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560528 novembre 2019 – L’un des problèmes non négligeables de notre époque d’intense communication, c’est le degré d’ironie dont devrait faire preuve le fameux “solitaire cognitif” (*) que nous sommes tous plus ou moins, d’une façon ou l’autre, dans telle ou telle circonstance qu’il faudrait savoir éviter comme on passe entre les gouttes, pour finalement lire précisément ce qu’un texte peut lui dire et vous dire (et non pas nécessairement “veut lui dire et vous dire”, car là souvent commence la tentation de la manipulation).
L’écrit est aujourd’hui une aventure étonnante, et la lecture de cet écrit pas moins, aventure où vous êtes laissé à vous-mêmes, absolument solitaire, pour bien vous y retrouver. Prenez les mots pour ce qu’ils peuvent dire, pour leur puissance, leur charge personnelle et naturelle, tout ce qui existe en eux avant même qu’ils soient choisis et écrits. Lisez enfin comme si c’était un logocrate qui les avait écrits, un de ces êtres qui emploient les mots de telle façon que, si même il voulait vous tromper il n’y arriverait pas vraiment parce que dans l’incapacité de déformer vraiment la nature des mots.
Cette entrée en matière, qui peut paraître énigmatique mais qui conviendrait sans doute pour chaque texte que l’on écrit par ces temps qui courent follement, dans tous les cas dans le sens que je crois pour ce qui est de ce site dedefensa.org qui dédaigne absolument de se laisser emporter par la folie de la Fin des Temps, cette entrée en matière introduit une lecture, une interprétation, d’une situation qui pourrait paraître à certains absolument et suffisamment abracadabrantesque jusques à y flairer le simulacre, à d’autres incompréhensibles, etc. Il s’agit, – attachez vos ceintures, – d’une situation ukrainienne.
Il s’agit surtout d’une intervention d’un oligarque ukrainien, Ihor Kolomoïski (plutôt que Kolomoïsky pour mon compte) dont il nous arriva une fois de parler comme d’un homme sans guère de foi ni de loi, excessivement cruel et farouchement antirusse, juif et créateur de certaines unités ouvertement fascistes sinon nazies, et donc antisémites pourrait-on supposer. Kolomoïski est un milliardaire aux méthodes extraordinaires, qui arrive à gruger même ses pairs, comme le raconte Poutine selon le rapport qui en est fait dans l’article de Daniel Lazare, dans Strategic-Culture.orgle 26 novembre...
« Ce n'est pas comme si les experts n'avaient pas été avertis. En 2014, alors que le New York Times célébrait Kolomoïski comme un héros de la lutte contre l'antisémitisme, le quotidien libéral israélien Haaretz le décrivait beaucoup plus précisément comme un oligarque mafieux qui éructe des injures et des insultes ; qui garde dans son bureau un énorme aquarium rempli de requins pour qu’il puisse y jeter des crevettes vivantes et voir comment les visiteurs réagissent à la frénésie alimentaire qui en résulte, et qui a déjà été repéré portant un t-shirt avec l’inscription “Zhidobandera”, – une double insulte visant les Juifs (“Zhid” est une injure ethnique) et les nationalistes ukrainiens (appelés “Banderovtzi” par leurs adversaires car ils adorent Stepan Bandera, un des collaborateurs des Nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale).
» Vladimir Poutine a émis un avertissement similaire à peu près au même moment. La malhonnêteté de Kolomoïski, dit-il, est “unique”.
» “Il a même réussi à tromper notre oligarque Roman Abramovich il y a deux ou trois ans”, a déclaré le président russe au sujet du propriétaire milliardaire de l'équipe de football anglaise de Chelsea. “Il l’a arnaqué, comme disent nos intellectuels. Ils ont signé un accord, Abramovich a transféré plusieurs milliards de dollars, alors que ce type, Kolomoïski, n’a rien livré de ce qui était promis et a empoché l'argent. Quand je lui ai demandé : “Pourquoi as-tu fait ça ?”, [Abramovich] m’a répondu : “Je n’ai jamais pensé que c’était possible” »
Auparavant dans son article, Lazare faisait une rapide présentation du sujet qui l’amenait à parler de l’oligarque ukrainien, un homme réputé tenir le président Zelenski de toutes les façons, y compris les plus intimes, exactement comme on tient une marionnette obéissante au doigt et à l’œil. (Zelenski, dont on sait qu’il était un comique-TV avant d’être président, ce qui est une voie normale pour y arriver, travaillait dur sur la chaîne 1+1 appartenant à Kolomoïski et c’est ce même Kolomoïski qui l’a convaincu de se lancer dans la campagne ; d’abord sur le mode-plaisanterie avec un gros rire et une claque dans le dos, puis sérieusement, l’alimentant en argent comme il se doit pour faire sa campagne qui a sonné le “roi du chocolat”, son adversaire président-sortant.)
Le sujet précis dont se nourrit l’article de Lazare, j’y arrive, n’est rien moins qu’une interview de l’oligarque dans le New York Times, la fameuse Grey Lady qui nous éclaire de son savoir :
« Le New York Times n'est pas réputé pour sa vivacité d’esprit, mais une interview qu'il a récemment publiée avec le milliardaire ukrainien Ihor Kolomoïski apparaît comme une exception confirmant la règle. En grand homme réputé investisseur baissier qui ne croit pas aux nuances de gris, – sauf quand il s'agit de ses propres moustaches, – Kolomoïski ne retient pas sa langue quand il s’agit de décrire le double jeu américain et sa conviction qu’un rapprochement avec la Russie est la seule issue pour l’Ukraine. »
Les Russes de RT ont fait un articlesur l’interview de Kolomoïski par le NYT, le 14 novembre (l’interview était daté de la veille), avec les propos pleins de feu et de sel de l’Ukrainien. (Ci-dessous, l’essentiel de l’article de RT, avec une traduction française de Petrus Lombard sur RéseauInternational, sous le tire de « L’OTAN va salir son pantalon ».)
« Ihor Kolomoïski, l’oligarque perçu par beaucoup comme le pouvoir de l’ombre se tenant derrière le président ukrainien Zelenski, a radicalement changé d’avis depuis la rébellion de Maidan en 2014.
» À l’époque, il était l’allié du président proeuropéen Petro Porochenko, qui l’avait même nommé gouverneur de la région de Dniepropetrovsk. Une fois installé là-bas, Kolomoysky a promis de récompenser la capture de combattants des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, qui se battaient contre les nouvelles autorités de Kiev, et il a dépensé 10 millions de dollars par mois pour déployer sa propre milice privée, ainsi que pour financer des unités de volontaires ultranationalistes, comme le bataillon néo-nazi Azov.
» “Il nous suffira juste de les tuer”,disait-il à l’époque en parlant des rebelles.
» Maintenant ? Lors d’une interview avec le New York Times, il a dit penser désormais que s’allier avec la Russie est le meilleur parti à prendre pour Kiev.
» “De toute les façons, ils sont les plus forts. Nous devons améliorer nos relations. Les gens veulent la paix, vivre bien, ils ne veulent pas faire la guerre. Et vous [les États-Unis], vous nous obligez à faire la guerre et ne nous donnez même pas d’argent”,a-t-il précisé en évoquant le fait que le Fond monétaire international allait retarder l’octroi d’aide à l’Ukraine jusqu’à ce que le gouvernement retrouve l’argent disparu de Privatbank, la banque de Kolomoysky – l’argent que Kolomoïski est accusé d’avoir détourné.
» “Vous ne nous aurez pas tous”, a dit l’oligarque à propos de l’UE et de l’OTAN. “Il ne sert à rien de perdre du temps en conversations creuses. Attendu que la Russie aimerait s’engager avec nous dans un nouveau pacte de Varsovie.”
» Selon Kolomoïski, le FMI pourrait être facilement remplacé par des prêts russes. “Nous prendrons 100 milliards de dollars aux Russes. Je pense qu’ils aimeraient nous les donner aujourd’hui. Quel est le moyen le plus rapide de résoudre les problèmes et de restaurer les relations ? Uniquement l’argent.” [...]
» Kolomoysky n’est pas découragé par la perspective qu’un démocrate prenne le pouvoir [aux USA]l’année prochaine et sévisse.
» “S’ils deviennent impertinents avec nous, nous irons en Russie. Des chars russes seront stationnés près de Cracovie et de Varsovie. Votre OTAN souillera son pantalon et achètera des Pampers” a-t-il confié au New York Times.
» Bien que Poutine voit en lui un ‘escroc’ et ‘un aimable opportuniste’, Kolomoïski est certain que Kiev se tournera vers la Russie.
» “Je décris objectivement ce que je vois et vers où on se dirige”, dit-il. »
Un dernier mot, je veux dire une dernière citation après ce compte-rendu de l’interview de Kolomoïski par le NYT, et aussi après les considérations d’une ironie amère et méprisantes de Lazare rapportant les remarques de Poutine et le goût du détail de Haaretz avec l’emploi du mot gonif qui est un des nombreux mots d’hébreu pour désigner un escroc, un bon à rien, etc., – et dans ce cas, on devine de qui il s’agit n’est-ce pas :
« Mais qui écoute Poutine ? Et qui se soucie de lire Haaretz ? Lorsque les Russes disaient que Kolomoïski était un bon à rien, le département d'État en déduisaient aussitôt qu’il était le contraire. Maintenant qu'il s'avère être précisément le ‘gonif’ que Poutine a dit qu’il était, les experts blâment Trump, Zelenski, – et la Russie parce qu’on n’est jamais trop prudent, – ils blâment tout le monde et n’importe qui, c’est-à-dire tout sauf eux-mêmes. »
Prenez tous ces mots, toutes ces déclarations, toutes ces considérations et faites-les valser pour en tirer des conclusions qui ne seront pas sans intérêt ; et faites cela avec un certain détachement, une certaine ironie, ne craignez pas d’ajuster vos références à ce que votre ironie vous suggère sur les valeurs de tous ces personnages, - et les plus remarquables à cet égard, qui est celui du ridicule, sont peut-être bien et même sans aucun doute les “experts” aussi bien de l’OTAN, de l’UE que de “D.C.-la-folle”, qui tressaillent juste un peu en entendant l’escroc-Kolomoïskiéructer des insultes et parler de reconstituer un nouveau “Pacte de Varsovie” de l’Ukraine avec les Russes. (Je propose une autre traduction, plus conforme à l’esprit de l’oligarque : « Si Kiev finit par unir ses forces avec Moscou, alors des chars russes seront stationnés autour de Cracovie et de Varsovie et encercleront la Pologne. Votre OTAN pissera dans son pantalon et devra acheter des Pampers. »)
Revenez cinq ans en arrière, lorsque la crise ukrainienne était à un tel paroxysme que l’on parlait de la possibilité d’une guerre nucléaire (y compris dedefensa.org, oui monsieur, nous n’y coupions pas une seule seconde). Kolomoïski était déjà dans le jeu, et ô combien, et tout le monde en parlait presque avec terreur comme celui qui allait terrasser la Russie. Le monde était au bord du gouffre, et dans l’événement la tragédie écartait décisivement le côté bouffe. Rendez-vous compte, à quel tintamarre nous aurions eu droit si Kolomoïski s’était mis à dire alors ce qu’il dit aujourd’hui au NYT, et nous-mêmes d’ailleurs, je veux dire à nouveaudedefensa.org, et comment encore, et comment y échapper...
Aujourd’hui ? Même les Russes, par moment, haussent les épaules et secouent la tête en entendant toutes ces conversations surréalistes ; remarquez bien, je crois qu’ils le font autant, sinon plus, à propos des “experts” du bloc-BAO qu’à propos de l’escroc-gonif, – ils appellent ça, les Russes, à propos des “experts”, – “gérer le malade”. Il faut avoir à l’esprit que ces “experts”-là continuent à peser le pour ou le contre, à évaluer les déclarations de Kolomoïski, à y voir encore une fois la grosse sale patte pleine de doigts de Moscou et à se féliciter les uns les autres d’être finalement si clairvoyants. C’est là et pas ailleurs que se trouve le véritable “tourbillon crisique”, dans la tête de toute notre remarquable civilisation si absolument satisfaite d’elle-même, cette “idiocratie” comme dit Cerise :
« Les capacités intellectuelles de la population sont en chute libre, y compris dans les plus hautes sphères ésotériques du pouvoir, qui n’est pas une oligarchie mais une idiocratie, composée de crétins incapables de comprendre que leur gouvernance par le chaos (Ordo Ab Chao) est mauvaise aussi pour eux. Le pouvoir passe son temps à fragmenter la société, mais lui-même perd son unité et se décompose. »
Écoutez donc parler et chanter les mots, tous ceux qui tournent autour de telle ou telle affaire, telle ou telle crise, et référez-vous au climat de notre étrange époque, à la chute incroyable de notre décadence année après années, mois après mois ; tiens, mesurez la différence de vigueur intellectuelle et de fermeté de caractère entre 2014 et le “coup de Kiev” où notre décomposition était déjà diablement avancée, et comment donc, et aujourd’hui où l’on retrouve les mots de Kolomoïski dans les colonnes de la Grey Lady, leur fameux New YorkTimes bouffi de prétention et d’arrogance en écrivant des phrases littéralement sans mots, je veux dire avec des mots châtrés de leur nature profonde, un langage d’automate lobotomisé-zombistorisé et livré vite-fait aux bons soins d’Amazon...
Au bout du compte, le solitaire-cognitif n’a plus aucune crainte de la solitude et ne craint plus l’effondrement cognitif. Au moment où l’on fait ce constat de l’effondrement cognitif, on s’aperçoit que ce qui s’effondre en vérité ce sont les structures en carton-mâché de l’idiocratie qui est censée nous diriger et nous influencer. Et sans doute Kolomoïski éructe-t-il et rote-t-il de plaisir de voir ce spectacle où, cette fois, sans aucun doute, le bouffe l’emporte sur la tragédie... Regardez autour de vous, les solitaires, un seul coup d’œil suffit : avec des gens comme ça, croyez-moi, il vaut mieux être solitaire.
(*) L’expression “solitaire cognitif” venant du titre « Solitude cognitive du citoyen – ... Ou l’entropisation de la réalité » du même titre référencé, auquel s’était à son tour référé un lecteur d’un autre texte, celui-là sur le sort terrible du secrétaire à l’US Navy. Le commentaire de ce lecteur avait montré une telle obscénité dans l’incompréhension de sens de ce propos que je m’apprêtais à y répondre, lorsqu’un autre lecteur le fit à ma place, et si fort bien ma foi qu’il m’ôta la plume de la bouche... Cela pour dire que la “solitude cognitive”, lorsqu’elle est mal comprise et mal vécue, est d’abord le piège du fait de ne pas lire avec assez d’attention, de prendre tout écrit pour de l’acquis, et en plus de le lire de travers, sans prêter attention à la qualité de la chose, à la musique des mots qui mesure sa profondeur, aux nuances qui y sont introduites, éventuellement au second degré et à l’ironie qui sont faites pour vous suggérer ce que l’on peut ressentir d’enrichissant et de juste, et vous permettre de découvrir de vous-même le ridicule extraordinaire caractérisant notre époque, – vous savez le bouffe de la tragédiebouffeque nous vivons chaque jour.