée en une folie qui se fait passer pour de la sagesse. Ce tour de passe-passe s’est fait à ciel ouvert, ne trompant personne, comme les binettes hilares des CEO de Wall Street empochant les $millions et nous gratifiant d’un bras d’honneur en prime ne trompent personne sur les intentions et sur les actes. Même les voleurs n’ont plus la sagesse de se dissimuler. On sent parfois, comme au coin d’un bois, chez l’un ou l’autre président, l’un ou l’autre Premier ministre, cette colère bouillonnante qui s’adressent aux banquiers: “Bon Dieu, aidez-nous donc à vous aider, faites-vous plus discret quand vous commettez vos rapines, quand vous empochez vos bonus!” On dirait qu’ils n’en ont cure, comme les trois singes – “Ne rien voir de sage, ne rien entendre de sage, ne rien dire de sage” – la sagesse a déserté les brigands eux-mêmes.
On parle des bonus parce qu’il faut bien singulariser son sujet, lorsqu’on prétend parler de sagesse plus que de prophéties économiques. (C’est un signe de l’extraordinaire paralysie de la crise qu’on en soit réduit, pour en débattre tout de même, au système de rémunération des banquiers, comme si tout dépendait de cela. Pour tenter de soulever la masse du vrai scandale de la crise, ou pour noyer le poisson c'est selon, on en est réduit à se déchirer sur un de ses aspects les plus mineurs, même si très spectaculaire.) Pour le reste qui est l’essentiel, voyez Stiglitz, par exemple, qui, comme les autres, nous annonce que nous sommes toujours au fond du canyon et que les blocs de pierre qui menacent de nous écraser sont encore plus lourds qu’il y a un an. Pour le reste encore, pour le sentiment vis-à-vis des relations avec Wall Street, voyez Buchanan-Reich. Il s’agit d’une colère et d’une fureur venues du cœur même de l’establishment, qui montre que, là aussi, au cœur même du système, la sagesse devenue folie du système est devenue en même temps insupportable.
Cela écrit dans une grande envolée lyrique – que faire? interroge toujours et encore l’esprit public. Pas de réponse de nos directions responsables. Nous attendons les événements de l’Histoire qui décideront pour nous, puisqu’il s’avère que nous sommes devenus impuissants à décider nous-mêmes.
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