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1294Plus que jamais, décembre 2012 est annoncé comme le temps de l’apocalypse à Washington. Cette fois, c’est Mackenzie Eaglen qui développe la perspective apocalyptique de décembre 2012, déjà détaillée par nous (voir le 3 mai 2012), mais en se concentrant sur la Pentagone et l’avenir de la puissance militaire US, – avec perspective d’effondrement. Cette intervention, dans un texte long, détaillé et marqué par l’absence complète du moindre signe positif, dans AOL.Defense le 8 mai 2012, est particulièrement importante, également à cause de la position et de l’influence de Eaglen. Cette jeune femme (35 ans) est la nouvelle superstar de la pensée stratégique aux USA, plutôt version apocalypse, évènements obligent. Venue notamment d’Heritage Foundation, présentement à l’American Enterprise Institute (AEI), c’est-à-dire dans une position conservatrice interventionniste de tendance neocon, Eaglen est aussi une sorte d’“éminence grise” de Mitt Romney pour les questions de sécurité nationale au sens large (“an informal defense advisor to the Romney campaign”). Il est caractéristique qu’une personnalité si marquée par le courant interventionniste et neocon se montre si fondamentalement pessimiste dans ses appréciations ; les neocons nous avaient habitués à une exubérance nihiliste prônant le désordre créateur et victorieux partout, qui se transforme ici, en un mouvement d’inversion dramatique, par un effet de blowback impressionnant, avec le désordre frappant Washington de plein fouet.
A cet égard, pour ce qui concerne son pessimisme apocalyptique, il importe, pour la beauté du propos, de commencer l’appréciation de son analyse par la conclusion de cette intervention. L’intertitre des deux derniers paragraphes qui concluent son texte est évidemment révélateur pour qui prête attention aux symboles proliférant dans notre esprit pour appuyer le jugement qui fait de 2012 cette année décisive, ou bien l’“année métaphysique” marquant l’entame de la phase finale de la Chute pour le Système, – le reste étant une question de chronologie (quand ? A quelle vitesse ? Sous quelle forme ?... Et ainsi de suite). L’intertitre se réfère à notre fameuse affaire pseudo-mystique du 21 décembre 2012 : «Maybe the Mayans Were Right»… Suivent les deux paragraphes, qui rationnalisent la prédiction du calendrier maya, – qui ne serait aux dernières nouvelles, ô furieuse et glorieuse ironie, qu’une prédiction mal interprétée pour ce qui est du point de vue des Mayas, selon les Mayas eux-mêmes ; ce qui montrerait que les Mayas étaient fort peu intéressés par le sort du Pentagone & compagnie…
«December 2012 is shaping up to be a cataclysmic month. Outside of the halls of Congress, the world is facing a witch's brew of challenges, including the European debt crisis, the continued development of the Iranian nuclear weapons program, and tensions involving North Korea that take us to “within an inch of war” daily according to Secretary Panetta. All of these factors combine with the American presidential elections, a possible debt downgrade, the specter of an economic shock from three tax cuts expiring simultaneously and an ongoing strategic pivot to Asia where a rising great power competitor regularly tries to undermine American power.
»The world is becoming increasingly scary at the very time that the military will be facing 20% reductions. With each passing day, the world closes in; with each passing day, our ability to manage that world degrades.»
On observera que, dans cette conclusion, Eaglen ne cite que quelques-unes des crises éparses hors-USA. (C’est-à-dire “le reste”, dans notre titre.) Il faut dire qu’elle a consacré le corps de son analyse à l’écrasante situation budgétaire et financière de Washington, qui est le cœur brûlant de son interprétation, qui est contenu dans sa réserve “Outside of the halls of Congress…”. Comme on l’a vu, cela concerne essentiellement le Pentagone, puisque c’est tout le sujet de l’attention de Eaglen. Mais l’intérêt du propos, et par conséquent sa généralisation à l’entièreté de la situation de la puissance US, est bien que le sort du Pentagone s’inscrit dans une situation générale, qui est elle-même apocalyptique dans sa perspective. La menace de “séquestration” (signalant dans ce cas les réductions automatiques dans le budget du Pentagone décidées en août 2011) s’inscrit nécessairement dans un cadre global, qui concerne toute la puissance budgétaire et financière des USA, – car, bien entendu, la dette colossale des USA vaut pour tout le monde, dans le monde du Système.
Ainsi Eaglen peut-elle écrire que “le budget militaire est otage d’une bataille politique bien plus large”. Cette “bataille politique” est caractérisée par une impasse (gridlock”), un embouteillage dans le sens d’une paralysie totale du trafic par accumulation des facteurs actifs allant dans ce sens. La même “bataille” est caractérisée, d’une façon générale, par l’impuissance et la paralysie désormais avérées du pouvoir à Washington, notamment au Congrès dont dépendent toutes les initiatives budgétaires. Cette impuissance et cette paralysie vont s’exercer désormais sur une situation budgétaire et financière, en fonction de la dette, qui est déjà, en elle-même, une impasse.
La date butoir de décembre 2012, où doit notamment intervenir le processus de “séquestration”, n’est d’ailleurs pas un événement brutal… L’événement a déjà commencé, à cause des blocages anticipées, des mesures prises dans ce sens, qui appréhendent la crise en voulant s’y préparent, et qui finalement en aggravent les conditions, avec des conséquences générales évidemment négatives sur l’économie, l’emploi, etc. Eaglen écrit donc ceci, qui vaut pour le Pentagone qui est son centre d’intérêt, mais qui vaut pour la situation en général : « Worse still, sequestration is already having an impact… […] Soft sequestration has already begun.»
Les perspectives générales ne peuvent qu’aggraver cette situation générale dont on sent déjà les effets. Dans ce contexte, d’une façon extrêmement significative, l’élection présidentielle perd de plus en plus de son importance, tant elle est vue comme affectant un centre (la présidence) qui n’est rien d’autre qu’une prison de plus installée par le Système, pour réduire à rien les capacités d’intervention de ce centre de pouvoir… Plus importante que l’élection, par exemple, l’évolution des agences de notation, – ce qui montre bien qu’il n’y a pas que les Européens à souffrir de ce que l’Europe considère comme une arme arbitraire des USA et du Système. Les USA eux-mêmes sont prisonniers de leurs propres armes, – dans la mesure où ces armes ne sont plus que des fonctionnalités du Système, retournés contre tous les serviteurs du Système, y compris le principal d’entre eux (les USA), puisque le Système est désormais passé de la dynamique de surpuissance à la dynamique d’autodestruction.
«The election is unlikely to change these dynamics. Worse yet, another less anticipated shock could disrupt the system. When the Standard and Poor's downgraded America's credit rating in 2011, the loss of the AAA rating was not the end of the game-it was the beginning. As S&P noted at the time: “The outlook on the long-term rating is negative. We could lower the long-term rating to 'AA' within the next two years if we see that less reduction in spending than agreed to, higher interest rates, or new fiscal pressures during the period result in a higher general government debt trajectory than we currently assume in our base case.-”»
Ainsi Eaglen détaille-t-elle le sort affreux qui attend le Pentagone, c’est-à-dire une immense confusion, un dérèglement complet d’une usine à gaz déjà paralysée dans son paralyzie, son gaspillage, son impuissance bureaucratique, son technologisme entré dans un processus d’inversion, sa corruption intense, etc. Ce qui est en jeu, évidemment, c’est tout le mécanisme déjà poussif et délabré, d’alimentation et de fonctionnement de la soi-disant toute puissance militaire des USA.
«…There are three likely scenarios when it comes to the final amount of defense cuts over the next decade. The new floor is the President's budget request, which cuts $487 billion. Full sequestration would cut $1 trillion. The “split the baby” option outlined above would cut somewhere between $600 and $850 billion. Secretary Panetta has already outlined many of the possible program cutbacks, delays, and terminations that could take place under full sequestration. Just a few of these include the F-35, the next-generation bomber, the Littoral Combat Ship, delaying the SSBN (X) and permanently cutting the inventory of boats to 10, European Missile Defense, and eliminating the ICBM leg of the nuclear triad.
»But how would the “Goldilocks” scenario of $600 to $850 billion in spending reductions impact the military? Because only a few systems comprise an overwhelming percentage of the Pentagon's modernization budget, virtually all the same programs would still be harmed, delayed and possibly broken permanently as during full sequestration. The F-35, Littoral Combat ship, V-22 Osprey, the Maritime Prepositioning Force, Ballistic Missile Defense, the next-generation bomber, the SSBN (X) and one or two Carrier Strike Groups could all be canceled or delayed indefinitely. These cuts would have a reduce the capacity of the military to meet all of its global obligations quickly, harm the services' anemic modernization plans, lead to layoffs at depots, bases, and factories, and would effectively halt any strategic pivot to Asia.
»Although the lame duck scenario presupposes that sequestration can wait until January, sequestration starts now. In fact, the worst of sequestration will hit in the October to December timeframe, not in January [2013], as the Pentagon and contractors start anticipating the major cuts. BB&T's Devaney writes that DoD will change what it is buying in anticipation of sequestration resulting in lost revenue, lost jobs, and a depleted defense industrial base. In fact, the Pentagon will begin a “soft shutdown” in preparation for a "hard stop" of programs on January 2 [2013]. This means that even if Congress passes a lame duck deal, it may already be too late for some furloughed people and programs. […]
»This autumn will feature a sort of “soft sequestration”’ […] DoD will not receive funds until the second half of this fiscal year, and once it has cash in hand, will not receive a full year's dollars but rather periodic inflows of cash. As a result, major contract actions will be held in abeyance. Furthermore, many DoD program managers will delay soliciting bids for programs until they have cash on hand or the cloud of sequestration is lifted.
»Both of these factors will create a massive bow wave in spending at the end of the year that the system may not be able to fully absorb, resulting in schedule slips and cost increases. These will, in turn, hurt the ramp for Pentagon programs, making them un-executable in the next fiscal year. The cost of the program will subsequently rise and increase the likelihood of further reductions or outright cancellation.
»On top of all this is the reality that government and industry officials will make certain assumptions in the absence of action by Congress regarding what will ultimately be appropriated. The expected lower amount will drive decision-making as defense officials obligate the dollars they ultimately receive. For instance, many construction projects may be canceled outright when they might have simply been delayed in previous budgetary cycles. Finally, operating at reduced funding for a fraction of the fiscal year means personnel and O&M accounts will be short of dollars. The Pentagon will move money from other urgent priorities to cover the gaps in these “must pay” shortfalls, shortchanging other priorities like modernization.
»Nor will the effects of soft sequestration be limited to the Pentagon. Just as DoD cannot wait until lame duck to begin layoffs in anticipation of sequestration, industry will begin looking at layoffs, as well. According to the WARN Act, industry is required to notify its employees of furlough 60 days prior to the action. As Lockheed Martin CEO Robert Stevens said, “The very prospect of sequestration is already having a chilling effect on the industry. We're not gonna hire, we're not gonna make speculative investments, we're not gonna invest in incremental training because the uncertainty associated with $53 billion of reductions in the first fiscal quarter of next year is a huge disruption to our business.”»
On peut aussi mentionner, comme corollaire de cette situation générale, les gémissements du secrétaire à la défense Panetta, dont le visage exprime toute la détresse, devant le Congrès qui ajoute des suppléments à son budget pour lancer des programmes dont le Pentagone ne veut pas, enchaînant le Pentagone à de nouveaux cycles de dépenses alors qu’il va se trouver confrontés à des réductions structurelles dévastatrices. Donc, un petit coup d’œil en passant au texte de DoDBuzz du 10 mai 2012 (qui rend également compte de l’intervention de Eaglen), sur l’audition de Panetta et de son chef d’état-major général, le général Dempsey, devant la commission des forces armées de la Chambre. Le texte est intitulé simplement : «Gridlock»…
«Like a novice driver ruining a manual transmission, Washington ground its gears to pieces this week, almost guaranteeing no real action on the major questions of the day until at least after the elections. The House Armed Services Committee passed an authorization bill that adds billions to the Defense Department’s spending request from earlier this year, as well as keeps Navy ships, Air Force aircraft, and backs a new East Coast missile defense site, among many other things. Secretary Panetta and Joint Chiefs Chairman Gen. Dempsey said Thursday that they oppose it, pointing out that Congress itself last year mandated that DoD must take its medicine as part of the effort to reduce the U.S. deficit. […T]he House’s plan, Panetta said, “is not balanced, it’s not fair and ultimately the Senate isn’t going to accept it either. All we’re going to head for now is more gridlock and that’s what bothers me.”»
On comprend que tout cela concerne le Pentagone, ce qui n’est pas rien, mais pas seulement le Pentagone. Ces diverses passes d’arme illustrent d’une façon écrasante l’impuissance totale où se trouvent toutes les directions des forces fidèles au Système, devant les pressions et le désordre engendrées par la dynamique d’autodestruction du Système. Effectivement, la seule énigme qui subsiste concerne la forme, le fracas et la chronologie que va prendre l’effondrement du Système… Sauf que, finalement et après tout, comme Eaglen nous le laisse entendre, nous l’avons devant nous, sous nos yeux et déjà bien commencé, l’effondrement du Système. Même les Mayas n’avaient pas prévu cela.
Mis en ligne le 12 mai 2012 à 11H21
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