Les USA et les sanctions anti-Iran: désordre et bras d'honneur dans les rangs

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A la fin de la semaine dernière, quelques délégués de l’Union européenne rencontraient au département d’Etat le Special Envoy on Iran Sanctions et un assistant à l’adjoint de la secrétaire d’Etat. Ils recevaient comme “bonne nouvelle” qu’une coalition massive était en train de se former, avec notamment l’Union Européenne, l’Inde, la Chine, et “d’autres encore”, où certains auraient cru distinguer la Russie et la Turquie, notamment comme participants effectifs à l’embargo sur le pétrole iranien. Les “informations” données quasiment comme acquises par le State Department furent accueillies par les émissaires européens comme argent comptant et s’avérèrent fondées sur les renseignements que le secrétaire au trésor Geithner et d’autre envoyés US étaient assurés par avance de voir confirmées durant des visites effectuées la semaine dernière et ces derniers jours. En quelque sorte, ces visites semblaient n'être qu'un silmple déplacement de remerciement pour ce qui ne faisait plus aucun doute... Les sources proches de Geithner firent notamment état, de leur côté, de l’intérêt ou du ralliement de pays tels que la Chine, le Japon et l’Inde, et donc ce qui fut aussitôt déterminé comme leur accord acquis pour suivre la politique d’embargo du pétrole iranien. Cette vision avait été, bien entendu, entièrement acceptée par la bureaucratie de l’UE qui a vécu pendant quelques jours sur l’illusion d’un front anti-iranien puissant et sans guère de failles.

Depuis, ces pays ont réagi par l’une ou l’autre voie officielle. Ils ont largement mis en cause ou écarté abruptement la version américaniste selon laquelle ils avaient finalement été convaincus et avaient donné leur accord à la partie US. Certains l’ont fait catégoriquement, d’autres d’une façon moins directe. Ces diversités de réactions permettent de tirer des enseignements précis sur le comportement de ces directions politiques, face aux pressions américanistes fondées, du point de vue de la communication, sur la certitude quasiment a priori de la partie US que leurs interlocuteurs doivent céder sans aucun doute à leurs pressions. On peut considérer que la machinerie bureaucratique US, agissant comme d’habitude selon les conceptions et la psychologie du Système qu’elle représente, manifeste ce caractère spécifique de la psychologie américaniste que nous nommons “indéfectibilité” (incapacité d’envisager la défaite pour soi-même).

• La Turquie a eu la réaction la plus nette, et cela en réponse directe à la visite à Ankara du sous-secrétaire d’Etat William Burns, venu lundi et mardi à Ankara pour obtenir l’accord turc sur les sanctions décidées par les USA. La visite de Burns, spécialement pour la Turquie, était considérée comme un acte de pression extrêmement fort des USA, surtout venant directement du département d’Etat. L’argument était encore plus celui de la sécurité nationale que celui de l’économie (comme c’était le cas avec la visite de Tom Geithner dans d’autres pays), fondé sur la nécessité de la solidarité avec l’OTAN et les pays du bloc BAO. Dans ces conditions, cette sollicitation était clairement perçue comme une tentative majeure des USA, non seulement d’impliquer la Turquie dans la dynamique des sanctions, mais de réintégrer ce pays dans la solidarité américaniste-occidentaliste après son affirmation de politique indépendante de ces deux dernières années. Le refus turc est significatif à mesure et constitue un échec grave pour les USA. PressTV.com rapporte l’aspect formel de ce refus, le 13 janvier 2012 : «Turkey will not abide by any unilateral or multilateral sanctions against Iran, Turkish Foreign Ministry spokesman Selcuk Unal told a news conference on Thursday. Ankara would examine the content of sanctions, but commits itself to the United Nations Security Council's resolutions and not to any other sanctions by other countries, he added.»

• Une réaction très nette est également celle de la Chine. Elle est notamment relayée et répétée par le représentant de la Chine à l’ONU, Li Bao dong (le 12 janvier 2012 sur PressTV.com). C’est une position classique des Chinois, qu’ils tiennent fermement depuis qu’il est question de sanctions et de l’embargo du pétrole, selon une décision d’origine US. Enfin, sur le fait des sanctions, c’est un jugement catégoriquement négatif au profit de négociations. Une allusion est faite par Li Bao dong au voyage de Geithner à Pékin, signifiant par là, de façon très nette et contrairement aux affirmations US, que les USA ont rencontré une fin de non-recevoir à leurs sollicitations, – ce qui donne à la position chinoise, malgré ses précautions de langage, une très nette coloration anti-US.

«China has expressed its opposition to the US call for the imposition of an oil embargo on Iran, stressing that Washington should consider holding constructive talks with Tehran. Sanction against Tehran will bear no fruit. Beijing believes that sanctions will change nothing, said China's Permanent Representative to the United Nations Li Baodong in an interview with IRNA on Thursday.

»He pointed to the efforts by US Treasury Secretary Timothy Geithner to woo China for the implementation of an oil sanction on Iran and reiterated that sanctions would not be effective. “I believe that the time is ripe for Beijing and Washington to resolve problems and launch constructive direct negotiations,” Li stated.»

• Les USA comptent beaucoup sur un ralliement de l’Inde. Là aussi, l’opération paraît vouée à l’échec, avec les réactions d’un ministre (non désigné) qui tient le raisonnement déjà exposé impliquant une négociation directe avec l’Iran pour réaménager les conditions de livraison et de paiement (en roupies, et non plus en dollars) du pétrole iranien à l’Inde. C’est le site Trust.org, qui relaie Reuters et détaille cette réaction, le 13 janvier 2012.

«India will keep doing business with Tehran and sees no reason to seek a waiver from the United States that would protect buyers of Iranian oil from a fresh round of sanctions, a senior Indian cabinet minister said on Thursday. “Why should we seek waiver from the U.S.? We have done business with Iran earlier and will continue to do business,” the minister, who has knowledge of the matter but did not want to be named as the issue is confidential, told Reuters. The minister said government officials would visit Iran next week and find ways to pay for oil in light of U.S. financial measures designed to block the trade.»

• Le Japon était tenu comme acquis par les USA, pour revenir rapidement et sans délais sur son annonce initiale qu’il envisageait de poursuivre l’exportation de pétrole iranien. La chose était déjà dite dans la dépêche citée ci-dessus, annonçant, toujours selon les informations US d’un ralliement général, que le Japon “ferait comme les autres” et suivrait la consigne US («Other major buyers of Iranian crude such as Japan and South Korea do intend to secure such waivers»). Pour l’instant, “les autres” semblent, avec ceux qui rechignent ou refusent, fort peu nombreux. Le ministre japonais qui avait donné son accord à Geithner lors de la visite du secrétaire au trésor américaniste a été démenti comme ayant parlé un peu vite et pour son propre compte. (Voir Trudst.org du 13 janvier 2012, relayant Reuters.) Il reste évidemment qu’il semble assez improbable que les Japonais n’en viennent pas finalement à s’aligner sur les USA, selon ce qu’on sait de leur allégeance totale aux USA.

«Japan's policy on Iranian oil was left in doubt on Friday after the prime minister distanced himself from the finance minister's pledge to reduce oil imports in support of a U.S. push to prevent Iran from making nuclear weapons. Prime Minister Yoshihiko Noda said the pledge, made by Finance Minister Jun Azumi only a day before in a joint press conference with U.S. Treasury Secretary Timothy Geithner, was Azumi's “personal opinion” and that the government wants to discuss the matter with the business community.

»The foreign minister and the government's top spokesman also made comments suggesting Japan was not yet committed to reducing Iranian oil imports, which could potentially damage the credibility of its foreign policy and its dealings with the United States, its most important ally…»

• Les Russes, eux, parlent sécurité nationale. Rogozine, ambassadeur russe auprès de l’OTAN récemment nommé vice-Premier ministre, donnait une réception d’adieu à ses collègues de l’OTAN vendredi. Il a fait une déclaration amicale d’adieu, mais néanmoins fort politique, et il s’agissait bien du très sérieux nouveau vice-Premier qui parlait. Un point fort de sa déclaration a concerné l’Iran, qui ne fait pourtant pas partie des préoccupations officielles de l’OTAN, mais qui est confirmée comme faisant partie des préoccupations majeures de sécurité nationale de la Russie. Selon Russia Today du 14 janvier 2012, Rogozine a réaffirmé très officiellement que tout conflit concernant l’Iran constituerait “une menace” pour la sécurité nationale de la Russie, – ce qui n’est plus très loin de l’interprétation selon laquelle “si vous attaquez l’Iran, vous attaquez indirectement la Russie, – avec les conséquences…”. («The escalating conflict around Iran should be contained by common effort, otherwise the promising Arab Spring will grow into a “scorching Arab Summer,” says Dmitry Rogozin, Russia’s deputy prime minister and former envoy to NATO. “Iran is our close neighbor, just south of the Caucasus. Should anything happen to Iran, should Iran get drawn into any political or military hardships, this will be a direct threat to our national security,” stressed Rogozin.”»).


Mis en ligne le 14 janvier 2012 à 05H14