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758Nous devrions rapidement dire par ailleurs tout le désintérêt que nous éprouvons à la lecture studieuse, et de l’intérêt que nous y trouvons tout de même à la réflexion, des prévisions à court, moyen et long terme, type NIC-2012, dans cette époque par essence imprévisible. (Il s’agit du rapport du National Intelligence Council [NIC] pour 2012, qui vient d’être rendu public à Washington, qu’on trouve sur le site du NIC, ce 10 décembre 2012. Sans crainte de l'aventure, le rapport embrasse la perspective jusqu'en 2030.) Il est vrai enfin que nous ne pensons que du bien, pour notre information, de ce que ce rapport nous dit entre les lignes et derrière les mots, car on y rencontre les pensées non exprimées, et peut-être même pas réalisées par les auteurs des textes consultés… Encore faut-il savoir distinguer les choses, ce que nous allons tenter de faire, au risque de surprendre ou de choquer les conceptions courantes, – mais qui ne risque rien…, et d’ailleurs risque joyeusement assumé.
Ici, nous nous concentrons sur le sort des USA, vu par lez NIC-2012, parce que c'est là une source intense de réflexion... Ce qui nous frappe lorsqu’on confronte toutes les appréciations concernant les USA, c’est la contradiction majeure qu’elle contient, qui résume toute la politique contradictoire des USA, le destin extrêmement incertain des mêmes USA (contrairement à la plate prévision de NIC-2012), etc. Tout cela serait sans aucun doute explicable par le fondamental facteur psychologique, bien entendu absent du rapport, qui fait désirer, dans le chef des USA, être à la fois vertueusement responsables de tout et crapuleusement coupables de rien, être présents partout et rester plus “américains” que jamais, assurer la sécurité du monde entier regroupé sous l’égide des USA tout en assurant la sécurité des USA contre le Rest Of the World, être plongés dans la globalisation avec le Rest Of the World et séparés du Rest Of the World par un cordon sanitaire comme on l’est de la source de toutes les pestes.
Notons divers élément, empruntés à droite et à gauche, pour nous conduire au nœud de notre réflexion.
• Selon l’appréciation excellente qu’en fait Russia Today, le 11 décembre 2012, le rapport met d’abord en évidence une appréciation selon laquelle certes l’hégémonie US décline jusqu’à peut-être disparaître, mais selon laquelle également les USA restent et doivent rester comme la première puissance du point de vue de la sécurité générale ; c’est une pirouette intellectuelle permettant de conserver tout son lustre aux USA déclinants bien dans la manière de la pensée-Système qui triomphe à Washington, – et dans les agences de renseignement également, semble-t-il. Sur cette appréciation de fond sont posées deux remarques, selon l’appréciation que nous voudrions faire ici. D’abord, le grand thème de la pensée économico-stratégique à la mode est présent, qui est l’autosuffisance US grâce au gaz naturel dont on découvre les réserves et l’accès, tout cela qui serait une source phénoménale pour une sorte de boom américaniste dans le cadre de l’effondrement de la chose, – dito, l’effondrement des USA. (Il s’agit de l’art moderniste de la vertu paradoxale illustrée par les délices de la contradiction.) Ce grand brouhaha concernant cette manne de l’énergie nous paraît un peu suspect, avec un débat qui nous rappelle les années 1970 ; la grande cause de l’effondrement US n’est certainement pas la question de la suffisance énergétique, malgré les phantasmes développés pour justifier après coup l’une ou l’autre guerre, pour la protection de l’accès à l’énergie alors que ce monde d’hyper-libre-échange favorise absolument la circulation maximale d’énergie dont tout le Système a besoin, partout. Il nous est très difficile d’accepter de penser que le déclin catastrophique des USA des trente dernières années tient à sa pseudo-dépendance des sources extérieures d’énergie et à la question des exportations-importations, comparée aux myriades de problèmes intrinsèques au Système : ce ne sont pas les importations d'énergie qui ont causé l'effondrement de l'automne 2008… On retrouve bien la pensée générale mentionnée plus haut (la “pirouette” en question), des USA qui doivent rester une force malgré tout un petit peu dominante bien qu’ils soient en cours d’effondrement, – aussi suggère-t-on que ce boom de l’énergie apparaît comme la recette-miracle pour accomplir la prescription… «With shale gas, the US will have sufficient natural gas to meet domestic needs and generate potential global exports for decades to come,” the report suggests in one possible outcome.»
• Ce point étant souligné avec les perspectives grandioses qu’on lit (“exportations globales potentielles pour des décennies”), nous soulignons, nous, une deuxième remarque en concordance avec ce qui précède, mais plutôt contradictoire on le verra. Il s’agit de l’insistance faite partout dans le rapport pour que les USA ne se désengagent pas, au risque de briser le mouvement de globalisation, bref de compromettre le Système… Il s’agit d’un point omniprésent, conformément à la pensée-Système dominante de la globalisation.
«The “most plausible worst-case scenario,” the report adds, involves the risks of interstate conflict increasing to the point that “the US draws inward and globalization stalls.” […] Another possibility, the writers suggest, is as “inequalities explode as some countries become big winners and others fail. … Without completely disengaging, the U.S. is no longer the ‘global policeman’” according to the Council…»
• John Glaser, dans Antiwar.com du 11 décembre 2012, s’intéresse comme il se doit à l’aspect du rapport qui concerne la fin de l’hégémonie des USA («Goodbye, Pax Americana»). Il fait une remarque très intéressante, qui concerne l’activité du Pentagone, et même son activisme, notamment sa boulimie extraordinaire de l’établissement de bases à l’étranger. On connaît ce phénomène d'extension d’un réseau de bases qui atteint peut-être et dépasse le millier (qui donnera la comptabilité exacte de ce phénomène sans précédent ?). Bien entendu ce point est développé par Glaser comme la marque d’une panique du même Pentagone : la crainte du désengagement à cause de la catastrophique et abyssale situation financière, fiscale et économique des USA. Nous soulignons en gras ce passage, sur la fin de la citation qui enchaîne sur le constat du rapport de la fin de la Pax Americana («“with the rapid rise of other countries, the ‘unipolar moment’ is over and Pax Americana—the era of American ascendancy in international politics that began in 1945—is fast winding down”»). Si l’on trouve quelques contradictions avec ce qui précède, ce n’est pas un hasard.
«Most notably since the end of WWII, the US has been pursuing global dominance through force and coercion. This project got a boost with the end of the Cold War – that so-called unipolar moment – in which the one great power rival Washington faced abruptly fell apart. The geo-political implications of this prompted euphoria among crafters of US foreign policy. In 1992, the Defense Department circulated what came to be known as the Wolfowitz Doctrine, after then Undersecretary of Defense for Policy Paul Wolfowitz. “America’s political and military mission in the post-cold-war era,” the New York Times reported, “will be to ensure that no rival superpower is allowed to emerge in Western Europe, Asia or the territories of the former Soviet Union.” America’s mission, read the DoD document, would be “convincing potential competitors that they need not aspire to a greater role or pursue a more aggressive posture to protect their legitimate interests.”
»The primary consequence of unrivaled power and dominance on the world stage is that the US could perpetrate savagery on other states and peoples with hardly any accountability or threat of retaliation. It is comparable to what happens when an authoritarian gains unquestioned power over a single country: no checks or balances, no responsibility for grave transgressions, etc.
»Now, because of a mixture of hubris, profligacy, emerging economies, and the rise of non-state actors, “the post-war US approach to strategy is rapidly becoming insolvent and unsustainable,” concluded a recent CSIS report. In some ways, Washington is taking this news kicking and screaming, desperately boosting US military presence in the Middle East and Asia. But “If Washington continues to cling to its existing role on the premise that the international order depends upon it, the result will be increasing resistance, economic ruin, and strategic failure,” according to CSIS.»
Ainsi, la couleur générale du rapport est-elle conforme à la pensée-Système : le diable, c’est le désengagement, tout ce qui rapproche de la position diabolisée de l’isolationnisme. La chose n’est pas dite pour maintenir une hégémonie US que tout le monde s’accorde à reconnaître comme très rapidement déclinante, mais d’abord pour maintenir la globalisation en l’état. C’est une appréciation qui s’accorde parfaitement à l’évolution constatée avec ce que nous nommons le bloc BAO, impliquant que les USA n’ont plus leur rôle dominant mais que tous les engagements extérieurs (des USA et du reste) doivent perdurer pour que perdure la sacro-sainte globalisation, qu’il faut décidément désigner comme globalisation-Système.
Mais ces “engagements”-là, cela signifie-t-il tous les engagements militaires ? On ne se prononce pas clairement là-dessus, mais le Pentagone, lui, a compris, et il poursuit une politique accélérée d’engagement maximal pour tenter de conserver sa puissance au sein de l’équilibre des pouvoirs à Washington, uniquement sur le fait accompli. On pourrait alors y voir une utile contribution à la consigne de non-désengagement US ? Fort bien, mais la poursuite de cet engagement militaire maximal, avec le poids fiscal que cela suppose, implique l’accélération de l’effondrement US, donc une menace générale contre le Système et, par conséquent, contre le globalisation-Système. Tout cela est un peu et délicieusement contradictoire.
Là-dessus, il y a le chant de gloire du boom de l’exploitation de nouvelles ressources énergétiques aux USA, une manne qui porte presque la promesse d’une renaissance. Il faut noter qu’on est en train de trouver partout des ressources inexploitées, des champs pétroliers ou gaziers “les plus importants du monde”, à croire que la planète-Système regorge de la chose. On connaît ces surgissements d’opportunités inattendues promettant soudain la promesse de “lendemains qui chantent” à ce Système pourri qui crève justement de sa surconsommation d’énergie : ils succèdent au période dépressives où l’on annonce que le pétrole et le gaz vont commencer à manquer dans deux ou trois ans. Ce jeu dure depuis les années 1970. Il n’a pas empêché le processus d’effondrement qui se poursuit inexorablement, parce que ces prévisions sont aussi bien des manœuvres-réflexes, type-Pavlov, du système de la communication et que la tragédie du Système n’est pas dans la disposition ou pas de ressources, mais en lui-même, dans ses vices pervers dont la consommation suicidaire d’énergie n’est qu’un aspect. D’une façon générale, par rapport aux thèmes qu’on trouve dans NIC-2012, nous observerions donc que cette manne énergétique US porte également en elle-même sa contradiction : l’autosuffisance énergétique porte en elle-même, irrésistible, la tentation du repli, de l’isolationnisme, etc., et cela va absolument contre la consigne-Système impérative qu’on a vue plus haut.
Mais qu’on se rassure… Si les USA étaient autosuffisants demain matin, leur obsession pathologique de la sécurité (la leur et celle des autres bien entendu) et de la domination du reste pour le bien du reste malgré leur déclin-effondrement les pousserait irrésistiblement à proclamer la nécessité pour eux de protéger, voire de chercher à contrôler les autres sources d’énergie extérieures, soi-disant pour assurer la stabilité de la globalisation-Système en garantissant une alimentation générale de tout le Système. Le Pentagone est habile à cette sorte d’argument, qui nous ménage la possibilité d’un nombre respectable de chouettes petites guerres … On conviendrait alors de la nécessité de poursuivre l’engagement militaire maximal (ouste, l’isolationnisme) qui constitue un des moteurs les plus efficaces de la détérioration de la situation intérieure des USA, de leur situation financière et fiscale, bref de l’effondrement structurel des USA. Cela conduirait à menacer l’ensemble de la globalisation-Système, et il faut convenir que cela est très dangereux… Nous poursuivons dans la délicieuse contradiction, dans un tourbillon, un mouvement sans fin, qui se déclinerait de la sorte, pour résumer : la globalisation-Système doit demeurer parce que c'est la source de tout (proposition 1) ; les USA déclinent très vite mais il faut empêcher ce déclin en bonne part parce que des USA tout de même puissants sont absolument nécessaires à la pérennisation de la globalisation-Système (proposition 2) ; pour freiner ce déclin des USA et sauver la globalisation-Système, il faut des miracles économiques aux USA (proposition 3) qui renforcent le goût de l'isolationnisme US et trahissent la globalisation-Système, et des renforcements de leur puissance extérieure (proposition 4) qui accélèrent l'effondrement des USA et détruisent la globalisation-Système…
Voilà donc, par conséquent, la grande trouvaille du rapport... Pour ce qui concerne les USA, c'est-à-dire pour ce qui concerne la globalisation-Système puisque tout est dans tout et inversement, il nous semble que NIC-2012 a porté à son sommet-pinacle le mécanisme magnifique du mouvement perpétuel. L’enchaînement catastrophique est superbe et paraît effectivement sans fin.
Mis en ligne le 12 décembre 2012 à 08H14
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