L’éternel retour de l’isolationnisme

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L’éternel retour de l’isolationnisme


14 octobre 2004 — La chronique de Patrick J. Buchanan, du 13 octobre sur Antiwar.com, est triomphante. Buchanan est reconnu comme l’un des leaders de l’aile isolationniste des conservateurs américains. Il croit pouvoir annoncer le retour de l’isolationnisme : « The Resurrection of “America First!” » Il cite un article de Franklin Foer, qui n’est pas, lui, un isolationniste, annonçant dans le New York Times du 10 octobre : « Once Again, America First ».

L’expression “America First” est utilisée ici en termes de symbole. Il s’agit du nom du puissant mouvement qui réunit les tendances isolationnistes aux USA, entre 1935 et 1941 et réunit jusqu’à 800.000 affiliés, qui fut expressément “diabolisé” (en même temps que le terme “isolationnisme”) après Pearl-Harbor, et accusé de tendances fascistes et antisémites. (Foer écrit : «But the America First Committee achieved a significant following in the late 30's. At its pre-Pearl Harbor peak, it claimed approximately 800,000 members — and not just angry farmers and protofascists. Its Yale Law School chapter included Gerald Ford and Potter Stewart, the future Supreme Court justice; John F. Kennedy sent the organization a $100 check. »)

Mais l’expression a effectivement une valeur symbolique. Elle exprime un sentiment de plus en plus répandu, quoique non encore représenté politiquement, de profonde lassitude devant l’interventionnisme belliciste et unilatéraliste actuel des Etats-Unis. Cette lassitude est à la mesure des difficultés énormes que rencontre aujourd’hui la politique interventionniste US. Elle pourrait, selon Foer, disloquer la coalition qui a soutenu GW Bush et ses inspirateurs néo-conservateurs depuis le 11 septembre 2001.

Ayant signalé des signes incontestables de cette évolution, comme le ralliement du célèbre chroniqueur conservateur George F. Will au camp anti-guerre en mai 2004, Foer écrit :


« On the 2000 campaign trail, [Bush] promised a “distinctly American internationalism” that would provide “idealism, without illusions; confidence, without conceit; realism, in the service of American ideals.” Of course, after 9/11, Bush dispensed with this doctrinal neutrality. And in adopting a neocon foreign policy, he rallied most conservatives behind his ambitious agenda, a dramatic turnabout in opinion from the 90's.

» Will this consensus hold? Already, many conservative writers seem primed to abandon it. Even when they haven't gone as far as Will or Carlson in their criticisms of the war, they have flashed their discomfort with Bush's goal of planting democracy in Iraq. National Review has called this policy “largely, if not entirely, a Wilsonian mistake.” With these signs of restlessness, it's easy to imagine that a Bush loss in November, coupled with further failures in Iraq, could trigger a large-scale revolt against neoconservative foreign policy within the Republican Party. A Bush victory, on the other hand, will be interpreted by many Republicans as a vindication of the current course, and that could spur a revolt too. If the party tilts farther toward an activist foreign policy, antiwar conservatives might begin searching for a new political home. In the meantime, the publishing industry may be providing a test of the Bush consensus: Pat Buchanan's new book, “Where the Right Went Wrong: How Neoconservatives Subverted the Reagan Revolution and Hijacked the Bush Presidency,” has already climbed onto the New York Times best-seller list. »


Des conditions semblables, — des revers politiques mettant en cause l’interventionnisme ou l’internationalisme et réactivant des tendances isolationnistes, — ont déjà existé depuis 1941. Aucune n’a connu, et de loin, des conditions aussi favorables pour s’épanouir.

• A aucun moment la puissance américaine n’a connu de telles difficultés qu’aujourd’hui à cause de cet interventionnisme, avec mise en cause de ses capacités militaires, fardeau budgétaire considérable, perte d’influence à l’étranger, etc.

• Il n’existe aucun “Ennemi” extérieur nécessitant des engagements massifs, comme l’URSS jusqu’en 1989-91. Au contraire, on peut concevoir la lutte contre le terrorisme à partir d’une forte protection sécuritaire des USA continentaux et des interventions extérieures ponctuelles, légères, en coopération avec divers autres pays, qui s’apparenteraient aisément à une politique de type, disons, néo-isolationniste (certainement, par comparaison à l’engagement massif actuel).

• Il existe d’ores et déjà une évolution isolationniste aux USA, depuis septembre 2004 : évolution sécuritaire (restrictions d’entrée, d’immigration, de séjour, etc, aux citoyens non-US ; surveillance et tracasseries sécuritaires aux frontières ; etc). Il existe également, et de façon beaucoup plus frappante, un isolationnisme psychologique, une rupture du comportement US et de la vision du monde US, par rapport au comportement et à la vision du monde du reste du monde.

…Mais, par-dessus tout, sans aucun doute, le plus puissant facteur alimentant une tendance isolationniste se trouve dans les énormes difficultés de la politique interventionniste, et même dans l’humiliante impuissance de l’Amérique dans ses interventions extérieures, telle que la décrit l’ancien ambassadeur US Peter Galbraith dans un article dont le titre résume l’infortune de l’actuelle politique d’un point de vue extrêmement pratique : « Bush's security plan now rests on nothing but hope — America doesn't have the troops to deal with North Korea and Iran ».

S’il devait y avoir effectivement un retour aux USA à l’isolationnisme, ou à un certain isolationnisme, ce serait un événement littéralement sans précédent. Il s’agirait en effet d’un retrait isolationniste à la suite de ce qui serait partout perçu comme une défaite, alors que l’isolationnisme US a toujours été, jusqu’ici, un choix politique à partir d’une position de force qui permettait d’envisager d’autres alternatives.

Buchanan fait clairement de cet éventuel “retour de l’isolationnisme” une bipartisan issue et non pas une question propre au seul parti conservateur. Bien que républicain, il s’adresse, pour l’élection qui vient, aux deux candidats : « Either the party that wins in November gives us such a policy, or it will be thrown out of office in 2008. » Et il fait de l’isolationnisme une question américaine fondamentale : « [T]he foreign policy routinely disparaged as “isolationism” is always on the table. It is the foreign policy most deeply rooted in America's history, heart and vital interests. It is no more going to be “extinguished” than is Christianity. It is our oldest tradition. »

Aujourd’hui, aux USA, toute question d’évolution politique significative est perçue en termes de survie de la Grande République. Une sorte d’appréciation messianique et radicale de l’avenir de l’Amérique, ce en quoi GW aura réussi à imprégner l’état d’esprit de l’Amérique de son propre état d’esprit, — ou bien n’a-t-il fait que l’exprimer ?